Doubler le PIB chinois d’ici 2035 ? Voilà pourquoi l’objectif de Xi Jinping est un pur fantasme<!-- --> | Atlantico.fr
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Chine Xi Jinping
Chine Xi Jinping
©STR / AFP

Prévisions

A l'occasion de la dernière réunion du Parti Communiste Chinois, Xi Jinping a présenté des objectifs pour les 15 prochaines années, dont la volonté de doubler le PIB d’ici 2035. Cet objectif est-il réalisable en si peu de temps ?

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico.fr : Lors de la dernière réunion du Parti Communiste, le Président chinois Xi Jinping a présenté des objectifs pour les 15 prochaines années, dont celui de doubler la taille de son économie d’ici 2035. Comment compte-t-il s’y prendre ?

Emmanuel Véron : Fin octobre dernier était réuni le plénum du Parti Communiste Chinois (PCC) dans la continuité d’un discours et « célébration » de la victoire de la Chine sur la pandémie de Covid-19, le tout concentré autour de la personne de Xi Jinping. Lors du plénum, rassemblant 370 membres du PCC, plusieurs points importants ont été mis en avant, notamment en matière économique et de développement technologique. Ces réunions politiques annoncent les grandes orientations du pays. Xi Jinping use de ce calendrier politique pour continuer de « reprendre » la main après les débuts chaotiques de la crise sanitaire partie de Chine courant 2019. Ainsi, Xi Jinping prépare son avenir politique à la tête de la Chine, au-delà de trois mandats. Il se projette alors au pouvoir jusqu’en 2035, peut-être après. Ce tempo politique s’accompagne de slogans, de programmes et d’idées qui ne sont pas nouvelles. Au contraire, ceci puise dans la gouvernance politique du régime de Parti-Etat se fixant des caps (inatteignables ?) en matière économique, démographique, financier, militaire, etc.

Le pouvoir met en avant plusieurs paramètres dont des objectifs économiques et technologiques en écho à des programmes initiés il y a plus de 5 maintenant, notamment le fameux programme « Made in China 2025 », lequel assurait à la Chine une pleine autonomisation technologique dans divers domaines stratégiques, le tout étalé sur 10 ans (2015-2025). La forte dégradation des relations entre la Chine et les Etats-Unis, ainsi que les difficultés pour la Chine de se doter d’une réelle capacité d’innovation ne permettront pas d’atteindre les objectifs de ce plan.

La « vision 2035 » reprend le même esprit adapté au contexte géopolitique et économique actuel en lien avec la guerre commerciale et technologique sino-américaine et la décélération de l’économie mondiale depuis le début de la crise de la Covid-19. Le plan du régime repose en trois temps : être moins dépendant des exportations, avoir une autonomie dans les technologies et développer son marché intérieur. Ce dernier serait le vecteur du PIB chinois à l’avenir. Cette dynamique s’inscrit dans un jargon nouvellement appelé « circulation duale » ou « double circulation ». Dans les faits, cette volonté et ces discours de développement du marché intérieur reposant sur une classe moyenne chinoise bien établie n’est pas nouveau. Déjà, la gouvernance Hu Jintao – Wen Jiabao parlait de développement du marché intérieur chinois dans les années 2000. Structurellement, le régime n’y parvient pas. Les exportations restent majeures et les lacunes de de la couverture sociale, les pensions de retraites, les aides aux étudiants pour financer leurs études et l’épargne (importante) sont autant de paramètres structurels de la société chinoise, malgré son enrichissement évident depuis le début des années 1980.

Est-ce réalisable en si peu de temps ?

Conjoncturellement, alors que l’économie mondiale est fortement ralentie, le FMI annonçait récemment que la Chine afficherait une croissance à 1,9 % cette année et projette 8,2 % pour 2021. Pour autant, doubler le PIB chinois reviendrait à modifier en profondeur le système sociétal, ouvrir l’économie privée et restructurer les grands groupes étatiques autant que le shadow banking. En 2019, le PIB chinois est d’environ 14 400 milliards de dollars, derrière celui des Etats-Unis autour de 20 000 milliards de dollars. Cela reviendrait à un PIB de 30 000 milliards de dollars dans 15 ans… Les annonces de Xi Jinping portent évidemment en elles un vecteur de guérilla psychologique à l’endroit de l’Occident, les Etats-Unis en particulier. Un message fort adressé au peuple chinois insistant sur les difficultés de l’Occident à gérer la crise sanitaire, se doublant dans la durée de très grandes difficultés économiques et sociales.

A noter que dès la période Mao dans les années 1950, par exemple, le régime souhaitait dépasser les capacités industrielles des pays comme l’URSS ou la Grande-Bretagne… cela a en partie conduit le pays à la famine lors du Grand Bond en Avant (1958). Dans un régime politique fermé, autoritaire sinon, totalitaire, les mots et les chiffres ont un sens volontariste menant à l’idée de prophétie autoréalisatrice. Certes le développement rapide (fulgurant même) de l’économie chinoise entre 1980 et aujourd’hui est bien réel, mais en rien le fait de mots et autres slogans… mais plutôt à une stratégie concertée d’ouverture économique partielle du pays et d’une partie de la population, reposant sur d’importants sacrifices humains, écologiques et sanitaires, corrélés à des transferts massifs de technologies et des investissements de toute la planète.

Lors du discours et de la présentation du 14eme plan quinquennal, Xi Jinping utilisa les termes « innovation » et « technologie » à plus d’une vingtaine de reprises. Aussi, le mot sécurité est très largement redondant. C’est un signal évident des velléités du régime de couper la Chine d’une mondialisation qu’elle souhaite paradoxalement dominer et diriger.

Plusieurs limites à cette perspective de doublement du PIB peuvent être aisément mises en avant : la structure démographique du pays et la nature de son régime politique qui contraint très fortement le secteur privé (ce qui est une des forces de l’économie américaine). Aussi, l’économie chinoise ne bénéficiera pas comme dans les années 1980 à 2008, des investissements massifs du monde entier sur son territoire contre transferts de technologie et main d’œuvre à bas coût.

En réalité d’ici 2035, la Chine pourrait atteindre quel niveau de son PIB ? Et avec quels moyens ?

Difficile de dire quel sera le PIB de la Chine en 2035, et ce, avec une précision d’orfèvre. Plusieurs projections existent. L’essentiel est de savoir si l’économie chinoise sera la première, y compris le PIB/habitant. Le régime cherche à accélérer le processus de montée en puissance, le tout en spéculant sur l’effondrement de la puissance américaine et ainsi vaincre sans combattre…Ce qui est prévisible pour les 15 prochaines années, ce sont les perspectives démographiques : vieillissement de la population chinoise, déséquilibre des sexes et un surplus de main d’œuvre moins jeunes qu’aujourd’hui, a fortiori qu’hier, plus difficilement exportable en Asie, en Afrique, voire en Europe ou en Amérique latine. Aussi, pour combler ces difficultés, le régime souhaite intensifier les programmes d’IA, de robotique et de quantique afin de combler les problématiques démographiques. D’ici là, les progrès seront certes acquis (déjà visibles dans une certaine mesure), mais la question de la dette et du shadow banking demeureront et s’il n’y a d’emballement de l’économie chinoise en raison de ces grands risques, la fragilité d’un système économique et financier (défauts de paiements et problématiques bancaires accumulées) pourrait ternir les plans politiques d’un régime reposant sur une forme de fuite en avant.

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