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Dette publique : pas de jours heureux en vue mais un condensé de peines collectives
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Trajectoire des finances publiques

Jean-Yves Archer évoque les conséquences désastreuses de la crise du Covid-19 sur les finances publiques. Le poids de la dette devrait atteindre un niveau record. La France pourrait connaître d'ici un an et demi une dette consolidée de près de 8.000 milliards, soit 325% du PIB.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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La dette française est inégalement traitée : elle est tournée en dérision par des crypto-marxistes qui jurent qu'elle peut être réglée d'un trait de plume. A l'inverse, elle est prise très au sérieux par des amoureux de la chose publique et de notre indépendance nationale.

Le cumul d'un choc d'offre et de demande puis l'ampleur du confinement ont mis le Gouvernement au pied du mur. S'il n'avait pas été décidé le chômage partiel, les plans de soutien de type sectoriel, et autres mesures en faveur de la trésorerie des entreprises, il est avéré que notre pays serait d'ores et déjà face à des faillites en cascade et à une crise significative du pouvoir d'achat pour près de 10 millions de Français.

Évidemment – et tout le monde l'a compris – ce soutien public s'est concrétisé par un recours encore accru à l'endettement.

Voulant éviter le crash à court terme de l'économie et le risque d'implosion sociale, l'État a opté pour un moindre mal – en apparence – et choisi la voie politiquement bien commode de la dette.

Ce qui marque l'analyste, c'est l'inertie de nos concitoyens alors même que les Pouvoirs publics les engagent vers une impasse car la dette contemporaine devra être honorée.

La situation imposera de tenter des manœuvres de dernier recours comme un stockage quasi-perpétuel des dettes OAT au sein du bilan de la BCE qui rudoie l'esprit et la lettre de ses Traités constitutifs.

Que notre banque centrale ait une politique monétaire accommodante et injecte des milliards de liquidités dans les circuits financiers nous a évité le pire. Que la même banque centrale procède à des rachats – certes indirects – des dettes des États membres dans des proportions voisines de celles conduisant à ce que l'on nomme la monétisation de la dette est plus préoccupant.

C'est le dernier acte avant le risque final. Celui où l'ensemble des opérateurs n'auraient d'autre réflexe que d'engager la " fuite devant la monnaie ". Autrement dit, attaqueraient frontalement la valeur de l'Euro en se réfugiant dans des monnaies alternatives, vraisemblablement le dollar dont Jacques Rueff avait su dire qu'elle était la seule monnaie capable de tenir le choc des déficits, d'où son mot célèbre de " déficit sans pleurs ".

Si la valeur de notre monnaie inachevée et loin de former une zone monétaire optimale doit être surveillée comme le lait sur le feu, il est clair que des accidents peuvent survenir. Sans dénigrer un seul instant nos partenaires italiens, il est établi que les banques de la Péninsule portent trop de créances douteuses directement issues d'activités excessives de prêts à des entreprises en fort mauvaise posture. Le niveau d'exposition du système financier italien au regard des entreprises " zombies ", nouveau mot pour définir un canard boiteux, se compte en milliards et l'Autorité de régulation bancaire se garde bien de lancer une campagne hardie de stress tests. Parallèlement, l'Italie va dépasser 140% de son PIB comme cumul de la dette publique ce qui est d'autant plus délicat que le pays subit des taux d'intérêt souvent proches de 2% ( suivant les dates d'émission d'emprunts ) et donc un spread consistant avec les taux allemands.

Dans les 15 mois à venir, il est largement probable que l'Italie soit confrontée à des attaques spéculatives issues de financiers cupides mais aussi de faux-nez agissant pour le compte de puissances qui ne rêvent que d'une chose : voir la zone Euro voler en éclats. S'il fallait sauver l'Italie, le MES ne suffirait pas et l'exemple grec a montré que le chemin de l'austérité pluriannuelle était un véritable suicide collectif.

Fuite devant la monnaie, accident italien sont des éventualités issues au rang de scénarii dans plus d'un lieu de pouvoir.

Le cas français est préoccupant car la crise va faire augmenter notre dette explicite, dite de Maastricht, de plus de 400 Mds. Nous étions sur la ligne de crête de 100% du PIB, l'État nous dit que nous serons à 120,9 %  ( source PLFR 3 et Avis du 8 juin 2020 du HCFP ) et l'évidence impose de conclure que la barre des 3.000 milliards de dette sera notre rendez-vous collectif pour le PLF 2023.

A ce stade, certains calculs deviennent simples : la TVA, la CSG, l'IR, etc, bref tous les impôts rapportent 320 Mds au budget de l'État en 2020 ( PLF initial ) soit 10% de la dette publique qu'Olivier Blanchard et quelques autres jugent soutenable.

Le débat sur la soutenabilité de la dette est vu par le prisme des économistes au mépris de la vie quotidienne des contribuables qui ne cessent de voir s'aggraver la pression fiscale.

De même ce débat est faussé par un silence coupable concernant l'épargne.

Jamais nous n'aurions pu atteindre un tel niveau de dette si l'épargne des Français n'était pas abondante et mobilisable au terme d'une spoliation clairement aménagée par des dispositions de la Loi Sapin 2.

En cas de besoin national, tout ou partie des dépôts et placements excédant 100.000 Euros peuvent être requis. Cette spoliation latente illustre bien le fait que l'épargne, fruit du travail des uns et des autres, est une caution de fait pour les créanciers de notre pays.

Le tandem Hollande-Sapin aura joué un triste tour à l'épargne nationale pour avoir le loisir de poursuivre un laxisme budgétaire que le Président Macron a sinistrement reconduit.

Aucune de ses promesses électorales, aucune des Lois de finances n'auront vu d'amélioration substantielle de la " trajectoire des Finances publiques ".

Obsédé par sa nouvelle formule sémantique ( " nous allons vers les jours heureux " ), le président Macron réunit des experts pour évoquer le monde d'après et gomme, dans une sorte de déni inquiétant, le boulet de la dette explicite.

Scrutant les chiffres des prévisions de l'OCDE ou de la COFACE, je ne vois pas de jours heureux mais un condensé de peines collectives. Quand la France verra ses jeunes recalés au pied de l'entrée du marché du travail et la barre des 10% de chômeurs largement franchie, nous aurons tous – à nos postes respectifs – à tenter de réussir la sortie de l'ornière.

L'Unedic va connaître un déficit important et ne pourra se refinancer qu'au prix d'une sorte de caution de l'État que l'on inscrit comptablement en " engagements financiers de l'État " autrement nommés la dette hors-bilan.
Les 300 Mds du système de prêts ( PGE ) seront aussi en dette hors-bilan et compte-tenu des perspectives de sinistralité affectant les entreprises, l'État sera appelé en caution.

L'an dernier, avant la récession, la dette hors-bilan s'élevait à 4.115 Mds d'euros. Pour moitié, cette somme sert à assurer le paiement futur des pensions des fonctionnaires. On ne peut donc pas questionner sa légitimité et son degré d'exigibilité.

Autrement dit, la France va flirter d'ici à un an et demi avec une dette consolidée de près de 8.000 Mds soit 325% du PIB.

Tel est notre destin et il faut bien reconnaître que le sort matériel du personnel politique responsable d'une partie de la dérive des comptes publics est difficilement acceptable pour qui songe aux démunis du pays.
Une chose est sûre : la crise de 2009 avait vu un recul de notre PIB de 3,4%.

La Banque de France et l'Insee envisagent un recul, en 2020, de 11,4%. Nous sommes dans un facteur de gravité multiplié par quatre ce qui rend décidément tellement incongru le recours à l'expression des " jours heureux ". Je doute que les marins de Concarneau ou les ouvriers de Maubeuge soient face à une telle perspective. Décidément le pilote de ce quinquennat soumis à de vives contestations sociales rencontre une perplexité profonde face au réel. Et, paradoxalement, ce fait avéré de la déconnexion présidentielle est plus embêtant que la dette que l'on peut restructurer dans le temps. Une variable économique peut être aménagée, au prix de sacrifices. Une conception du monde est plus difficile à redéfinir, même dans un esprit vivace d'où le risque de devoir collectivement subir le mépris des corps intermédiaires et du paritarisme comme viennent de le rappeler les syndicats et le Medef. Qui ne voit que le Ségur de la Santé n'a pas de vraie impulsion étatique ? Qui ne voit, avec le recul, que le Grand Débat n'aura été qu'une commodité politique et non un bel arbre doté de fruits agréables au corps social ?

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