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Pas de drapeau français sans certification : cette nouvelle forme de racket que les députés viennent d'instituer
©Reuters

Têtes de turc

L'Assemblée nationale a décidé d'interdire l'utilisation du drapeau français sur les produits vendus en France qui ne bénéficieraient pas d'une garantie d'origine française.

Les Entrepreneurs Exaspérés  de Parrainer la Croissance

Les Entrepreneurs Exaspérés de Parrainer la Croissance

Parrainer la Croissance est une association qui a 2 objectifs :

- Démontrer que l’entrepreneur et leurs entreprises constituent le dernier outil à notre disposition pour refonder la société.

- Briser la logique d’autocensure, qui empêche de croître ou de partir à la conquête de l’international.

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Dans le cadre de l’examen du projet de loi Macron, les députés ont adopté le 30 janvier, à l’unanimité et avec avis favorable du gouvernement, l’amendement n°1844 visant à qualifier de pratique commerciale trompeuse le fait de faire « apparaître un drapeau bleu blanc rouge sur un produit vendu en France qui ne bénéficie pas d’une appellation d’origine, d’une indication géographique ou qui n’a pas fait l’objet d’un processus de certification attestant son origine française. Cet amendement émane du député-maire UDI Yves Jego. Or celui-ci cumule également la fonction de Président de l’association Pro France chargée de l’attribution du label privé « Origine France Garantie » (OFG), qui est aujourd’hui le seulprocessus de certification attestant l’origine française existant à ce jour pour les produits non-alimentaires.

Désormais une entreprise qui veut valoriser sa production française auprès des consommateurs, n’a quasiment plus le choix, que de passer par un label payant, présidé par un député. Cela pose un problème : Peut-on être législateur et président de l’organisme qui sera le principal bénéficiaire de la loi ?

En effet, le drapeau français est le signe le plus efficace du marketing made in France, utilisé par des milliers d’entreprises quand moins de 400 autres utilisent le label OFG. Pour exemple, c’est bien ce drapeau tricolore et pas autre chose que le groupe Seb utilise depuis des années sur ses produits fabriqués en France (aspirateurs Rowenta, fers à repasser Calor ou friteuses Seb, assemblées respectivement en Normandie, Rhône-Alpes et Bourgogne). Et pourtant Seb fut un des premiers soutiens financiers de l’association d’Yves Jégo. Mais Seb a fait ses calculs et constate une notoriété et une efficacité marketing bien supérieure pour le drapeau tricolore que pour le label OFG, toujours très méconnu du grand public après pourtant plus de 3 ans d’existence. C’est pourquoi il a fait le choix de ne pas se faire labelliser. Il est fâcheux que les responsables d’une des marques made in France les plus puissantes doutent que ce label rapporte plus qu’il ne coûte.

L’obtention du label OFG nécessite en effet de se soumettre à deux lourds audits initiaux, renouvelés chaque année: Un audit documentaire qui mobilise différentes équipes et la visite sur site d’un auditeur externe (Bureau Veritas, Afnor ou SGS) qui mobilise le chef d’entreprise pendant une journée. La labellisation OFG vaut 3 ans et son coût varie, en fonction de la complexité du processus de production et du nombre de sites, de 1000 euros minimum pour une TPE à quasiment 100.000 euros pour un constructeur automobile.

Cet amendement est cohérent avec les déclarations répétées du député : Toute entreprise qui prétend fabriquer en France sans avoir payé cette labellisation est présumée tricheuse. Qu’importe que nombres de fabricants made in France n’aient pas les moyens de se la payer, ou qu’ils préfèrent d’autres moyens pour faire connaître leur fabrication française (transparence de l’information, organisation de visites de leurs sites de production) ou qu’il concentrent leurs maigres moyens sur la force commerciale avec par exemple une présence sur le salon du made in France ou sur d’autres sites web spécialisés. Alors que la loi Macron ouvre beaucoup de secteurs à la concurrence, c’est l’exact inverse qu’organise cet amendement qui limite le marketing made in France des produits manufacturés au seul label d’un député. Croyez-vous par exemple que les Atelières, la marque de lingerie fondée par les ex-Lejaby qui vient malheureusement d’être liquidée, auraient eu les moyens de se payer une labellisation? Pourtant leur communication usant beaucoup du drapeau tricolore leur aurait valu un redressement de la DGCCRF sur la base de ce nouvel amendement et aurait donc été passible d'une peine de 2 ans de prison ou d'une amende de 37 500 euros pour ne pas avoir le label OFG les autorisant à user du drapeau national.

En outre les deux critères du label OFG (50% du prix de revient unitaire d’origine française et « l’acquisition en France des caractéristiques essentielles du produit ») ne résument pas à eux seuls toutes les problématiques de la fabrication française qui varie grandement d’un secteur à l’autre. Pour un produit électronique par exemple, il est très difficile d’attendre le seuil de 50% d’origine française des composants, étant donnée la disparition de tout fournisseur français de micro-électronique ou de petits moteurs. Cette réalité n’enlève rien au fait que le groupe Seb emploie toujours 6000 personnes à la conception et l’assemblage en France et est un des derniers fabricants français de petit électroménager. Mais il ne pourra plus le faire savoir aux consommateurs en utilisant le drapeau national. Dans le textile, c’est le choix fait par le label OFG de privilégier la confection en France au tissage qui fait grincer des dents. On peut confectionner en France des chemises avec du tissu étranger et être labellisé OFG mais pas l’inverse. La filière française emploie pourtant sensiblement plus de salariés en amont, à la production de la matière textile qu’en aval, à la confection des articles.

Mais les tricheurs ça existe me direz-vous et il faut les combattre. Oui en effet, même si bien peu de cas d’usage frauduleux du drapeau français soient avérés à ce jour. Surtout des dispositions existent déjà en la matière : La pratique commerciale trompeuse définie au L.121-1 du code de la consommation et la tromperie au L.213-1 du même code, constituent deux délits dont la dernière loi « consommation » vient d'en alourdir les peines assorties.

M. Jégo soutenait en commission, devant ses pairs ignorants des problématiques du made in France et un gouvernement à la recherche d’appuis centristes pour voter sa loi que « compte tenu des moyens limités de la direction ad hoc de vos services, les sanctions sont faibles, le nombre des contrôles insignifiant, pour ne pas dire qu’ils sont inexistants ». Cela justifierait à ses yeux une interdiction a priori et non plus a postériori de l’usage du drapeau tricolore. Mais si l’Etat (DGCCRF et Douanes) n’a pas les moyens de contrôler a postériori les lois existantes, pourquoi et comment en aurait-il demain plus les moyens pour faire appliquer cette interdiction a priori ? Que beaucoup d’honnêtes PME se sentent en revanche obligées de payer le seul label existant semble bien plus logiquement prévisible.

Et ça tombe bien en ce début d’une année risquée pour le label OFG, fondé en 2011, valable 3 ans et qui voient donc arriver l’échéance de labellisation des entreprises pionnières, chez qui le doute commencerait à poindre. Quand un label privé ne décolle pas sur la base du volontariat, n’est-il pas tentant d’utiliser sa casquette de député pour le rendre obligatoire ?

En outre si le « french-washing » n’est pas une invention, il s’exerce de mille autres manières que par l’usage du drapeau tricolore, pourtant seul objet de cet amendement. En effet, Renault qui vante la « french touch » de ses modèles made in Turquie ou made in Espagne ne sera pas inquiété par l’amendement. Les hexagones, coqs et autres tours Eiffel ne sont pas concernés par l’amendement qui ne préservera donc en rien les consommateurs des communications ambiguës. Les quelques fraudeurs pourront contourner sans problème une règle, dont l’objectif semble ailleurs.

Président bénévole d’une association à but non-lucratif, Yves Jégo ne peut être soupçonné d’enrichissement personnel. Mais la question du mélange des genres se pose. D’autant plus qu’il concerne le drapeau national. L’amendement Jégo va octroyer à son association un quasi-monopole sur le secteur du marketing patriotique. Or l’essentiel des efforts de communication du label consiste à relayer les visites d’usine du député lors de ses remises officielles du certificat. On imagine mal cette communication avoir plus d’effet commercial que de but politique: celui d’enfiler la marinière abandonnée par Arnaud Montebourg de héro national du made in France. Et qu’importe si pour cela il faille confondre les mandats publics et privés, augmenter les charges et réglementations qui pèsent sur les dernières entreprises fabriquant encore en France, sans rien régler aux questions de «  french-washing ».

Une fois de plus, l’entrepreneur est l’otage du politique. C’est forcément un déni de liberté et un mélange des genres, qui nous fait boire, une fois de plus, un bien mauvais cocktail.

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