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Double effondrement PS/LR : quel impact pour l’identité politique de LREM ?
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Relution

Avec respectivement 6,3 et 8.5% des voix, le Parti socialiste enregistre le pire score de son histoire à des élections européennes tandis que les LR perdent 12 points par rapport au dernier scrutin.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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ATLANTICO : Selon un député LREM, Emmanuel Macron a donné son feu vert à la création d'un nouveau mouvement de gauche, Macron-compatible, destiné à séduire d'anciens élus et des sympathisants du PS. Compte-tenu du cuisant revers subi par le PS et Génération.s lors du scrutin européen, ce LREM de gauche peut-il réussir à recruter les cadres socialistes décus de l'effondrement de la gauche ?

Jean Petaux : L’idée semble pertinente et opportune dans la mesure où il y a certainement une « fenêtre de tir » pour une telle création qui serait, somme toute, le pendant d’AGIR, la formation créée par Franck Riester, Fabienne Keller (présente sur la liste Loiseau), Frédéric Lefebvre ou Louis Vogel. La question qui se pose est celle de savoir s’il reste encore des « cadres » ou des « troupes » (voire des électeurs) à récupérer dans les rangs du PS. Un département de Nouvelle-Aquitaine, les Landes, considéré il y a peu comme une terre demeurée fidèle au PS, a donné un résultat surprenant aux élections européennes. Véritable fief socialiste à l’époque d’Henri Emmanuelli, inamovible président du Conseil général pendant près de 35 ans (de 1982 à son décès en 2017) avec une interruption de 3 années, pas du tout pour des raisons politiques, les Landes ont été un des rares départements en 2017 à élire un député socialiste :  Boris Vallaud, justement sur la circonscription « historique » d’Henri Emmanuelli. D’extrême justesse d’ailleurs : 50,75% des voix au second tour contre 49,25% à son adversaire : 691 voix d’écart sur plus de 46.000 suffrages exprimés. Dimanche soir 26 mai 2019 c’est la liste LREM+MODEM, emmenée par Nathalie Loiseau, qui est sortie en tête dans ce département des Landes avec 22,95% des suffrages exprimés, devant la liste RN (Bardella) qui a obtenu 21,29% des SE, reléguant les deux listes « de gauche »  issues du PS (Glucksmann et Hamon) à moins de 15% des SE à elles deux : Glucksmann (10,47%) et Hamon (4,29%). Résultats d’ailleurs élevés par rapport à leurs scores respectifs au plan national. Cet exemple montre clairement que le siphonage de l’ex-électorat PS par la LREM est déjà opéré et qu’une partie significative de cet électorat qui a voté Macron aux premier et second tours de la présidentielle de 2017 est en train de s’ancrer dans ce comportement au lieu de « revenir au bercail socialiste ». On peut imaginer que les conséquences des contre-performances des listes PP+PS (tandem Glucksmann-Faure) et Génération.s (liste Hamon)  vont rapidement se manifester dans les mois à venir. D’ores et déjà Benoit Hamon a annoncé, avant les résultats du vote, que s’il n’atteignait pas le seuil du remboursement (3% des SE) il abandonnerait la vie politique. A 21h30, dimanche 26 mai, les estimations le créditaient de 3,3%... Quant à la « stratégie » du PS et de son premier secrétaire Olivier Faure, on voit mal comment l’addition ne lui serait pas présentée par un certain nombre de caciques socialistes (ceux qui sont restés au moins…) tels Stéphane Le Foll ou d’autres. Voilà qui aura au moins le mérite de dégager peut-être un espace pour Bernard Cazeneuve qui apparait de plus en plus comme un recours possible dans ce champ de ruines… Pour Emmanuel Macron il y a sans doute urgence quand même à organiser et à structurer une offre politique à même de proposer aux électeurs de gauche, en rupture de PS, une solution alternative crédible. La nature (même politique) ayant horreur du vide , il y aurait sans doute une occasion manquée si ce choix n’était pas opéré.

Alors que l'influence des anciens de LR, notamment sarkozystes, est forte au sein du gouvernement, ce LREM ancré plus à gauche pourrait-il peser au point d'infléchir la politique d'Emmanuel Macron ?

Si cette « aile gauche » de LREM se met en ordre de marche, y compris sous la forme d’un parti ou d’un mouvement indépendant, on peut concevoir que ce ne sera pas seulement « pour la galerie » ou pour « colorier » en « progressisme » une politique gouvernementale clairement libérale au plan économique par exemple. Donc, comme vous le dites fort bien, de la même manière que la « branche ex-Sarkozyste » de l’attelage gouvernemental (Le Maire, Lecornu, Darmanin) pèse sur les choix budgétaires et économiques de l’exécutif, cette formation partisane de « recyclage » de personnalités ex-Socialistes serait aussi destinée à jouer sa propre partition. Les Gaullistes ont connu cela à l’époque triomphante du gaullo-pompidolisme avec des « gaullistes de gauche » (UNR-UDT) parmi lesquels on comptait des personnalités comme René Capitant, Edgar Pisani ou .Léo Hamon. D’ailleurs certaines de ces figures (dont certaines étaient d’ailleurs de grands Résistants, tels Pisani) ont rejoint les rangs de la gauche en 1981 en soutenant François Mitterrand pour sa présidentielle victorieuse. Le principal risque politique, dans cette sorte de « patchwork » de bricolage idéologique, c’est que LREM d’une part et surtout l’exécutif de l’autre, s’exposent à une forme de grand écart politique permanent. Au lieu de fonctionner en harmonie, avec ses fameuses « deux jambes », la droite et la gauche, l’attelage gouvernemental  est alors menacé d’écartèlement… On se souviendra du supplice du régicide Damien, coupable d’avoir voulu attenter à la vie de Louis XV, dûment analysé par Michel Foucault dans les premières pages de « Surveiller et Punir » pour convenir que cela ne fait pas forcément du bien…

Aussi bien LR que le PS apparaissent comme les deux grands partis politiques battus au soir des Européennes 2019 en France ? Quel peut être leur futur proche ?

Vous pouvez aussi ajouter La France insoumise, non pas pour  « faire bonne mesure » mais pour confirmer l’analyse qui veut que deux des formations arrivées dans le « quatuor de tête » du premier tour de la Présidentielle en 2017 (LR et FI) ont rejoint le PS  totalement explosé lors de cette consultation. Pour ces trois formations politiques les temps qui s’annoncent vont être sérieusement confondus avec la « mer des Tempêtes ». J’en ai déjà parlé pour le PS, je n’y reviens pas. Pour LR la « gifle » est d’autant plus sévère que les héritiers du gaullisme ont pu croire, au vu de quelques sondages pendant la campagne, que la sortie du purgatoire était proche et que le « coup Bellamy » était, à défaut d’être un « coup gagnant » au moins un « coup d’arrêt » vers la descente aux enfers… Quand le protégé de Laurent Wauquiez était crédité de 15% des voix avec une tendance haussière et qu’il était même envisagé comme pouvant « croiser » la courbe de la liste Loiseau, les cadres, les militants et les électeurs LR se sont même pris à rêver de retrouver le score (médiocre et surtout disqualificatif) de François Fillon au soir du premier tour de la Présidentielle de 2017. Las, non seulement il n’en a rien été mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit. En pourcentage des suffrages exprimés, la liste Bellamy fait, selon les estimations de 21h30, pratiquement la moitié (8,2%) du score le plus haut que les instituts de sondages envisageaient pour elle, au « plus beau » de l’embellie LR, pendant la campagne… Avant d’ailleurs que le « doux philosophe » n’intervienne, contre l’avis des proches de Wauquiez, dans la triste « affaire Lambert ».

Véritable claque pour l’inventeur de Bellamy, Laurent Wauquiez, la gestion de l’après défaite a commencé dès ce soir avec une prise de parole du « «patron » de LR de moins de 2 minutes, dès 20h15, destinée à « tuer le match » des éventuelles critiques internes immédiates. On peut s’interroger sur l’efficacité de cette tactique quand il s’agira de survivre à une « Nuit des Longs couteaux » que ne manqueront pas de sortir des fourreaux aussi bien Valérie Pécresse que surtout Xavier Bertrand, totalement absent de cette séquence européenne pour mieux rebondir de sa région des Hauts-de-France sur le siège de LR. D’autant que Laurent Wauquiez, de retour dans sa région Rhône-Alpes-Auvergne, ne va pas tarder à être confronté à une crise au sein de sa majorité politique à même de le chahuter très sérieusement à la présidence de la Région avec une dissidence prévue d’une partie des élus UDI. En 2017, après le raz-de-marée des législatives qui avait, certes, laminé les « vieux partis » de « l’ancien monde » (dont, évidemment, LR) mais de manière un peu inégale puisque LR justement était quand même demeuré le deuxième groupe parlementaire à l’Assemblée, le premier ministre Edouard Philippe aimait dire que « sous les coups de boutoir » de LREM la « poutre de l’immeuble LR bougeait toujours », comme une poutre maitresse peut être encore sensible aux répliques d’un séisme et menacer de s’effondrer après le premier choc. Clairement on doit considérer après le 26 mai 2019, pour paraphraser Roger Couderc, grand commentateur des matchs du Tournoi des Cinq Nations, que « la poutre de la cabane est tombée sur le chien », expression qu’il affectionnait pour désigner une raclée mémorable… Là, en l’espèce, elle est tombée sur Laurent Wauquiez. Si on voulait faire de l’ironie grinçante (mais comme disait Françoise Giroud : « On ne tire pas sur une ambulance ») on pourrait dire que, dans son penchant obsessionnel à vouloir éliminer ses éventuels rivaux, ou ceux qui pouvaient potentiellement lui faire de l’ombre, telle Virginie Calmels, son éphémère numéro 2 après 2017, Laurent Wauquiez va faire l’économie d’une balle : il n’aura pas à tuer politiquement François-Xavier Bellamy, renvoyé sans frais à Versailles en passant quand même par la case Strasbourg. D’autres en revanche, qu’ils se nomment Retailleau, Bertrand (on l’a vu) ou encore Pécresse mais peut-être même Didier ou encore Estrosi (à moins qu’il ne s’agisse de Ciotti) ne vont pas quitter la roue de Laurent Wauquiez… Pas pour la lui sucer comme au plus fort d’un sprint… Plus prosaïquement pour l’accrocher et l’envoyer contre les balustrades, ou dans le ravin…  Sans compter que Marine Le Pen, dans sa propre stratégie, dès ce soir, va continuer le travail de sape et de débauche qu’elle a engagé en ramenant à elle les Garraud, Mariani et autres « républicains » en mal de mandats… Coincé entre ses propres amis et la présidente du RN, Laurent Wauquiez va finir par inspirer de la compassion… Un comble.

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