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Droite et gauche face au péril 2017 : que dire pour être sûr d’avoir le candidat qui affrontera Marine Le Pen au second tour ?
©Reuters

Bonne parole

Deux sondages CSA et IFOP indiquent que Marine Le Pen sera en tête au premier tour des élections présidentielles de 2017. La tendance à la droitisation est marquée, et le second fauteuil pour se mesurer à la présidente du FN sera très disputé. Tour d'horizon des forces et faiblesses des principaux prétendants.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Quelle offre politique proposer 

Atlantico : Selon deux sondages CSA et IFOP sur les intentions de vote pour les présidentielles, Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour des élections de 2017. S'il est acquis que Marine Le Pen sera au 2e tour de 2017, comment faire pour être l'autre candidat qui se qualifiera au 1er tour ? Quels seront les choix programmatiques qui le permettront ?

Jérôme Fourquet : En dépit de ce qui a été raconté, Marine Le Pen se situe toujours à un niveau très élevé. Elle est en voie de consolider les gains engrangés depuis la présidentielle de 2012. Les idées qu’elle défend, et la vision de la société qu’elle propose sont donc en phase avec la population. Cela signifie que la droite doit en tenir compte. D’autant que si l’on additionne les sympathisants d’autres partis plus marginaux comme celui de Nicolas Dupont-Aignan, on arrive à un tiers de la population. Parmi les deux lectures possibles, à savoir s’opposer à Marine Le Pen par une orientation vers le centre, ou bien vers les idées de cette dernière, les scores de François Bayrou comparés avec ceux de Marine Le Pen donnent assez rapidement la direction à privilégier.

Nous sommes dans une situation similaire à celle de la veille des élections européennes, mais avec un dégradé plus important pour la droite, c’est-à-dire avec un FN encore plus haut et une gauche qui ne se tient pas si mal.

Pour la gauche, on se rend compte qu’il y a une amélioration de la popularité de Hollande (mais une remontée d’un étiage très faible de 14%). Pour autant, ce n’est pas un scénario à la Syriza qui se profile.

Pour l’instant, ni Jean-Luc Mélenchon ni Cécile Duflot ne voit ses intentions de vote frémir. Autant on peut penser qu’il y a un débat à droite sur faut-il aller au centre ou à droite, autant à gauche, la menace radicale ne semble pas nécessaire à contenir. La pression de la gauche de la gauche est beaucoup moins forte que celle à droite.

Bruno Cautrès : Il faut tout d’abord rappeler que nous sommes encore loin de la présidentielle de 2017 ; nous ne savons pas encore qui seront exactement les candidats et combien seront-ils. Or, ces données de base de la présidentielle auront un impact important ; rappelons en effet que lorsque Jean-Marie Le Pen s’était qualifié pour le second tour de 2002 il y avait eu 16 candidats au premier tour, une forte dispersion des candidatures à gauche et une forte abstention. Je dirais plutôt que la présidente du FN semble en effet, pour le moment, bien partie pour se qualifier pour le second tour, mais sans que l’on puisse parler de certitude. Les deux autres principaux candidats du PS et de l’UMP auront une rude tâche pour se départager à l’issue du premier tour si l’hypothèse de la qualification de Marine Le Pen pour le second tour se confirmait.

Lire aussi : Candidat préféré des sympathisants UMP pour 2017 : + 6 points pour Nicolas Sarkozy, - 9 pour Alain Juppé

Quelle offre politique proposer quand on est de droite

Bruno Cautrès : En ce qui concerne la stratégie et les choix programmatiques du candidat de l’UMP, tout dépendra de qui sera ce candidat. Nicolas Sarkozy aura une tâche pas complétement simple : proposer aux électeurs un projet tout en faisant le lien avec son mandat 2007-2012 alors même qu’il a été battu en 2012. Il inscrira sans doute son programme et son projet sur les mêmes thèmes qui ceux par lesquels il a justifié son « retour » en politique : l’état « désastreux » de la France et de ses fractures internes, la question de la sécurité interne et externe de la France, l’école, le baisse de pression fiscale, la réforme du modèle social. Alain Juppé aura, s’il était candidat, son lot de difficultés également : incarner la posture d’un président rassurant va devenir plus difficile pour lui lorsqu’il devra annoncer son programme et aussi si François Hollande confirme le rebond de son image dans l’opinion. Les sondages que vous citez montrent d’ailleurs une sociologie assez « CSP+ », voire « ++ » pour Alain Juppé ; sa popularité d’opinion peut avoir du mal en se transformer en votes car le vote répond à des logiques sociales puissantes. Au plan programmatique les propositions économiques des deux candidats potentiels de l’UMP ne seront guère éloignées ; ils se distingueront sans doute plus sur les réformes de société et sur le style, leurs personnalités.

Quelle offre politique proposer quand on est de gauche

Bruno Cautrès : D’un côté François Hollande devra impérativement avoir vu le chômage baisser afin de pouvoir développer une stratégie du type « Hollande 2=les récompenses pour les Français après les lourds efforts faits pendant 5 ans » ; si François Hollande est candidat, il ne fait guère de doute qu’il présentera des choix programmatiques s’inscrivant dans la lignée de son mandat actuel depuis le tournant de la politique de l’offre et de la compétitivité, en proposant aux électeurs de gauche et du centre une synthèse entre compétitivité, innovation et justice sociale.  Une partie de l’électorat populaire pourra alors lui faire défaut au profit de Marine Le Pen. Le sondage IFOP que vous citez montre d’ailleurs un écart de près de 20 points entre les ouvriers déclarant avoir l’intention de voter F. Hollande et ceux déclarant vouloir voter Marine Le Pen. Cette difficulté sociologique risque de peser lourd au soir du premier tour. F. Hollande ne pourra pas, de plus, refaire la même campagne qu’en 2012 (« mon ennemi c’est le monde de la finance »).

Quels seront les thèmes qui ne pourront pas être délaissés ?

Jérôme Fourquet : On le constate très clairement : quand vous voyez Manuel Valls parler d’ "apartheid" quand il évoque les banlieues, cette déclaration peut être analysée à deux niveaux. Soit pour déplorer la situation peu conforme à notre idéal républicain, soit comme une réponse ferme pour dénoncer des zones de non-droit. On voit aussi que sur l’école, Najat Vallaud Balkacem est passée d’un sujet prioritaire comme la suppression des notes à l’école à un rappel des règles républicaines, le soutien des enseignants, une demande de fermeté et d’autorité. Nous voyons donc bien que les idées du Front national irradient bien au-delà de sa zone propre.

La pression frontiste est très forte, et du fait de l’actualité, on ne voit pas cette pression s’amoindrir à moyen terme.

Pour l’autre côté du spectre politique, les chiffres calamiteux du chômage – avec une baisse prévue pour 2015 selon l’Insee –, le débat européen. Un certain nombre de sujets sur lesquels Jean-Luc Mélenchon s’était positionné, pourront se réinviter dans le débat à un moment ou à un autre.

Bruno Cautrès : Pour la droitece seront bien sûr les questions économique ; la pression fiscale sur les entreprises comme sur les ménages, mais aussi les « réformes structurelles » : le modèles social, le marché du travail et les contrats de travail ; sur les questions de société la question de la sécurité interne et externe, les questions européennes (Schengen notamment) et sans doute la question de l’autorité à l’école, de l’immigration. Il semble probable que le candidat de la droite ne pourra pas laisser au FN le monopole de la question de l’immigration et de la sécurité externe et interne en Europe.

La gauche ne pourra éviter la question de son bilan : en termes économiques (chômage et réduction des inégalités ?), mais aussi sur la « transition énergétique, beaucoup mise en avant en 2012 mais peu présente dans l’agenda gouvernemental depuis. La question essentielle pour la gauche sera donc celle-ci : en quoi un second mandat de François Hollande est-il une nécessité pour achever les réformes entreprises ou parfois abandonnées ? Et quelle alliance construire dans cette perspective ?  De là découleront les thèmes que la gauche ne pourra éviter : environnement et énergie, école et inégalités, Europe et protection des Français vis-à-vis des menaces externes mais aussi croissance et inégalités, réforme de la fiscalité. Le candidat principal de la gauche (François Hollande sans doute) essaiera sans doute de montrer que finalement il est parvenu à « réorienter l’Europe » : à cet égard la politique monétaire récemment annoncée par la BCE et la nouvelle situation politique en Grèce pourront apporter de l’eau à son moulin.

D'aucuns pourraient estimer que pour contrer le Front National, il est nécessaire de lui opposer un programme de bataille, qui puisse contrer le sien dans toutes ses dimensions. Quel est l'enjeu pour la droite comme pour la gauche ?

Bruno Cautrès :Je ne pense pas que cela soit la bonne solution pour ces deux familles politique ; elles donneraient alors le sentiment de dépendre, dans leurs propositions, de la situation du FN. Et ces formations politiques ont déjà par le passé tenter ce type de stratégie électorale. Mais les électeurs vont attendre que les candidats leur expliquent surtout pourquoi nos difficultés économiques et sociales sont toujours aussi fortes ; la prise de conscience sur les déficits publics est importante aujourd’hui et les candidats devront expliquer de quelle manière sont financées leurs propositions. 

Lorsque l'on regarde vers le passé, le seul exemple où un adversaire FN a réussi à avoir un résultat important à une élection présidentielle a été Jean-Marie Le Pen en 2002. Malgré les différences de fond et de forme entre les deux représentants du FN, qu'est-ce que cet épisode peut nous apprendre ?

Bruno Cautrès : Le 21 avril 2002 avait déjà montré que le FN ne jouait plus dans la cour des « petits ». Malgré la forte baisse du score de Jean-Marie Le Pen en 2007, dans un contexte où Nicolas Sarkozy, avait séduit une partie non négligeable des électeurs de Jean-Marie Le Pen de 2002, la dynamique du FN est réelle en France depuis 2002. Même si le succès du FN aux européennes de 2014 s’inscrivait dans un contexte de très forte abstention (avec donc une victoire un peu en trompe l’œil si l’on regarde le nombre de voix et non plus les pourcentages aux exprimés) un cap symbolique a sans doute été passé pour le FN en 2014. Le FN a adopté, sous la présidence de Marine Le Pen, une stratégie programmatique qui amplifie et transforme le phénomène crée par son père dans l’électorat : l’expression protestataire est toujours là, mais elle se combine davantage qu’avant à une adhésion aux idées ; la stratégie du « welfare chauvin » adopté par d’autres partis populistes de droite ou d’extrême droite en Europe, semble pour le moment attirer vers le FN des électeurs qui ont le sentiment d’être abandonnés par les programmes des autres partis. 

Et au contraire, d'autres thèmes politiques seront-ils plus ou moins éclipsés par rapport aux programmes et aux débats de campagnes présidentiels traditionnels ?

Bruno Cautrès :Il est trop tôt pour le dire ; mais on peut s’attendre à un très fort combat électoral dans lequel peu de thèmes seront éclipsés. 

Le potentiel des candidats

Nicolas Sarkozy

Bruno Jeudy : Sa force première est d’être un ancien président de la République. Son bilan a des faiblesses, mais reste rehaussé à la lumière de celui de François Hollande. Nicolas Sarkozy a l’expérience des campagnes présidentielles, avec deux à son actif dont une remportée en 2007. Ses faiblesses sont le revers de ses qualités : redescendre de son pied d’estale d’ancien chef de l’Etat à chef de l’opposition a été un exercice d’humilité, refaire le chemin n’est pas simple. Là où il devra apporter ses meilleures réponses, ur le programme, on peut toujours avoir l’impression d’une capacité à avoir des idées neuves un peu émoussée comparativement à la magie qu’il avait pu susciter entre 2005 et 2007.

Au niveau de sa personnalité est malgré tout l’un de ses plus importants avantages : Nicolas Sarkozy est quelqu’un qui domine la vie politique à droite depuis 2002, et garde le leadership. Il a une capacité à écouter et rallier les militants UMP sans pareil. C’est lui qui a aujourd’hui les meilleures options.

Alain Juppé

Bruno Jeudy : Son avantage réside sous doute dans sa stature d’homme d’Etat, son expérience d’ancien ministre. Fondateur de l’UMP, il fait autorité sur les grandes attributions du Président de la république. Il a une personnalité qui s’est arrondie au fil des années, qui a pris un peu d’humilité. On connaît ses forces, mais on connait aussi ses faiblesses : s’il a fait preuve d’humilité ces dernières années, il reste assez raide, il manque d’empathie par exemple. Sur un plan plus concret, Alain Juppé n’a quand même jamais fait de campagne présidentielle, ni même une campagne nationale en son nom. En faire une à plus de 70 ans reste une question, même s’il à l’air assez en forme. En revanche, je ne suis pas sûr que son bilan souvent présenté comme à son actif soit vraiment d’une grande utilité dans une campagne présidentielle.

François Fillon

Bruno Jeudy : Dans les atouts, je pense en premier à sa capacité de renouveler les idées. Il essaye de construire son parcours présidentiel avec un débat d’idées, en rupture. Il veut porter la marque d’une droite qui s’accepterait enfin, porteuse d’un libéralisme qui jusqu’à a présent n’a jamais fait élire quelqu’un aux élections présidentielles.

Dans ses faiblesses, on notera son image troublée dans l’opinion. La querelle qui a fait suite aux élections de 2012 a profondément marqué, sans doute à tort, son image auprès des militants de droite. A cela s’est ajouté ses critiques à l’égard de Nicolas Sarkozy, puis récemment l’affaire "Jouyet-gate" qui a terni l’image d’un homme qui jusqu’à présent était vierge. Mais c’est peut-être le plus déterminé à droite, le seul à avoir appelé à la constitution d’un programme.

Bruno Le Maire

Bruno Jeudy : Sa percée médiatique a été un grand succès. Bruno Lemaire a quand même été plébiscité par 30% de voix, soit un succès qui lui permet de construire un parcours, probablement dans une perspective à 2022. Pour autant, il ne laissera pas passer son tour si celui-ci se présente. Sa faiblesse est bien évidemment sa jeunesse. Même s’il jouit d’une bonne notoriété, elle reste moins importante que celle d’Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. On le voit sans doute plus dans un poste de Premier ministre que de Président de la république. Egalement, il n’est pas spontanément identifié au niveau de ses idées. On ne le voit pas vraiment comme un libéral, sa capacité à être crédible sur des questions sécuritaires est hésitante, et en particulier sur les thématiques socio-économiques. 

François Bayrou

Bruno Jeudy : Sa force, qui fait aussi sa faiblesse, c’est qu’il a déjà fait trois campagnes présidentielles. Il sait ce que cela implique en termes de ténacité, de détermination… Il a cette incroyable capacité à croire en lui-même quand il n’est qu’à 5% dans les sondages, ce qui a été le cas pendant toute sa première campagne. Ses faiblesses très nombreuses, c’est qu’il a toujours été éliminé au premier tour, ses soutiens sont dangereusement réduits, en termes d’élus également. Il joue un peu la doublure de Juppé. Pour autant, dans les sondages, il reste tout de même à un score entre 7% et 10%, ce qui représente une belle base de départ. 

Manuel Valls

Bruno Jeudy : Le préféré de l’opinion avec Alain Juppé. Alors qu’il ne pesait que 5% à la primaire de 2011, il est aujourd’hui en mesure d’aller au second tour. Il ose briser les tabous sur les sujets de son propre camp, braconne sur les terres de la droite en s’emparant de questions sécuritaires, régaliennes. Sa principale faiblesse est d’être Premier ministre d’un président qui a l’intention de se représenter : et il y a une vieille loi dans la Ve République qui dit qu’il n’y a pas de place dans le camp du Président. Pour l’instant, c’est sa principale faiblesse, et elle est rédhibitoire. Manuel Valls a fait le ménage à gauche. Arnaud Montebourg n’est plus susceptible d’entrer en compétition avec lui. Mais c’est quelqu’un de patient, et je ne le vois pas forcer les choses. Il est dans la conception d’un parcours pour s’imposer  comme un recours plus tard.

François Hollande

Bruno Jeudy : Sa principale faiblesse réside bien entendu dans son bilan : 500 000 chômeurs de plus, des impôts augmentés, une politique économique désavouée, surtout à gauche. Certes il a gagné ses galons de présidentiable avec l’épisode Charlie, mais cela ne sera pas suffisant pour espérer gagner en 2017. Sa seule force, c’est qu’il est Président de la République sortant. Il est le maître du temps, a des instruments institutionnels à sa disposition pour faire des référendums, prendre des initiatives.

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