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Donald Trump : le président du nationalisme économique face au géant chinois et à l’Europe
©MANDEL NGAN / AFP

Bonnes feuilles

Benjamin Haddad publie "Le paradis perdu: L'Amérique de Trump et la fin des illusions européennes" (Grasset). La fin de la guerre froide a ouvert une période d’optimisme libéral à laquelle semble succéder une ère de repli. Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Il est le symptôme d’une transformation profonde de la puissance américaine en crise. Extrait 2/2.

Benjamin Haddad

Benjamin Haddad

Benjamin Haddad est expert en relations internationales, directeur Europe au Atlantic Council, think tank à Washington.

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Dans ce jeu à somme nulle, les échanges commerciaux font des perdants et des gagnants : Trump est obsédé par les chiffres de la balance commerciale déficitaire des États-Unis. À rebours des économistes, il affiche une vision mercantiliste de l’économie : les exportations sont des succès, les importations des échecs. « L’année dernière, nous avons perdu 500 milliards de dollars dans nos échanges avec la Chine. Nous ne pouvons accepter cela », martèle-t-il. Ses prédécesseurs furent naïfs, voire complices de l’affaissement de la puissance américaine. Comme le dira crûment Steve Bannon, le « PDG » de la campagne de Donald Trump et ancien patron de l’influent site d’extrême droite Breitbart : « Je ne suis pas un nationaliste blanc. Je suis un nationaliste économique. Les globalistes ont éventré la classe ouvrière américaine et créé une classe moyenne en Asie. Les Américains en ont assez de se faire baiser. Si nous obtenons des résultats, nous aurons 60 % du vote blanc, et 40 % du vote noir et hispanique et nous gouvernerons pendant cinquante ans. » Trump le répète souvent : l’immigration et le protectionnisme l’ont fait élire. L’économie est au cœur de cette vision du monde, avec en ligne de mire les États désindustrialisés du Nord comme le Michigan, la fameuse Rust Belt, « ceinture de la rouille », qui a voté de justesse pour un candidat républicain, parfois pour la première fois en trente ans. L’attitude de Trump vis-à-vis du libre-échange est ce qui le sépare le plus nettement du parti républicain traditionnel, dominé par des conservateurs libéraux comme Paul Ryan, président de la Chambre des représentants jusqu’en 2018. Son pari politique a réussi : Trump a percé dans des États qui n’étaient même pas considérés comme compétitifs avant 2016.

Si l’immense majorité des économistes voient dans les tarifs douaniers de Trump les prémices d’une guerre économique dangereuse et contre-productive, les avis sont plus partagés concernant les conséquences des accords de libre-échange sur l’industrie américaine. Le président aurait-il perçu une réalité plus contrastée que les avis d’experts et de commentateurs qui pointent les gains du commerce international, et accusent surtout le progrès technologique d’être à la source de la désindustrialisation ? C’est ce qu’affirme une étude du MIT, The China Shock. L’ouverture économique de la Chine, accélérée par son entrée dans l’OMC, aurait certes eu des effets positifs pour l’économie dans son ensemble mais désastreux pour les régions concentrant l’industrie manufacturière. Selon les auteurs, 40 % des destructions d’emplois dans ce secteur entre 2000 et 2007 (soit un million de travailleurs) sont à imputer au choc chinois. Trump a promis de faire revenir les emplois. Il s’est lancé dans une renégociation de l’Alena avec le Mexique et le Canada, s’est opposé au Partenariat transpacifique et impose des tarifs douaniers à la Chine et l’Union européenne. Mesures démagogiques et court-termistes, contrairement à un investissement dans la formation et l’accompagnement des individus dont les emplois ont été détruits, que préconisent les mêmes économistes qui reconnaissent les effets pervers du libre-échange. Peu importe. Trump le sait, sa carte électorale est précaire et il doit donner l’impression d’agir. Sa réélection dépendra de la mobilisation de cet électorat blanc qui s’inquiète de son déclassement dans une Amérique en mutation.

… et l’économie au service de la puissance

Le poids de l’économie américaine et la centralité de son système financier (le dollar) dans les échanges internationaux ont poussé les décideurs américains à élargir leur arsenal de sanctions et à en user sans précautions, y compris en ciblant les activités d’entreprises non américaines, au-delà de leur territoire. Gels d’avoirs, interdictions de financement, amendes : le département du Trésor est devenu ces dernières années un acteur à part entière de la politique étrangère américaine grâce à son puissant bureau, l’OFAC (Office of Foreign Assets Control). Juan Zarate, ancien secrétaire au Trésor adjoint, en charge des financements du terrorisme et des activités criminelles, le revendique dans ses Mémoires, La Guerre du Trésor : « L’OFAC, hébergé dans l’annexe du Trésor, à côté de Lafayette Park, de l’autre côté de la rue du bâtiment principal, était peut-être l’agence la plus puissante, et pourtant inconnue, de l’État américain. Ce qui rendait l’OFAC si puissant n’était pas tant sa capacité à geler des avoirs ou des transactions, que son pouvoir de bloquer l’accès au système financier américain aux individus désignés et leurs associés. » Utilisées traditionnellement avec un but politique clair (ramener un adversaire à la table des négociations – comme ce fut le cas avec l’architecture de sanctions contre l’Iran pendant les négociations sur le nucléaire – ou lutter contre les financements de réseaux terroristes), les sanctions sont devenues un instrument de coercition ou de représailles par défaut. Elles permettent de donner l’impression d’agir en payant un coût moindre. Nous en examinerons les conséquences pour l’Europe dans les chapitres suivants. 

Le système financier n’est pas le seul à appuyer la puissance américaine. Les États-Unis connaissent une révolution énergétique sans précédent avec l’exploitation par le procédé dit de « fracturation hydraulique » de ses réserves considérables en gaz de schiste. Les exportations de pétrole et de gaz naturel liquéfié sont en augmentation constante et les États-Unis devraient devenir le premier producteur de pétrole en 2019. Les importations d’énergie ont diminué de 95 % depuis leur pic en 2008. L’administration Trump veut non seulement renforcer cette tendance, en levant les régulations qui pèsent sur l’exploration du schiste, mais aussi faciliter les exportations de gaz naturel vers ses partenaires et damer ainsi le pion à Moscou. L’Amérique se rapproche de cette indépendance énergétique dont elle fait un objectif depuis la présidence Nixon. Si l’on exagère souvent l’importance que revêt le pétrole dans la conduite de la politique américaine au Moyen-Orient (en particulier dans le déclenchement de la guerre en Irak, qui fut essentiellement une aventure idéologique), cette transformation des États-Unis en puissance énergétique renforce les partisans d’un retrait progressif de la région.

Extrait du livre de Benjamin  Haddad, "Le paradis perdu: L'Amérique de Trump et la fin des illusions européennes", publié aux éditions Grasset.

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