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Du clash Macron-Villiers à un Noël africain en soutien aux troupes françaises au Niger : mais où en sont les militaires avec le président ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Relations

Ces 22 et 23 décembre, Emmanuel Macron se rendra auprès des troupes engagées dans l’opération Barkhane, au Niger.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico : Ces 22 et 23 décembre, Emmanuel Macron se rendra auprès des troupes engagées dans l’opération Barkhane, au Niger. Depuis la démission du Général de Villiers au mois de juillet dernier, dans un climat de tension, comment ont évolué les relations entre l'Elysée et les armées ? ​

Emmanuel Dupuy : La visite d'Emmanuel Macron, à quelques jours de Noël, aux troupes engagées (4000 militaires) depuis le 1er août 2014 dans l’opération Barkhane, entre la Mauritanie et le Tchad est un exercice « protocolaire » auquel aucun Président de la République n’a dérogé, sous la Ve République. Nicolas Sarkozy s’était rendu en visite « pré-Noël » en 2007 en Afghanistan, François Hollande avait choisi, quant à lui, de se rendre en Irak, quelques jours après le réveillon du 31 décembre 2016…
Cette visite est d’autant plus légitime, que 20 soldats militaires français sont tombés depuis l’engagement militaire au Mali et dans la bande sahélo-sahalienne, depuis le lancement de l’opération Serval, en janvier 2013, puis Barkhane à partir d’août 2014.
Ce geste revêt néanmoins une symbolique forte, à l’aune de la crise de cet été, qui vit la cote de popularité du président descendre en flèche, au fur et à mesure de son épreuve de force avec le Chef d’Etat-major des Armées, le général Pierre de Villiers. Depuis, la situation s’est peu à peu normalisée, grâce, notamment à la souplesse et à la capacité d’adaptation du nouveau CEMA, le Général François Lecointre.
Emmanuel Macron aura ainsi à coeur de répéter lors de ce déplacement au Niger, son leitmotiv : à savoir, une augmentation de 1,5 milliards d’euros en 2018. C’est oublier, un peu vite, cependant, que Bercy a déjà pré-empté 850 millions sur cette somme...
Il y a, en effet, là, un vaste sujet de préoccupation que les militaires de l’opération Barkhane, au Niger pourraient, sans doute, illustrer concrètement au Président de la République. Depuis dix ans, en effet, le budget de la défense a diminué de 11%. Il en résulte des carences matérielles qui continuent d’obérer et de perturber la bonne relation entre les forces armées et le Président.
Car, malgré 1,3 milliard d’euros (hors LPM) consacrés à nos Opérations militaires extérieures (OPEX), la plupart des matériels avec lesquels nos forces armés luttent contre les groupes armées terroristes dans la bande sahélienne-saharienne sont souvent « hors d’âge ».  Nos véhicules de l’avant blindé (VAB) ont fêté leur 40 ans de service opérationnel. 60% de nos véhicules blindés en opération ne sont même pas équipés du niveau de protection adéquat. 
Quand Emmanuel Macron se rendra sur une base aérienne, les pilotes pourraient rajouter que sur les 180 heures d’entrainement annuels nécessaires à la qualification des pilotes, seules 160 heures par an, sont assurées ! L’âge moyen des ravitailleurs aériens est de 51 ans ! Du reste, quand le Président se rendra de nouveau à Toulon, nul doute aussi que la visite du porte-avions Charles-de-Gaulle, apponté depuis début 2017 et immobilisé pendant 18 mois, jusqu’à l’été 2018, lui confirmera que notre capacité de projection s’en trouve dangereusement affectée !
Emmanuel Macron risque ainsi d’être particulièrement «  malmené », s’il ne sait trouver les mots pour des militaires, dont la personnalité et la carrière du général Pierre de Villiers servaient de lien fort entre une armée qui « combat » à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières ; une armée qui «  pense »  à travers des dispositifs de réflexion stratégiques, jusqu’ici peu valorisés ; une armée, enfin, qui recrute et participe au pacte social, à travers sa capacité d’attraction (55 000 réservistes opérationnels et citoyens, 20 000 emplois offerts chaque année, des perspectives intéressantes à travers la mise en place d’un service national universel ou encore d’une Garde nationale dont on estime les capacités d’accueil de 50 000 à 60 000 personnes...).
On le comprend, les attentes sont importantes, d’autant que le Président Macron ne cesse d’insister dans le même élan, que la mise en place de la coopération militaire renforcée ou coopération structurée permanente (CSP-PESCO) permettant à l’UE de disposer d’une Force d'interposition permettant de projeter davantage et plus rapidement des troupes européennes, dotées - enfin - d’un budget dédié aux OPEX, et corrélées par la très bonne santé des industries de défense européenne (70 milliards d’euros de matériels de défense vendus depuis 2012 par la France) offrent de nouvelles perspectives de coopération permettant d’alléger l’implication militaire française sur le terrain,  tout en augmentant l’offre industrielle de défense française. La création du Fonds européen pour stimuler la base industrielle de défense (5,5 milliards d’euros/an) y contribuera, très certainement. 
Le Président de la République est particulièrement attendu sur ce «  pari » politique risqué aussi qui consiste à retravailler son image largement écornée par l’affaire de Villiers, en se faisant le plus ardent défenseur de l’Europe de la Défense. Emmanuel Macron cherche aussi, dans le même temps à «  vendre »  l’idée selon laquelle la montée en puissance du G5-Sahel, préfigure une « Afrique de la Défense » qui existe désormais, peut-être davantage et plus rapidement qu’au nord du Bassin méditerranéen.
Cette nouvelle attente stratégique autant que le besoin tactico opérationnel était très attendue. C’est notamment le cas, à travers, la mise en place effective de la Force conjointe du G5, forte de 5000 hommes, en capacité surtout de lutter de manière pérenne, autonome et efficace contre les terroristes, comme la première opération, il y a quelques semaines dans la région dite des « trois frontières » , aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso tend à le prouver.
En effet, portée sur les fonds baptismaux en juillet dernier, lors du Sommet de Bamako, la Force Conjointe (FC) du G5-Sahel est désormais en attente de bouclage financier (600 millions d’euros) et de nouveaux partenaires financiers (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Maroc, Etats-Unis…), comme le Sommet de La Celle-Saint-Cloud, le 23 décembre dernier, est venue le confirmer. 
C’est, du reste, un des principaux points qui devrait être évoqué entre Emmanuel Macron et son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou. Désormais, Emmanuel Macron entend recevoir la preuve de l’efficacité du G5-Sahel et le fait savoir urbi et orbi dès qu’il en a l’occasion, comme ce fut le cas, lors de la réunion du G5-Sahel à la Résidence de La Celle-Saint-Cloud. 
Cette «  pression »  n’est pas sans rappeler, ainsi, la manière dont le Président de la République s’était adressé aux Forces armées, réunies à l’Hôtel de Brienne, le 13 juillet dernier. 
Pas sûr que ce ton ne soit celui le plus amène d’obtenir de réels résultats probants...
Romain Mielcarek : Il y a une différence importante entre les militaires et le petit milieu politico-médiatique parisien : eux ne cherchent pas à entretenir la crise pour affaiblir tel ou tel responsable politique. Plus que la démission du général de Villiers, ce sont les mots employés par le président Macron le 13 juillet dernier qui ont blessé. Il avait alors accusé l’ancien chef d’état-major des armées d’avoir manqué à sa réserve, en public, devant de nombreuses autorités et familles de militaires.
Si ces mots avaient blessé, beaucoup avaient aussi entendu la volonté d’Emmanuel Macron d’aller dans le bon sens. Il promettait alors d’augmenter le budget des Armées et de faire évoluer le dispositif Sentinelle. Ce sont à ce moment-là deux préoccupations importantes dans les rangs. De plus, par ses visites auprès des troupes, il montre une volonté que beaucoup remarquent : on semble s’intéresser à leur sort.
Rappelons tout de même qu’au même moment dans leurs mandats respectifs, les présidents Sarkozy et Hollande promettaient eux la suppression de 50 000 et 33 000 postes dans les armées… Initiant la plus grosse réduction d’effectifs, toutes organisations confondues en France, de la dernière décennie.
Au-delà de la crise, les militaires attendent désormais des preuves. Le général de Villiers le dit lui-même dans son livre : malgré la vexation personnelle, passagère, c’est la question budgétaire, qui est importante. Or en juillet, l’exécutif annonçait une réduction de celui-ci de 850 millions. Temporaire, promettait-on alors à l’Elysée : dès 2018, les Armées doivent être le seul budget à la hausse et d’ici 2025, on visera les 2% du PIB (contre 1,7 aujourd’hui).
Une hausse de 1,8 milliards a été annoncée pour 2018. Reste à savoir si cela est suffisant. Il va falloir en effet encaisser une hausse de la note des opérations qui passe de 450 à 650 millions et un report d’impayés de 2017 toujours plus important, le ministère des Armées étant de ceux qui ont accumulé la dette la plus importante.
Comprenons bien que derrière ces chiffres, il y a des militaires déployés dans des zones de guerre : ils roulent ou volent dans des engins parfois plus vieux que leurs propres parents, ils sont tellement déployés qu’ils n’ont plus autant le temps de s’entraîner ou de récupérer auprès de leurs familles, ils logent dans des casernes dont l’état fait parfois frémir.
Les militaires continuent pourtant leur mission avec abnégation, en entretenant l’espoir que cette fois-ci, on entendra leurs besoins et qu’on ne trahira pas leur confiance. Mais ça, c’est sur l’ensemble du mandat qu’il faudra jugé si Emmanuel Macron a été à la hauteur.

Comment est-il possible d'interpréter l'effacement de la ministre de la Défense, Florence Parly ? Quels sont encore aujourd'hui les points de friction qui peuvent exister entre le gouvernement, l'Elysée, et les armées ? 

Emmanuel Dupuy :Tous les écueils dans une relation dans laquelle la confiance est essentielle semble avoir été évités.Les Universités d’été de la Défense (tenues à Toulon, début septembre) ont été la première occasion de tester la relation entre l’exécutif et les Forces armées. Auparavant, dès le 5 juillet, devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, la ministre des Armées, Florence Parly avait tenu à rassurer quant au niveau d’engagement budgétaire dans l’actualisation pluriannuelle de la Loi de programmation militaire 2014-2019 (dans le cadre de la Loi de programmation des finances publiques, votée la semaine dernière). 
Cette « promesse » de la ministre, relativement atone quand il s’agit de défendre l’institution militaire, résistera-t-elle à l’activisme de ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « fossoyeurs »  de la future LPM, à l’instar du Secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler ou encore du ministre chargé des Finances, Gérald Darmarin ? Rien n’est moins sûr, comme le laisse présager l’introduction, par exemple, de l’article 14 de la Loi de programmation des finances publiques, « gelant » les 50 milliards d’euros de « restes à payer »  en matière de renouvellement des équipements du futur, pour les années à venir jusqu’à 2022 au montant de celui de 2017, permettant ainsi à Bercy d’empêcher les forces armées d’investir dans la préparation de notre avenir stratégique...
La ministre des Armées a ainsi beau indiquer que le niveau d’engagement de la défense dans le cadre des coupes budgétaires rendues nécessaires dans l’obligation de dégager 4,5 milliards d’euros d’économies sur le budget 2017, ne devrait pas dépasser 30% de celui pour la LPM, les usagers que sont les militaires en Opérations extérieures (OPEX) peuvent sérieusement douter de la capacité de la ministre à résister à la volonté de Bercy de réduire la capacité du ministère des Armées d’investir dans la modernisation des équipements de nos forces (programme 146) qui nécessite en effet,une capacité d’engagement pluriannuelle que Bercy semble récuser.
Depuis, en a résulté, néanmoins, une augmentation de la provision budgétaire consacrée aux opérations extérieures - OPEX (portée de 450 à 650 millions d’euros par an). Ainsi, l’exécutif assure que 364 milliards d’euros du budget auront été consacrés à la défense entre 2O14 et 2025, rendant « réaliste » la trajectoire budgétaire permettant de porter le budget de la défense actuel - 1,78% du PIB, soit 41,8 milliards d’euros (pensions comprises) en 2017, 1,82% en 2018, à 2% du PIB, soit 45,8 milliards d’euros en 2025. 
Pourtant, les enjeux de l’investissement dans les matériels dont ont besoin nos militaires sont essentiels. C’est particulièrement vrai pour celles engagées dans les deux OPEX (Barkhane au Sahel depuis août 2014, Chammal au Levant depuis septembre 2014) qui engagent près de 9000 hommes, dans l’opération « intérieure » (OPINT) Sentinelle sur le territoire national qui mobilise entre 7000 et 11 000 militaires, ou encore dans les opérations onusiennes (notamment la FINUL au Sud-Liban), européennes (notamment les opérations EUTM, EUFOR, EUCAP - de formations et d’équipements militaires et EUNAV FOR / opération Sophia, dans le cadre de la lutte contre les migrations illégales en Méditerranée), sans oublier le cadre des opérations de « police du ciel »  dans les pays baltes, dans le cadre de l’OTAN ou encore nos forces pré-positionnées au Sénégal, au Gabon, à Djibouti, ou encore à Abu Dhabi…
La relation entre l’Exécutif et les forces armées pourraient ainsi se résumer à une préférence pour les preuves d’amour, plutôt que les promesses. Les militaires attendent donc avec impatience les arbitrages présidentiels en faveur des véhicules blindés multi-rôles (VBMR de type Griffon) ou encore les engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC, de type Jaguar). 
Des arbitrages sont également ardemment attendus quant au choix du futur porteur de l’arme nucléaire aérienne de moyenne portée (d’ici 2022), tout comme la modernisation du missile M-51, vecteur de notre outil de dissuasion nucléaire ou encore la mise en place du programme de la 3e génération des Sous-marins nucléaire lanceurs d’engin (SNLE) d’ici 2035-2048. Du reste, l’investissement qui ira crescendo en matière de renseignement, de capacité autonome de drones et de moyens défensifs et offensifs en matière de cyber-défense confirme que notre défense et protection de demain dépend de choix politiques courageux et assumés, car couteux...
Le président semble d’ailleurs plus enclin à exiger une célérité quelque peu superfétatoire quand il s’agit de « sanctuariser » 150 millions d’euros pour l’achat d’un nouvel avion présidentiel (A319 Neo) que d’investir dans les programmes du futur.
Pour rappel, les coupes budgétaires (850 millions prévues pour 2018) qui avaient été annoncées l’été dernier et qui avaient provoqué la crise avec le général de Villiers équivalent à huit Rafales, la somme investie sur une année en matière de recherche & développement au sein du ministère des Armées et 8% du budget d’acquisition de la Délégation générale pour l’Armement (DGA)...
Il semblerait, cependant, de ce point de vue, que la relative « fragilité » de la ministre des Armées, qui va de pair avec deux Commissions de la défense au niveau des deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) qui ont du mal à trouver le bon tempo avec l’Executif, doivent aussi être mise en perspective avec un changement de paradigme décisionnel en ce qui concerne les questions de défense et de la sécurité. La « verticalité »  de la parole présidentielle est de plus en plus évidente. C’est ainsi qu’il convient de s’interroger sur le fait qu’il n’y ait toujours pas de conseiller défense à l’Elysée. 
Comment se fait-il, aussi, que le Chef d’état major particulier (Amiral Bernard Rogel) tout comme le Chef d’Etat-major des Armées (général d’armée, François Lecointre) soit si peu visibles ou audibles dans les grands choix stratégiques, dont la récente Revue Stratégique, présentée par le Député européen, Arnaud Danjean rend compte avec acuité ?
Ce ne sont pourtant pas les Conseils de Défense qui manquent...
Romain Mielcarek : Certains observateurs ont vu dans la renomination du ministère de la Défense en ministère des Armées le signe d’une transformation : d’un rôle vital, l’institution devient une simple administration qu’il faut gérer. Et c’est donc une gestionnaire, venue de l’entreprise privée, sans expérience du monde militaire, qui a été nommée à sa tête.
Cette discrétion de Florence Parly laisse la place médiatique à Emmanuel Macron, qui a affiché sa volonté de porter son rôle de Chef des Armées. On pourra aussi relever qu’elle succède à un Jean-Yves Le Drian dont les équipes avaient préparé la mission pendant des années et qui étaient arrivés à la Défense particulièrement armés pour le job. Rares sont ceux à ne pas relever qu’il a été un ministre de la Défense particulièrement efficace. En restant au gouvernement, cette fois aux Affaires étrangères, il est compliqué de mettre une personnalité aussi forte et influente pour le remplacer. Alors qu’avant le ministre de la Défense était qualifié en coulisses de ministre des Affaires étrangères « bis », notamment en ce qui concernait l’Afrique, c’est aujourd’hui l’inverse : la ministre des Armées est presque une secrétaire d’Etat du Quai d’Orsay.
Mais si Florence Parly est discrète et si elle peine à gagner le cœur de la presse, elle s’applique malgré tout à mener à bien sa mission. Les militaires qui la rencontrent le confirment et elle multiplie les déplacements pour porter un à un chaque dossier qui la concerne. Reste à savoir si elle aura les épaules et la solidité pour tenir tête à Bercy lorsqu’il faudra se battre pour sauver le budget des Armées…

Avec un nombre important de voyages en Afrique, Emmanuel Macron semble particulièrement concentrer son action vers le continent. Comment interpréter cette volonté et quelles en sont les conséquences ? 

Emmanuel Dupuy : L'on peut, à cet effet, avec le déplacement gardé secret, jusqu’au dernier moment, au Niger, affirmer que le Président Macron entend consacrer davantage de temps à l’Afrique que ces deux prédécesseurs. Emmanuel Macron aura ainsi effectué depuis son élection, en mai dernier, sept déplacements sur le continent africain. 
Ce dernier devrait se rendre, fin janvier, en visite d’état en Tunisie, puis de nouveau en Algérie, afin de mobiliser Alger dans la lutte contre les groupes terroristes dans bande sahélienne-sahélienne. Bref, Emmanuel Macron a placé l’Afrique au coeur de sa nouvelle dynamique diplomatique, à la fois plus réaliste, pragmatique et volontiers présentée sous le prisme d’une réalité rajeunie, parfois un peu sublimée.
Cependant, cette « africanisation »  ne se fait pas sans risque. Il en est ainsi avec une certaine forme de défiance à l’égard de la France, dont la présence militaire massive depuis Serval (janvier 2013) est une réalité depuis maintenant près de cinq ans. 
S’il est encore trop tôt pour en systématiser les expressions, l’appel à manifester dans les rues de Niamey, contre la Loi de finances 2018 et surtout en défiance des « intérêts » économiques français (le plus souvent réduits à la présence structurante d’Areva, dont la production d’uranium est essentielle tant pour la France que le Niger) est une réalité qu’il ne convient de ne pas négliger. D’autant que des signes d’hostilités à l’égard des soldats français dans le nord Mali sont venus confirmer que la légitimité de la présence militaire française doit s’accompagner de résultats probants en matière de sécurité. Or, le récent rapport de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) tend à relativiser l’efficacité de la présence militaire française. Au Mali, sur ce qu’il est convenu d’appeler le « faisceau ouest » entre 2015 et 2016, 385 attaques (+92%), 332 morts dont 207 civils (+121%) viennent confirmer que malgré la présence de 1000 soldats français au Mali et au-delà sur un dispositif Barkhane de 4000 soldats, patrouillant sur un territoire de 5 millions de KM2, la situation est loin d’être stabilisée.
Le discours d’Emmanuel Macron, prononcé, le 28 novembre dernier, devant les étudiants de l’université Joseh Kizerbo de Ouagadougou se voulait l'acte fondateur de cette « nouvelle » relation « décomplexée » entre la France et l’Afrique. Le Président de la République cherche ainsi à parfaire aussi son image d’homme de rupture, ayant rompu avec ses velléités de puissance « exclusive »  portée par un reniement d’une « Françafrique »  désormais unanimement et systématiquement vilipendée. 
Cependant, la réalité d’un continent souvent décrit comme étant d’avenir, et où 450 millions de jeunes (60% de la population africaine) a moins de 60 ans et dont 22 millions arrivent chaque année sur le marché du travail, ne saurait faire oublier le ralentissement du taux de croissance annuel moyen sur le continent. Forte de la réalité des 54 spécificités qui composent l’Union africaine, l’attractivité économique du continent a connu , en 2016, son chiffre le plus bas depuis 1994 (2,2%). Il en résulte, comme devrait le rappeler Emmanuel Macron, à Niamey, une obligation à mieux oeuvrer en direction de l’intégration économique de l’Afrique. En effet, la part du commerce intra-africain n’est que de 12 à 13%, alors qu’en Asie (avec 55%) et en Europe (70%) l’intégration économique accompagnée une solidarité diplomatique qui avait de pair. Pire, ne représentant qu’un modeste 4% du commerce mondial, l’Afrique reste un « nain » sur le plan géo-économique et géopolitique.
De ce point de vue, la comparaison entre le déplacement d’Emmanuel Macron au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Ghana, fin novembre dernier, et la visite de travail de 48 heures que le président français « accorde » à son homologue nigérien est légitime. Niamey semble ainsi  relativement «  mal payé » au regard de son constant engagement dans la lutte contre les groupes armés terroristes (venus du Mali et transitant entre les deux pays), les organisations criminelles de passeurs à la frontière entre la Libye et le Niger, et ce qui reste de Boko Haram, au Nord-Est et Nord-Ouest du Nigéria.  
Le Niger, qui accueillera le Président français, les 22 et 23 décembre prochains, est pourtant un «  cas d’école » , dans le cadre de cette nouvelle Afrique(s) que ce dernier appelle de ces voeux. Comme l’avait laissé entendre Emmanuel Macron à Abidjan, lors du 5ème Sommet UE/UA (29 et 30 novembre 2017), la mobilisation du moment doit se cristalliser sur la question migratoire, qui constitue, avec le terrorisme, les deux priorités essentielles des 82 Chefs d’Etats eurafricains. Avec un taux de fécondité de 7,6 enfants par femme, une augmentation significative des budgets militaires aux dépens des dépenses sociales et de l’investissement dans le secteur agricole, qui pourtant emploie 80% des citoyens africains, l’avenir du Niger s’annonce contrasté. 
Paris, n’est, du reste plus le seul acteur dans la région. Avec l’installation de 1000 soldats allemands au Mali, à l’aune d’une sensibilisation d’Angela Merkel à l’égard du continent africain dans le cadre de la présidence allemande du G20, l’annonce de l’arrivée de 500 militaires italiens au Niger et les 800 soldats américains déjà présents au Niger, la concurrence se fait rude en matière sécuritaire…
Ce sont là quelques enjeux, permis tant d’autres, qu’Emmanuel Macron et son homologue Mahamadou Issoufou évoqueront. La France semble ainsi - enfin- prendre conscience que sa relation avec l’Afrique n’était pas acquise d’office. 
Il convient aussi de ne pas oublier que cette « concurrence »  nous rappelle une autre réalité : celle d’une nécessité d’appropriation des outils de développement, afin, comme l’a indiqué le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, de garder la jeunesse africaine sur le continent, loin de toute manipulation par des groupes terroristes, criminelles d’une jeunesse décentralisée, trop souvent marginalisée par les pouvoirs centraux. 
L’inclusion sociétale, la lutte contre l’asymétrie économique ainsi que l’émergence de la ville de demain en Afrique seront quelques-uns des enjeux, du reste, du prochain Sommet France-Afrique, en 2020 et s’inscrivent dans l’objectif en 2018 du Pacte mondial pour l’Education, pour lequel la France et le Sénégal sont initiateurs.
La France, dont la balance commerciale avec l’Afrique tangente les 54 milliards d’euros (loin derrière la Chine, 222 milliards d’euros) et son président, Emmanuel Macron, aura ainsi encore de multiples rendez-vous en 2018 avec ce continent qui a de l’avenir.
Romain Mielcarek : L’Afrique a toujours été identifiée comme une priorité stratégique de la France. La Revue Stratégique qui vient d’être publiée le redit : c’est là que se joue la sécurité de la France et de l’Europe. Qu’il s’agisse des flux migratoires ou des groupes terroristes, une bonne partie des risques et menaces nous concernant sont intimement liés à l’espace méditerranéen.
C’est dans le Sahel qu’est déployée la plus grosse opération militaire française. Et Paris est clairement leader sur ce dossier, acteur incontournable pour les partenaires européens, africains et américain. C’est aussi là que les opérations les plus intensives sont menées, en comparaison avec l’Irak et la Syrie où le contingent au sol est beaucoup plus modeste.
Emmanuel Macron semble l’avoir bien compris. C’est pour ça qu’il veut montrer, aux Français et aux troupes, qu’il est aux côté des militaires dans ce combat. Sa présence pour les fêtes en est le symbole. C’est aussi pour cela qu’il pousse à des efforts en matière d’Europe de la Défense : il espère pouvoir convaincre les Européens de venir porter leur part du fardeau dans la région. Il montre enfin qu’il est conscient des réalités auxquelles sont exposés nos soldats. Il affiche depuis le début de son mandat une volonté d’écouter et de comprendre les acteurs de terrain en allant à leur rencontre.
Est-ce que cela suffira à ce qu’il préserve et augmente le budget des Armées, aujourd’hui à la limite de l’implosion ? Il faudra attendre d’être plus avancés dans le mandat pour proposer autre chose que des spéculations. 

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