Du Brexit au référendum italien, les planètes sont-elles en train de s'aligner pour permettre une profonde refondation de l'Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux dangers menacent l’équilibre des forces en Europe, comme la montée de l’extrême-droite en Autriche et en Allemagne. Cette dernière reste au centre de l’échiquier européen mais refuse d’assumer seule la gouvernance du navire.
De nombreux dangers menacent l’équilibre des forces en Europe, comme la montée de l’extrême-droite en Autriche et en Allemagne. Cette dernière reste au centre de l’échiquier européen mais refuse d’assumer seule la gouvernance du navire.
©Pixabay

Place à prendre

Désormais presque seule capitaine du navire Europe, l'Allemagne pourrait avoir fort besoin d'un associé de taille pour faire le lien entre les pays du nord, du sud et de l'est. Malgré son désengagement de ces questions depuis plusieurs années, la France a de quoi prétendre à ce rôle.

Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Atlantico : Ce dimanche 4 décembre, l'Italie organise un référendum décisif quant à son maintien dans l'Union européenne. Après le Brexit et le désinvestissement historique de la France sur les questions européennes, peut-on penser de l'Allemagne qu'elle fait face à la gouvernance seule ? A quel point est-elle isolée, particulièrement quand il s'agit d'imposer une rigueur budgétaire au reste des nations de l'UE ?

Alain Wallon : A la différence du Brexit, le référendum voulu par Matteo Renzi n’est pas à proprement parler un scrutin portant sur le maintien ou la sortie de l’UE puisque qu’il porte sur la validation d’une réforme constitutionnelle visant à décongestionner le système législatif italien, notamment en réduisant la taille et le rôle du Sénat italien, qui ne pourra plus renverser le gouvernement, au profit de la chambre des députés et simplifier la navette entre les deux chambres. Cela dit, en liant son propre sort à l’issue du vote, Renzi place l’Italie devant un dilemme risqué, une victoire du non pouvant déboucher, en sus de la chute du gouvernement de Renzi, sur des élections anticipées et une poussée conjointe des populistes du mouvement Cinq étoiles (M5E) de Beppe Grillo et d’autres partis susceptibles de remettre cause l’appartenance à la zone euro (comme le M5E), voire à l’UE, comme la Ligue du Nord et ses alliés.

L’Italie, pays fondateur de la Communauté européenne, est peu susceptible à mon avis de se jeter dans le vide hors de l’Union : elle n’a pas les parachutes, dorsal ou ventral, du Royaume-Uni ! D’autres dangers menacent l’équilibre des forces en Europe, comme la montée de l’extrême-droite en Autriche et en Allemagne. Cette dernière reste au centre de l’échiquier européen mais refuse d’assumer seule la gouvernance du navire. Le Brexit a renforcé à la fois son isolement, en lui enlevant le confort, si j’ose dire, d’un couple à trois avec la France, et son souci d’échapper à une position solitaire dont elle perçoit de plus en plus les inconvénients. La mansuétude récente de la Commission Juncker vis-à-vis des manquements du Portugal ou de la France, sans parler de l’Italie et de l’Espagne, à leurs engagements de réduction programmée de leurs déficits budgétaires est un signe des limites atteintes par l’attitude intransigeante, presque moralisante, de l’Allemagne vis-à-vis de ses partenaires persuadés que sans relance la réduction obsessionnelle du déficit est un puits sans filet et sans fond. Le niveau élevé des excédents allemands contraste désormais de façon criante avec le refus de ce pays de recycler ces excédents hors du pays vers les économies partenaires. Et même la très puissante Deutsche Bank - de taille équivalente au PIB italien ! - montre qu’elle a pêché, elle aussi et massivement, dans les eaux troubles des créances douteuses.

Combien de temps encore l’Allemagne continuera-t-elle de camper sur cette position fermée, finalement de court terme puisqu’elle risque de se heurter au mur invisible d’une stagnation mâtinée de crise politique dans tout le reste de la sphère européenne ? Il ne faut pourtant pas espérer une soudaine illumination sur un chemin de Damas reliant Berlin aux autres capitales : l’Allemagne ne mettra un peu d’eau dans le vin de sa doxa budgétaire que si des signes concrets lui parviennent, de Paris, de Rome, de Madrid ou Lisbonne que, sans pour autant continuer à accepter des remèdes de cheval jugés mortifères, les Etats concernés mettent progressivement en œuvre des réformes de fond susceptibles de rassurer Berlin sur leurs capacités à revenir à terme sur un terrain commun, gage de confiance indispensable à un desserrement par l’Allemagne de l’étau de la rigueur au sein de l’Eurogroupe.

Face à un tel constat, le prochain président de la République française peut-il jouer un rôle particulier pour permettre le maintien de la cohésion en Europe ? Comment faire office de chaînon capable de faire le lien entre les pays du Nord et du Sud, mais également de l'Est avec qui les sujets de tensions sont nombreux ?

C’est tout à fait possible, l’espace politique existe potentiellement pour un rôle accru de la France en Europe. Mais cet espace n’est ni donné a priori, ni durable s’il n’est pas occupé à temps et consolidé sans faillir sur le moyen et long terme. Pas question d’espérer le faire par un "blast" provoqué en cent jours par ordonnances sur le front intérieur et simultanément en occupant le terrain européen par un discours essentiellement volontariste. L’Europe est dans une situation critique, faisant face à des défis multiples, dont le moindre n’est pas la tentation de plusieurs Etats membres, ceux en particulier du Groupe de Visegrad, de considérer l’UE comme une utile vache à lait mais en s’affranchissant des devoirs et contraintes acceptés lors de l’adhésion. Répondre aux enjeux du Brexit sans plier devant les pressions croisées de la City et des autres places financières en Europe, donc respecter le jeu de la négociation telle qu’elle a été préparée du côté des 27 et des institutions – Conseil, Commission et Parlement – et non tenter de se la jouer "perso" en coulisses avec le risque, en brisant la solidarité européenne, de tout détricoter et offrir ainsi un boulevard inespéré aux négociateurs anglais.

Comme vous le suggérez très justement, faire office de lien, de chaînon, de facilitateur entre pays du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, au lieu de s’ériger une fois de plus en coq arrogant, les ergots luisants, défendant son seul tas de fumier ! Car c’est trop souvent, hélas, l’image de notre diplomatie dans les enceintes européennes, alors que notre force est attendue ailleurs et autrement : la force d’appuis apportés à nos partenaires sur les dossiers pour lesquels notre valeur ajoutée est évidente et reconnue et celle reçue d’eux pour les dossiers qui exigent leur contribution pour espérer aboutir. C’est plus un soft power qui est attendu de la France qu’une succession de postures et de "coups" égoïstes fondés sur de purs rapports de force. Mais pour ce faire, la refondation d’un solide rapport de confiance avec l’Allemagne est incontournable. Même nécessité de présenter une ligne d’action claire, lisible aux Français lassés d’un double discours qui voue un jour aux gémonies "Bruxelles" (où le Conseil réunissant les Etats membres - dont la France - fait la loi), et tente le lendemain timidement de convaincre nos citoyens de la validité des politiques adoptées avec nos partenaires. Un tel double jeu n’est plus possible.

Si François Fillon était finalement élu, dans quelle mesure serait-il capable de faciliter les connexions d'ores et déjà abordées ? Sa personnalité, son programme, permettraient-ils d'éviter certains des obstacles plus aisément ?

Nous verrons si les probabilités de son élection se consolident ou non au fil des mois qui nous séparent de l’élection présidentielle. Car la position de François Fillon sur l’échiquier électoral va considérablement changer : il n’est désormais plus dans la configuration "intra-familiale" de la primaire de la droite et du centre mais doit s’adresser à une large fraction de l’électorat susceptible de le placer en position favorable au premier tour de la présidentielle puis bien au-delà des frontières de son camp pour obtenir au second tour une majorité nette et incontestable. Un exercice de réorientation d’autant plus crucial qu’il va devenir la cible centrale de tous ses compétiteurs ("la vache dans le tunnel"), chacun tentant d’enfoncer un coin dans les contradictions que ce grand écart risque de mettre au jour. Cela dit, il devra, s’il est élu à la fonction suprême, remettre sur le marbre toute une série d’invocations ou de projets dont on peut penser qu’ils ont surtout vocation à agréger des électeurs, ceux d’abord de la primaire récente puis ceux de la campagne présidentielle, plutôt qu’à constituer le socle d’une politique viable une fois parvenu au pouvoir.

Certaines contradictions seront en effet vite intenables : comment vouloir à la fois reconstruire l’axe essentiel de la construction européenne qu’est et sera plus que jamais le couple franco-allemand tout en prétendant revoir – pour les supprimer – les sanctions décidées collectivement par les pays européens à l’encontre de la Fédération de Russie violatrice du droit international en Ukraine ? Ce qui pourra séduire les exportateurs français de fruits vers la Russie vaut peut-être pour la période électorale mais ni l’Allemagne, ni la Pologne, ni les Etats Baltes confrontés à une pression constante de la puissance militaire russe à ce qui est désormais une frontière de l’UE ne pourront accepter une telle remise en cause unilatérale sans application finale, sinon complète, des accords de Minsk.

De même, il n’est pas pensable, surtout après le Brexit, de vouloir soumettre toute la construction européenne à un risque totalement disproportionné par un référendum en France sur l’UE. La promesse par François Fillon de modifier le statut de la BCE, instance indépendante nécessiterait en effet une révision des Traités (article 130 du TFUE), option inenvisageable avant longtemps ! Pas non plus d’harmonisation fiscale sans un mécanisme budgétaire européen. Quant à la gouvernance de la zone euro, le projet Fillon d’une coordination de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, une option dont la crise grecque a montré qu’elle pouvait avoir un sens, ne plaît guère à la chancelière et encore moins à son puissant ministre des finances Wolfgang Schaüble qui se verrait enlever son rôle de censeur intransigeant des dérives budgétaires.

Au-delà du candidat, l’homme politique Fillon a compris qu’une fois abandonnés les coups de menton et les moulinets des bras sur la "reconquête" de la souveraineté nationale, c’est bien à l’intérieur du cadre européen du pacte de stabilité que continuera à se définir la politique macro-économique de la France, et non en-dehors. Il a également intégré l’évidence que, pour se hisser à nouveau à hauteur de l’Allemagne, la rupture avec les exigences budgétaires était inenvisageable. Comme la presse allemande l’a souligné, François Fillon donne l’image, rassurante pour les Allemands, d’un homme calme et pragmatique. S’il a bien ces qualités, il aura alors, s’il parvient à l’Elysée, plus d’un chantier crucial pour le prouver…

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