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Les raisons du silence 
des avocats de DSK...
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Justice américaine

La justice américaine a cela de particulier que les preuves ne sont pas immédiatement communiquées par l'accusation à la défense. Cela explique l'extrême réticence des avocats de Dominique Strauss-Kahn à communiquer sur leur stratégie de défense avant d'avoir pris connaissance de tous les éléments du dossier. Explication de cette procédure dite de « discovery ».

Dominique Inchauspé

Dominique Inchauspé

Dominique Inchauspé pratique le droit pénal à Paris depuis 1983. Il intervient aussi fréquemment à l'étranger. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la justice pénale française et anglo-saxonne, comme 'L'erreur judiciaire' (PUF, 2010) et 'L'innocence judiciaire' (PUF, 2012) et enseigne à l'université. Il écrit aussi des fictions. La dernière a pour titre : Un homme dans l'Empire  (L'âge d'homme, 2013). 

 

 

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La communication des preuves par l’accusation à la défense (‘discovery’) est, en pratique, le point clé du procès pénal américain (mais aussi canadien, britannique, etc.).

Le mot "discovery" en contient lui-même toute la problématique : découverte, par la défense,des preuves collectées par la police et le parquet ; non pas communication à la défense de toutes ces preuves.  

Discovery : un rétablissement du déséquilibre entre défense et accusation

Le fondement de la discovery n’est pas, comme on pourrait le croire, l’égalité des armes entre accusation et défense mais le rétablissement, au profit de l’accusation, d’un déséquilibre qui existerait en faveur de la défense du fait de son droit au silence.

La théorie est que l’accusé a le droit de rester silencieux tant que l’accusation n’a pas rapporté la preuve de sa culpabilité "beyond reasonable doubt" ("au-delà d'un doute raisonnable"). D’où l’agitation de la police et du parquet dans l’affaire DSK et le silence de ce dernier.D’où ensuite et surtout, une communication parcellaire par le procureur de son dossier à la défense. La New York Criminal Procedure (articles 240 et s.prévoit ainsi une liste de preuves que le district Attorney peut produire mais les dépositions de la victime et des témoins n’y figurent pas de manière formelle. Encore le procureur peut-il ne pas transmettre les autres s’il justifie d’une "good cause".

Difficile pour la défense de connaître l'état exact du dossier d'accusation

La défense peut demander une "discovery" d’éléments détenus par le parquet si ces éléments sont pertinents pour le procès et que la demande est raisonnable. Il faut donc réunir deux critères exigeants. Il faut aussi deviner quelles preuves le procureur a conservées par devers lui.  

La cour peut décerner des protectives orders limitant ou rejetant la discovery, par exemple en cas de risque de représailles, de corruption ou encore la protection des informateurs ou n’importe quelle autre raison qui dépasse l’utilité de la discovery. Par conséquent, le parquet choisit ses preuves et il est difficile à la défense de connaître l’état exact du dossier de l’accusation.

L'exemple de l'arrêt "Brady v Maryland"

Le leading case de la Cour suprême, soit l'affaire de référence, l’arrêt Brady v. Maryland (1963) est tout aussi inéquitable. Dans cette affaire, Brady et Boblit sont jugés de façon séparée pour un même meurtre commis pendant un vol. L’avocat de Brady demande communication au procureur des dépositions de Boblit avant le procès. A son procès, Brady affirme que Boblit a tué, pas lui. Ils sont tous deux condamnés à mort. Puis, l’avocat de Brady découvre qu’une déposition de Boblit où ce dernier avoue être l’auteur du meurtre ne lui a pas été communiquée en dépit de sa demande. Un premier recours est rejeté. Dans un second recours, la Court of Appeals ordonne un nouveau procès, non sur la culpabilité, mais sur la peine. En effet, il n’est pas impossible que Brady ait quand même tué.

La Cour suprême des Etats-Unis confirme cette décision. Elle juge que la suppression, par l’accusation, de preuves favorables à un accusé sur requête de ce dernier(!), viole le droit à un procès régulier quand les preuves sont material  – pertinentes – sur la culpabilité ou sur la peine, quelle que soit la bonne ou la mauvaise foi de l’accusation.

C’est bien le procureur qui choisit, dans son dossier, quelles sont les preuves pertinentes pour la défense.  

Ce que permet la "discovery"

Un prérapport du barreau de New York donne une mesure des conséquences de ces règles à propos de 53 affaires dans lesquelles les condamnés ont été, au final, innocentés.

Par exemple, dans Lazaro Burt, un enquêteur entend un témoin visuel six jours après un meurtre. Le témoin est en détention. Il donne au policier le nom du tireur. Sa déposition écrite est placée au dossier. La défense fait une requête Brady. Dans sa réponse, le procureur ne fait pas référence à cette déposition. La défense n’en reçoit copie qu’au sixième jour du procès, 16 mois après les faits, quand le témoin n’est plus détenu. Faute de pouvoir le faire comparaître devant les jurés, sa déposition ne peut être exploitée et le jury ignore qu’un témoin a désigné un autre homme.

Etudes universitaires, ouvrages et enquêtes de différents ministères décrivent des cas de rétention et de falsification de preuves par l’accusation dans tous les Etats de l’Union et de tous temps. C’est le cas aussi au Canada et en Grande-Bretagne.  

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