Dissolution de Génération identitaire : vraies raisons ou stratégie politique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dissolution de Génération identitaire ministre de l'Intérieur
Dissolution de Génération identitaire ministre de l'Intérieur
©MATTHIEU ALEXANDRE / AFP

Ministre de l'Intérieur

La dissolution de Génération identitaire a été notifiée à l’organisation. Génération identitaire a "dix jours pour répondre" à cette annonce. Si aucun élément nouveau n’est apporté, "la dissolution (de l'organisation) est très probable sous 15 jours". Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin s'était dit "scandalisé" par les opérations anti-migrants de Génération identitaire.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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L’annonce du ministère de l’Intérieur a surpris : pourquoi vouloir dissoudre maintenant Génération identitaire ? On se souvient en effet que, le 16 décembre dernier, la cour d’appel de Grenoble a relaxé trois responsables de Génération identitaire pour une opération menée dans les Alpes en avril 2018. Or, cette opération était très comparable à celle menée début janvier au col du Portillon dans les Pyrénées (Haute-Garonne), qui est censée justifier la dissolution

Rien de nouveau ?

Qu’y a-t-il donc de nouveau cette fois-ci ? L’opération dans les Pyrénées apparaît d’autant plus anodine que, début janvier, le préfet de Haute-Garonne avait lui-même annoncé qu’il fermait le col du Portillon en raison, disait-il, d’une « menace terroriste élevée et de mouvements de migrants soutenus ». Génération identitaire peut donc se targuer d’être dans la droite ligne du préfet. Certes, rien n’autorise une association à se substituer à l’Etat, mais l’intervention de Génération identitaire relève moins ici d’une action proprement dite que d’une opération de communication. D’ailleurs, aucune violence ni trouble à l’ordre public n’ont été constatés. Le seul motif qui a justifié l’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur de Saint-Gaudens au titre de la « provocation publique à la haine raciale », c’est l’existence d’une banderole sur laquelle figuraient « des propos très clairement anti-immigration ».

Cette accusation est surprenante : s’opposer à l’immigration relève-t-il de la haine raciale ? L’hostilité à l’immigration mérite-t-elle d’être criminalisée ? On mesure la confusion qui règne aujourd’hui dans les esprits. Dans notre monde globalisé, la défense des frontières a perdu une bonne part de sa légitimité. Un signe de cette confusion peut être trouvé dans la réaction du Parti communiste local qui, pour dénoncer l’action de Génération identitaire, a organisé une manifestation « anti-fasciste » au col Portillon sur le mot d’ordre « no pasaran » en se justifiant de la façon suivante : « en 1939, des milliers de réfugiés transitèrent par ce col et furent enfermés dans les camps de Rivesaltes, Garaison, Gurs par le gouvernement français ». Les responsables communistes n’ont visiblement pas fait attention que, en faisant cette comparaison, ils font de Génération identitaire l’héritier des gouvernements républicains d’autrefois, ce qui relativise la menace qu’il est censé représenter.

Pourquoi eux ?

Bref, à ce stade, on ne peut donc pas dire que le dossier soit très consistant. Aux dernières nouvelles, le parquet ne savait d’ailleurs pas si des poursuites allaient être engagées ou si l’affaire serait classée sans suite.

Le malaise est d’autant plus grand que d’autres groupes sont aujourd’hui au moins aussi problématiques que Génération identitaire, comme les Black blocs ou les antifa, sans oublier les associations comme Utopia 56 qui organisent des occupations illégales de l’espace public pour les migrants. Quant à la question de la haine raciale, d’autres mouvements mériteraient assurément d’être examinés avec soin par le gouvernement, comme le Parti des indigènes de la République. Comparativement à ces groupes ou à certaines personnalités en vue, Génération identitaire semble plutôt modéré. Aucun de ses responsables n’a par exemple écrit un livre pour dénoncer « La pensée noire » comme a pu le faire Lilian Thuram dans son livre La Pensée blanche, livre encensé par une partie du monde associatif et médiatique, et dont même la gentille MGEN assure la promotion. Aujourd’hui, la droite nationaliste n’a plus le monopole du racialisme. 

Il est évidemment possible que le gouvernement dispose d’informations plus compromettantes sur Génération identitaire, auquel cas la situation serait très différente. Mais pour l’heure, force est de constater que le projet de dissolution relève plutôt d’un coup politique, comme le souligne le spécialiste de l’extrême-droite Jean-Yves Camus.

Les raisons politiques

Dans ces conditions, quelles sont les raisons qui ont pu conduire à mettre la dissolution de Génération identitaire sur la table ? On peut en identifier quatre.

La première est que Génération identitaire, rodé aux opérations spectaculaires et médiatiques, vient brouiller la communication du ministère de l’intérieur. Ce dernier s’est en effet donné pour mission d’occuper le terrain sécuritaire en démontrant notamment que le gouvernement lutte activement contre l’immigration clandestine. Or, Génération identitaire met à mal ce plan : il révèle que l’Etat est bien en peine de contrôler ses frontières et n’a pas fait grand-chose pour lutter contre l’immigration illégale, à part disperser autoritairement les migrants sur l’ensemble du territoire. La procédure de dissolution vise donc à écarter un gêneur ou, au minimum, à lui adresser un message pour l’inciter à rester discret. 

La deuxième raison est que la dissolution du CCIF et de Baraka City a été mal acceptée par une partie de la gauche radicale ou par les militants des banlieues mais aussi, plus largement, par de nombreux sympathisants de la cause de l’islam, y compris à l’étranger, surtout après les polémiques autour du droit au blasphème de l’automne dernier. En prononçant la dissolution de Génération identitaire, le gouvernement tente alors d’écarter le reproche d’être animé par une islamophobie d’Etat, surtout au moment où il engage un débat au Parlement sur le projet de loi contre le séparatisme.

La troisième raison se situe sur le terrain du positionnement politique. L’annonce de la dissolution intervient au moment où Gérald Darmanin publie un livre dans lequel il dénonce le séparatisme islamiste. Dans cet ouvrage, très alarmiste (« L’islamisme est un séparatisme, le plus dangereux d’entre tous car il est organisé, efficace, tenace »), le ministre identifie deux camps opposés : ceux qui rejettent sans nuance l’islam en souhaitant « des décisions toujours plus dures » et ceux qui dénoncent une « prétendue xénophobie d’Etat ». En renvoyant dos-à-dos ces deux attitudes, le ministre peut s’attribuer la position enviable de celui qui incarne un juste milieu, fait de sagesse et de raison. Rien de mieux alors, pour confirmer cette posture intermédiaire, que de donner des gages, ce qu’il fait ici en pointant le danger qu’est censé représenter Génération identitaire.

Enfin, la quatrième raison concerne la place de Gérald Darmanin au sein de la majorité présidentielle. En occupant le terrain sécuritaire, celui-ci court régulièrement le risque de se retrouver sur une ligne trop radicale. Ce risque est apparu à l’occasion du débat télévisé de la semaine dernière. On a en effet assisté à un spectacle étonnant : d’un côté Marine Le Pen a maintenu sa stratégie de dédiabolisation en affirmant qu’elle aurait très bien pu signer le livre de Darmanin, manière de dire qu’il y a plus extrémiste qu’elle ; de l’autre, Gérald Darmanin a tenté de doubler le RN sur sa droite en accusant Marine Le Pen de « mollesse » à cause de son absence de critique envers l’islam, ce qui a provoqué une réaction stupéfaite de cette dernière. Or, en voulant dépasser le RN, le ministre prend le risque d’être désavoué par certains militants de LREM, ce qui s’est effectivement produit. La dissolution de Génération identitaire peut alors être interprétée comme un message envoyé par Darmanin à son propre camp pour signifier qu’il n’a pas basculé vers l’extrémisme.

L’avenir dira si la procédure de dissolution ira à son terme, ce qui n’est pas encore assuré. Non seulement le dossier ne paraît pas très solide, mais de plus le Conseil d’Etat a laissé entendre dans une précédente décision qu’une dissolution doit surtout se fonder sur l’existence d’une milice privée, ce qui ne semble pas être le cas de Génération identitaire. Dans tous les cas, le gouvernement va devoir muscler son dossier car la dissolution est une opération dont l’issue est toujours aléatoire, tant sur le plan juridique que sur le plan politique.

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