Discours sur l’état de l’Union à Bruxelles : ce qui fonctionne encore en Europe… et le reste<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Claude Juncker n'a pas rattraper tout le retard provenant des dix années de la Commission européenne sous la présidence de José Manuel Barroso.
Jean-Claude Juncker n'a pas rattraper tout le retard provenant des dix années de la Commission européenne sous la présidence de José Manuel Barroso.
©Reuters

A vous la parole monsieur Juncker

Après un an à la tête de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker doit prononcer mercredi 9 septembre son "discours sur l’état de l’Union", devant le Parlement de Strasbourg.

Jean Luc Sauron

Jean Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est Haut fonctionnaire, professeur de Droit européen à l'Université Paris-Dauphine.

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Atlantico : Jean-Claude Juncker, à son arrivée, avait voulu rompre avec l'attitude silencieuse de son prédécesseur, et affirmait vouloir redonner à l'Europe son rôle politique. Un an après sa désignation, quel bilan peut-on tirer de l’action de la nouvelle commission par rapport à cet objectif ?

Jean-Luc Sauron : Jean-Claude Juncker a incontestablement remis la Commission européenne en selle. Il l'a fait en modifiant les alliances traditionnelles de la Commission européenne. Depuis le traité de Maastricht (et même avant), la Commission européenne marchait plutôt aux côtés du Parlement européen et tâchait d'utiliser la force parlementaire pour bousculer les hésitations du Conseil des ministres de l'Union européenne.

Les années marquées par la crise de la zone euro ont déplacé le curseur du pouvoir réelle dans l'Union européenne de ce couple Commission européenne/Parlement européen, non pas vers le Conseil des ministres, mais au bénéfice du Conseil européen. Jean-Claude Juncker a tiré les conséquences du rapport de fait ainsi installé avant son élection en se rapprochant du Conseil européen. Cette démarche est manifeste dans la très forte diminution des saisines du Parlement européen par la Commission européenne qui possède le monopole des saisines des projets législatifs le Parlement européen n'ayant pas de "véritable" pouvoir d'initiative parlementaire au sens classique connu dans les Etats membres. Dès lors il est redevenu l'interlocuteur majeur des Etats membres au préjudice du Parlement européen.

Il n'a pas pour autant rattraper tout le retard provenant des dix années de la Commission européenne sous la présidence de José Manuel Barroso.

La crise des migrants s'ajoute à la crise grecque et aux menaces de départ de la Grande-Bretagne: cette année les rivalités entre pays n'ont jamais été aussi fortes, et les accords européens semblent toujours naître dans la douleur. Quel rôle de leader politique a encore la Commission européenne, notamment par rapport au Conseil européen ?

La Commission européenne, du fait du poids repris grâce à la tactique pro-Conseil européen de Jean-Claude Juncker reprend peu à peu sa place dans le jeu décisionnel européen. Mais elle le fait en tachant de voir sur quelles équipes nationales s'appuyer (France-Allemagne surtout). Assez logiquement, et ce point n'est que peu ressenti en France, en s'appuyant sur le Président du Conseil européen, le polonais Donald Tusk. Jean-Claude Juncker a bien compris que l'Europe est une Europe des exécutifs nationaux et européens. De là les déjeuners fréquents, avec Martin Schultz, le président du Parlement européen ou ses initiatives communes avec un "club des présidents" (comme sur l'avenir de l'Union économique et monétaire): Juncker, Schultz, Draghi (BCE), Tusk. La demande d'actions et de solutions exprimée par les différentes options publiques nationales conduit à ce type de gouvernance.

Juncker va proposer dans les jours à venir un plan de répartition par quota de 120 000 réfugiés dans les différents pays d'Europe, comme dans une dernière tentative de reprendre la main sur cette question qui devrait être européenne bien plus qu'étatique. Alors que les attaques entre pays fusent autour de ce sujet, la Commission a-t-elle vraiment le pouvoir de faire peser sa voix ?

Je trouve la question injustement caricaturale vis-à-vis de Jean-Claude Juncker. Le plan proposé, et en passe d'être accepté, est celui qu'il avait avancé sous les critiques des Etats membres en juillet. Il sait combien l'accouchement des décisions européennes est long et heurté. Jean-Claude Juncker fait le job: il propose, encaisse les critiques, trouve des alliés au sein du Conseil européen pour obtenir un accord. Il fait le maximum en l'absence de pouvoir de pression autres que politico-médiatiques. Il a mis "le paquet" sur la communication de la Commission européenne : 80 nouveaux fonctionnaires embauchés par la Commission européenne au bénéfice du secrétariat général de la Commission européenne n'ont pas d'autres buts, et cela fonctionne.

Pour cela, Jean-Claude Juncker contrôle la communication au sens large : qui a en mémoire des interventions discordantes entre Commissaires européens depuis un an ? Il n'y en a pas eu, à la différence de la précédente Commission ou de bien des gouvernements nationaux.

Quels sont les projets européens qui ont malgré tout été menés avec succès par la Commission européenne?

La Commission Juncker, en une grosse année, a fait bouger les lignes de la gestion du Pacte de stabilité et de croissance. Elle a su faire passer, par le biais de la communication sur ledit pacte, dans la pratique les marges de manœuvres savamment pesées donnant aux gouvernements tant strictes que plus "innovants" les capacités de dialoguer avec leur opinions publiques sur le respect ou la nouvelle pratique en manière de déficits. L'exercice mérite d'être salué. En complément, Jean-Claude Juncker avec son plan d'investissement a donné aux Européens la possibilité de se projeter dans un futur qui ne se limite pas à la baisse des déficits. Sans l'affronter réellement, il modifie le poids de l'austérité et la place des investissements en Europe. Si l'Europe se sort du cul de sac austérité-déflation-chômage, elle le devra à quatre ou cinq politiques : Juncker, Draghi, Hollande, Merkel et Renzi.

En réalité, l'évolution des relations institutionnelles en Europe entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen est un laboratoire de la nature de la gouvernance dans un monde globalisé, très fortement en prise avec les turbulences économiques et politiques, qui évoluent sans cesse et dans tous les sens. Le caractère très anxiogène de la société européenne gorgée d'informations et dont les opinions publiques attendent des solutions rapides devrait pousser nos gouvernements et nos politiques à s'interroger sur les adaptations nécessaires d'un mode institutionnel démocratique issu des années 50 où le monde était divisé et les Etats encore très puissants.

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