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Dieselgate : comment expliquer l’assourdissant silence de la Commission européenne qui était au courant du scandale Volkswagen depuis 2011 ?
©Reuters

Passé sous silence

Selon la presse allemande, ce sont des fonctionnaires de l'administration de l'UE qui ont alerté l'organisation environnementale américaine ICCT sur de possibles tricheries aux émissions d'oxydes d'azote.

Hugues Beaudouin

Hugues Beaudouin

Hugues Beaudouin est correspondant européen pour LCI et Radio Classique. Il est chargé d'enseignement à Sciences Po et à Espol (Université Catholique de Lille).

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Laurent  Ravignon

Laurent Ravignon

Laurent Ravignon est journaliste correspondant à la Commission européenne à Bruxelles. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Atlantico : Selon le magazine économique allemand WirtschaftsWoche, citant la chef de l'autorité californienne de l'environnement CARB, "ce sont des fonctionnaires de l'administration de l'UE qui ont alerté l'organisation environnementale américaine ICCT sur de possibles tricheries aux émissions d'oxydes d'azote". C'est l'ICCT qui est à l'origine de la révélation du trucage des moteurs par Volkswagen. Selon le magazine, la Commission était au courant depuis 2011 de manipulations dans les mesures d'émissions chez plusieurs constructeurs automobiles, l'un d'entre eux ayant prévenu les services du commissaire à l'Industrie de l'époque, l'Italien Antonio Tajani. Comment cette information est-elle reçue au sein de la Commission à Bruxelles ? Quelle est à ce stade la ligne de défense ? Vous paraît-elle crédible ?

Hugues Beaudouin :  La réponse de la Commission tient la route. Rien à ce stade ne permet effectivement d'affirmer que la Commission européenne détenait des éléments prouvant une éventuelle fraude et qu'elle les auraient sciemment dissimulés.

L'analyse des correspondances entre les responsables chargés du dossier dans l'ex commission Barroso montrent au contraire qu'ils ont alerté l'administration communautaires et les Etats membres en vue de renforcer la législation. Peut être peut on leur reprocher une certaine lenteur à réagir, un manque de véritable volonté politique afin d'accélérer le renforcement de la réglementation, mais pas plus à ce stade, compte tenu des informations disponibles.

Laurent Ravignon : Vendredi 13 novembre, le journal allemand WirtschaftsWoche a finalement dévoilé le pot aux roses : un équipementier aurait averti le Commissaire Antonio Tajani, et ce dernier n'aurait pas réagi. Les fonctionnaires auraient alors averti l'ICCT aux Etats Unis. Etant à la Commission ce jour-ci, personne n'a réagi. A plusieurs reprises les portes paroles, comme Lucia Caudet, étaient très crispés. Un journaliste a même posé une question faisant mention d'un rapport de 2007 à propos d'éventuels dispositifs d'invalidation. Mais elle n'a pas obtenue de réponse. Pour résumer la communication est toujours très verrouillée et institutionnelle. Dès qu'il y un enregistrement il n'y rien qui sort. Mais ce qui était réellement important comme information c'était le fait que des lanceurs d'alerte européens aient contacté les autorités américaines. 

Il y a deux semaines au Comité des Véhicules Techniques à Moteur, les experts des 28 ont adopté des assouplissements sur le respect des normes en matière d'oxyde d'azote. Il s'est avéré que l'Allemagne, l'Espagne, la France et la plupart des pays ont fait pression pour l'assouplissement de ces normes. Toutes les représentations permanentes étaient bloquées là-dessus en raison des grands enjeux du secteur automobile.

En octobre déjà la Commission avait été accusée de connaître le problème. Qu'avait-elle alors répondu ? Quelle était l'ambiance à Bruxelles ?

Hugues Beaudouin : La Commission a indiqué à plusieurs reprises qu'elle était au courant du concept de logiciels truqueurs mais qu'elle n'a jamais constaté de fraudes. La première alerte est venue en 2011 avec un rapport du laboratoire européen de recherche qui révèle d'étranges décalages entre les tests d'émissions de polluants effectués en laboratoire et ceux effectués en condition réelle de conduite. Ce rapport n'évoque pas explicitement la possibilité d'une fraude, même si les auteurs confirment l'existence de logiciels de trucage mais dont l'utilisation est interdite au sein de l'Union européenne depuis 2007. 2ème alerte en 2013. Cette fois ci c'est le commissaire chargé de l'Environnement, le slovène Janez Potocnik qui prévient par courrier son homologue chargé de l'industrie, l'italien Antonio Tajani de l'existence de possibles fraudes. "Il y a des préoccupations répandues sur le fait que la performance des moteurs ait été ajusté pour se conformer aux cycles de test en dépit d'une spectaculaire augmentation des émissions en dehors de ce contexte" lui écrit il. Mis en cause par plusieurs médias anglo saxons, l'ex commissaire italien, maintenant vice président du Parlement, rend alors public tous les échanges de courrier avec son collègue et l'administration. On y lit notamment qu'il demande à ses services d'agir en conséquence et de proposer des amendements à la législation afin de généraliser les tests en situation réelle de conduite. Si on reprend les différents rapports ou les interventions publiques de la Commission, il apparait effectivement que l'exécutif a tiré la sonnette d'alarme suite à ces accusations.

Laurent Ravignon :Quand le scandale a éclaté au mois d'octobre, je me souviens que c'était durant le "midday briefing" qui a lieu tous les jours à partir de midi à la Commission européennes. Il y avait eu une cacophonie totale. La porte-parole n'était pas au point, ce qui a donné lieu à un petit cafouillage : au début on parlait de Co2 alors qu'il s'agissait d'oxyde d'azote. La communication a finalement été très verrouillée : ainsi, très rapidement les services internes de la Commission ont fait écrire un document qui était censé répondre à toutes les questions, ce qui évitait aux portes-paroles de faire de nouvelles erreurs.

Il clairement une tension sur le sujet au fur et à mesure que les dossiers éclataient. Il y a 15 jours, une lettre du gouvernement danois aurait été envoyée à M Tajani qui aurait réagi en expliquant qu'il travaillait déjà sur des tests RDE et qu'il avait conscience des lacunes des législations européennes. L'affaire a été éclipsée très rapidement mais il semble que le gouvernement danois ait contacté le commissaire compétent pour l'informer de l'existence de dispositifs d'invalidation équipant certains véhicules et pas seulement Volkswagen.

Selon la publication allemande, les fonctionnaires auraient agi parce qu'ils étaient "frustrés de l'inaction de la Commission". Cette explication vous étonne-t-elle ? Plus généralement, y a-t-il des exemples dans l'actualité récente qui montrent que la Commission n'est pas toujours prompte à agir contre l'intérêt de l'industrie automobile ?

Hugues Beaudouin : Non cette explication n'est pas étonnante. Le processus de décision au sein de la Commission est relativement complexe et peut expliquer une certaine forme d'inertie ou tout au moins une lenteur à agir. La Commission a certes le monopole d'initiative, mais elle prend en général son temps. Elle commence par lancer un débat public en annonçant son intention de légiférer sur tel ou tel point, tout le monde est alors invité à donner son avis, le citoyen lambda ou les organisations intéressées par le sujet. Et bien entendu ce sont les lobbies qui sont le plus prompts à réagir.  Ce n'est qu'ensuite qu'elle met sur la table une proposition législative qui est elle même le fruit d'un compromis entre ses différences services. Ce processus prend du temps, permet aux lobbies, aux Etats d'intervenir. La Commission est parfois amenée à reporter son projet législatif car des gouvernements sont intervenus entretemps pour tenter d'édulcorer (plus rarement de renforcer) le projet. La pression des lobbies peut s'exercer à tout moment, au moment de l'élaboration de la législation, au niveau des Etats qui vont être amenés ensuite à négocier le texte de la Commission et au niveau du Parlement européen, lorsque la compétence est partagée.

Sur certains sujets, comme les normes de pollution, la Commission qui n'a pas forcément l'expertise en son sein s'appuie beaucoup sur celle des organisations professionnelles, les fameux lobbies, qui sont extrêmement puissants et bien représentés à Bruxelles. Ces interventions sont officielles, elles s'exercent notamment les innombrables comités techniques où fonctionnaires et experts travaillent pour mettre au point une nouvelle réglementation. Il est clair que la Commission est souvent très sensible aux arguments des industriels, d'où une certaine lenteur à agir. Dans l'ancienne commission Barroso, le représentant allemand défendait clairement les intérêts industriels de son pays. Il en faisait d'ailleurs publiquement profession de foi. Ces lobbies sont aussi présents au sein du Parlement. Il est de notoriété publique que certains parlementaires sont les porte parole d'intérêts industriels ou commerciaux. Récemment, un député libéral néerlandais a démissionné de ses fonctions de lobbyiste pour Mercedes et la fédération automobile néerlandaise. Ces activités déclarées lors de son élection étaient connues de tous. Ce cas est loin d'être une exception. Même une fois, la législation adoptée après de multiples compromis, il est encore possible d'en modifier la portée via les textes d'application, c'est ce qu'on appelle les actes d'exécution et les actes délégués.

C'est au niveau des experts que cela se passe. Un processus assez complexe et peu transparent souvent mis en cause par les parlementaires européens qui estiment se voir ainsi confisquer une partie de leurs pouvoirs. Les Etats sont eux mêmes de puissants lobbies, ils peuvent intervenir quasiment à toutes les étapes du processus législatif pour peser sur un projet législatif. Dernier exemple en date, un comité technique rassemblant les experts des Etats membres a fin octobre revu à la baisse les contraintes des tests des futures normes antipollution. Ce sont notamment les représentants allemand, français,italien et espagnol qui ont pesé en ce sens. Preuve que ces processus ne sont pas clairs pour tout le monde, même au plus haut niveau dans les Etats membres. Dès le lendemain, Ségolène Royal, demandait à la Commission la tenue d'une réunion en urgence, ignorant probablement que la France elle même avait soutenu ce compromis.

Cette information – si elle est confirmée – risque-t-elle selon vous d'avoir des conséquences politiques à Bruxelles ? Voire au sein des Etats membres ?

Hugues Beaudouin : La Commission est très dépendante sur ce sujet des Etats membres. L'industrie automobile, c'est 12 millions d'emplois en Europe répètent à l'envi les Etats membres et les représentants des constructeurs. Donc même après le scandale Volkswagen, l'exécutif européen sera donc probablement extrêmement prudent lorsqu'il s'agira de renforcer les normes. La pression de l'opinion publique peut certes jouer, mais ses relais sont bien moins puissants que ceux des industriels. Les Etats les plus puissants aujourd'hui au sein de l'Union européenne sont aussi ceux qui accueillent les principaux constructeurs automobiles. Les pays d'Europe centrale accueillent eux de nombreux sous traitants de l'industrie automobile allemande notamment. Au total, ces Etats représentent un poids si important que la Commission doit en tenir compte lors de l'élaboration d'une nouvelle réglementation. Il y a peu de chances que cela change. Au parlement européen, les Verts se sont emparés du sujet, mais ils sont bien moins puissants qu'ils ne l'étaient sous les précédentes législatures. Ils ne sont plus un groupe charnière au Parlement européen. Quant eux eurosceptiques qui ont acquis un poids certain, ils sont eux même divisés sur la question. Certes, ces affaires sont pour eux une occasion de dénoncer la malfaisance de l'Europe. Sauf que la défense de l'environnement n'est pas du tout leur priorité. Ils seraient d'ailleurs plutôt enclins à dénoncer une Europe qui détruit des emplois en cédant aux lobbies environnementaux. En vue de capter l'électorat ouvrier, leur stratégie serait plutôt au contraire de défendre les industriels sur le thème "nous sommes les vrais défenseurs de vos emplois". On les entend d'ailleurs très peu à Bruxelles sur l'affaire Volskwagen.

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