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Donald Trump : 1 an sans "Tsar de la drogue"
©JIM WATSON / AFP

Narcos

La situation du narcotrafic et de la consommation de drogue est loin d'être idyllique depuis l'accession au pouvoir du président.

Georges Estievenart

Georges Estievenart

Responsable des études européennes de l’IPSE, Directeur honoraire de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, enseignant à Sciences Po-Paris et au Centre d’études diplomatiques et stratégiques. Il a exercé les fonctions de coordinateur du dossier « drogues » à la Commission européenne, à la DG relations extérieures, puis, comme chef d’unité, au Secrétariat général, avant de diriger l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, à Lisbonne, de 1994 à 2005.

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Depuis 1986 - le Président des Etats-Unis était alors Ronald Reagan - la coordination fédérale de la lutte contre la drogue est assurée par l’Office de la Politique Nationale de Lutte contre la Drogue (ONDCP), rattaché au Bureau Exécutif du Président. Son Directeur, connu sous l’appellation de « Tsar de la drogue », a depuis ce moment joué un rôle décisif auprès du Président des Etats-Unis pour la détermination des priorités de la stratégie nationale de lutte anti-drogues, pour la coordination des différentes entités et agences nationales responsables de l’application de la loi et de la répression (Department of Justice/Drug Enforcement Agency ; Department of Homeland Security/US Customs and Border Protection), comme de la prévention et du traitement des toxicomanies (Public Health Service/Centers for Desease Control and Prevention) et de la coopération internationale, ainsi que pour l’allocation des ressources votées à cet effet au plan fédéral (27,5 milliards $ en 2017 ; une modeste augmentation de 300.000$ est demandée pour l’année fiscale 2018). Certains d’entre eux, comme John Walters, sous les Présidences de George H.W.Bush (1993), puis George W.Bush (2001-2009), ou Barry McCaffrey, sous la Présidence de Bill Clinton (1996-2001) se sont vraiment  montrés à la hauteur de leur appellation populaire de « Tsars de la drogue ». Les derniers en date, Gil Kerlikowske (2009-2014), et Michael Botticelli (2014-2017) ont porté quant à eux la démarche prudente, mais évolutive, du Président Obama sur ce sujet ultra-sensible aux Etats-Unis. Cette tâche s’avère d’autant plus délicate que, au cours des années 2000, et malgré les sommes énormes englouties au plan fédéral, la consommation des stupéfiants aux Etats-Unis est allée croissant, et que la contradiction entre la loi fédérale, immuablement prohibitionniste et d’inspiration globalement répressive, est de plus en plus battue en brèche par les velléités de décriminalisation, voire de légalisation du commerce et de la consommation de stupéfiants dans certains Etats fédérés. Ainsi, le 1er janvier 2018, est entrée en vigueur en Californie, l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis, la légalisation du commerce du cannabis. La Californie est ainsi le 9ème Etat américain à adopter une telle mesure, dont le chiffre d’affaires pourrait s’élever jusqu’à  5,8 milliards $ dans ce seul Etat à l’horizon 2021.

La campagne électorale de l’automne 1996 n’a pas permis de jauger, et encore moins de juger  la vision stratégique des candidats sur l’un des fléaux les plus dévastateurs pour la société américaine. Donald Trump, quant à lui, s’en est tenu pour l’essentiel à des assertions à l’emporte-pièce : intention affichée d’être « tough on crime », accusation des Mexicains d’être de vulgaires « violeurs » et « trafiquants de drogues ». Si l’on comprend bien, il voulait surtout s’efforcer de remplir les prisons, déjà surpeuplées, de contrevenants à la législation fédérale sur les stupéfiants (les prisons américaines « accueillent » pourtant déjà près de 2.500.000 prisonniers, soit 25% de la population carcérale mondiale), et il se proposait de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique (à payer intégralement par le Mexique), pour bloquer à la fois l’importation devenue exponentielle de drogues en provenance de ce pays et l’invasion d’immigrants mexicains et centre-américains, pour lesquels il éprouve et exprime le plus profond mépris.

La situation intérieure des Etats-Unis en matière de trafic et de consommation de drogues mériterait pourtant une approche plus fine et plus sérieuse du problème. Depuis la fin des années 1990, le marché de la consommation de drogues aux Etats-Unis n’a fait qu’empirer. Si la consommation de cocaïne en provenance des pays andins est plus ou moins stable ces dernières années, celle des opiacés, du cannabis et des drogues de synthèse (métamphétamine) s’est littéralement envolée. Le Mexique, autrefois  relais secondaire des cartels colombiens exportateurs de cocaïne, est entretemps devenu l’acteur principal de la scène drogues des Etats-Unis. Les narcos mexicains (7 cartels principaux dans les années 2000, bien davantage dans les années 2010 en raison de leur fragmentation), maîtrisent désormais tant l’exportation de cocaïne en provenance des pays andins (90%), que la production et le trafic vers et à l’intérieur des Etats-Unis d’héroïne, de cannabis et de drogues de synthèse. Cet approvisionnement massif en provenance du Mexique est complété par une production endogène elle aussi en expansion. De plus, à partir des années 2000, est venu se surajouter un phénomène des plus préoccupants : l’explosion de la surconsommation d’opioïdes analgésiques, en principe délivrés par les pharmacies sur prescription médicale, mais qui, compte tenu de l’explosion de la demande interne, peuvent être facilement obtenus soit par le biais d’une pratique laxiste de la prescription médicale, soit sur des marchés parallèles, éventuellement sous forme de produits de contrefaçon, d’autant plus accessibles qu’Internet les propose à des prix défiant toute concurrence, et hors de portée des moyens de contrôle traditionnels des agences répressives américaines, notamment de la DEA.

Confronté à cette dure réalité dès sa prise de fonction, Donald Trump va faire preuve en la matière d’un manque cruel de vision stratégique. On peut toutefois penser qu’il va s’empresser de nommer un « Tsar de la drogue » partisan de l’approche dite du « gros bâton », tant à l’intérieur (prohibition renforcée), qu’à l’extérieur (éradication militarisée des cultures de drogues illicites au Mexique et dans les pays andins). Mais en ce domaine comme en d’autres, il va d’abord s’attacher à détricoter le travail laborieusement effectué par son prédécesseur Barack Obama. D’une part, il tente, avec le succès que l’on sait, de mettre un terme à l’ »Obamacare », qui prévoit entre autres le remboursement des frais de traitement encourus par les toxicomanes ; d’autre part, il nomme Jeff Sessions au Département de la Justice avec pour instruction de durcir les sanctions contre la consommation, le deal et le trafic de drogues.

Après avoir menacé de couper les crédits de l’ONDCP, et tergiversé sur la nomination de son Directeur (le « Tsar de la drogue »), il se décide enfin à proposer la nomination de Tom Marino, un représentant Républicain au Congrès. Mais celui-ci fait l’objet d’une enquête à charge du Washington Post, pour avoir facilité en avril 2016 l’adoption d’une législation favorable à l’industrie pharmaceutique et nuisible à l’action de la DEA contre les grossistes et distributeurs fournissant des médecins et des pharmaciens véreux soupçonnés d’alimenter le marché noir des opioïdes ! Devant l’émotion soulevée par ces révélations d’un « mauvais genre », Donald Trump annonçait par tweet le 17 octobre 2017, que Tom Marino avait finalement renoncé à prétendre au poste de »Tsar de la drogue »…. Un an après la prise de fonction du Président des Etats-Unis, l’un des postes les plus en vue (et les plus exposés) de la haute administration américaine reste donc non pourvu, Donald Trump ayant dû se contenter de nommer à la va-vite un obscur et inexpérimenté assistant de campagne électorale de 24 ans, Taylor Weyeneth, en qualité de « faisant fonction » pour assurer a minima la pérennité des fonctions du prestigieux Office de la Politique Nationale de Lutte Anti-Drogue … qu’il avait pensé un moment supprimer.

Pour autant, l’aggravation de la « crise des opioïdes »(4) qui se traduit, année après année, par la montée en flèche des décès par overdose d’opioïdes, et plus particulièrement de fentanyl, un opioïde de synthèse de 50 à 100 fois plus puissant que la morphine, ne saurait se satisfaire de manœuvres dilatoires et exige une action immédiate. En effet, le nombre de décès par overdoses, qui n’était encore que de quelque 50.000 en 2015, est passé à 64.000 en 2016, soit 175 par jour ! En l’absence, regrettable en la circonstance, d’un « Tsar de la drogue » consensuel, Donald Trump se voit dans l’obligation de mettre en place dès le 29 mars 2017 une commission parlementaire spécifiquement consacrée à la « crise des opioïdes », présidée par le Gouverneur Chris Christie (un ancien procureur fédéral et Gouverneur républicain du New Jersey). Le 26 octobre, il déclare officiellement la crise des opioïdes « urgence de santé publique » avant même de connaître les résultats des travaux de la commission. Celle-ci remet son rapport le 1er novembre 2017 : il comporte une palette de 56 recommandations techniques utiles, mais dont l’articulation et la hiérarchisation politiques ne sont qu’à peine esquissées, et dont la faisabilité financière n’est malheureusement pas même envisagée. En tout état de cause, sur le plan financier, le budget de l’Etat fédéral consacré à la drogue pour 2018 est une simple reconduction du précédent, si bien que des travaux supplémentaires, techniques et politiques – nécessairement longs – seront incontournables, avant de pouvoir envisager une application opérationnelle des recommandations de la commission du Gouverneur Chris Christie. 

Face au fléau global des drogues, et un an après son accession au pouvoir, l’Administration Trump accuse donc de sérieux handicaps : manque de vision stratégique, absence de titulaires forts et fiables à la tête des principaux organes en charge du dossier (ONDCP, DEA, Département Santé et Services Publics….), stagnation et manque de priorisation des moyens financiers disponibles. Un redressement de cette situation est dès lors impératif en 2018, compte tenu de la dynamique propre de la « crise des opioïdes », et du hiatus grandissant entre les stratégies suivies au niveau fédéral (prohibition, abordage largement répressif), et au niveau des Etats fédérés (progrès de la décriminalisation et de la légalisation des drogues, à commencer par la marijuana).

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