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Arnaud Montebourg a souvent vanté les mérites des services, présentés comme des activités non délocalisables.
Arnaud Montebourg a souvent vanté les mérites des services, présentés comme des activités non délocalisables.
©Reuters

Tout est possible

Parce que destinés à satisfaire directement des personnes, on a longtemps pensé que les services n'étaient pas délocalisables. Sauf que même les secteurs où la France est en pointe, tels que les banques ou le conseil en entreprise peuvent être concernés.

Pascal de Lima

Pascal de Lima

Pascal de Lima est un économiste de l'innovation, knowledge manager et enseignant à Sciences-po proche des milieux de cabinets de conseil en management. Essayiste et conférencier français  (conférences données à Rio, Los Angeles, Milan, Madrid, Lisbonne, Frankfort, Vienne, Londres, Bruxelles, Lausanne, Tunis, Marrakech) spécialiste de prospective économique, son travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'ADL et Altran 16 000 salariés, toujours dans les départements Banque-Finance...), il fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, il devient en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management.

Diplômé en Sciences-économiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (PhD), de Panthéon-Sorbonne Paris 1 (DEA d'économie industriel) et de Grandes Ecoles de Commerce (Mastère spécialisé en ingénierie financière et métiers de la finance), il dispense actuellement à Sciences-po Paris des cours d’économie. Il a enseigné l'Economie dans la plupart des Grandes Ecoles françaises (HEC, ESSEC, Sup de Co, Ecoles d'ingénieur et PREPA...).

De sensibilité social-démocrate (liberté, égalité des chances first et non absolue, rééquilibrage par l'Etat in fine) c'est un adèpte de la philosophie "penser par soi-même" qu'il tente d'appliquer à l'économie.

Il est chroniqueur éco tous les mardis sur Radio Alfa, 98.6FM, et chroniqueur éco contractuel hebdomadaire dans le journal Forbes.

 

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Atlantico : Arnaud Montebourg a souvent vanté les mérites des services, présentés comme des activités non délocalisables. Or, dans le secteur bancaire notamment, plusieurs établissements (Natixis, Société Générale, BNP Paribas…) ont annoncé dernièrement vouloir externaliser certaines de leurs activités et délocaliser certains postes. Est-ce la preuve que même les activités de services sont délocalisables ?

Pascal de Lima : Tout d’abord qu’entendons-nous par délocalisation ? Par délocalisation nous entendons souvent  la fermeture d’un établissement dans un pays industriel développé par une entreprise qui ouvre en même temps un établissement dans un pays émergent à bas salaire pour fournir les mêmes clients. Ce phénomène très sensible reste assez rare heureusement.

Par contre une forme de délocalisation à plus grande échelle existe réellement : Il s’agit du transfert par une entreprise du Nord d’une partie de ses activités productives du vers un pays à bas salaire. Il s’agit aussi du choix d’une entreprise du Nord d’installer une nouvelle unité de production dans le Sud, alors qu’elle aurait pu s’installer dans un pays du Nord. Il s’agit aussi dans cette définition à grande échelle, du choix d’une entreprise du Nord de remplacer un sous traitant du Nord par un fournisseur d’un pays émergent à bas salaire pour ses achats intermédiaires. Enfin il s’agit du choix d’une entreprise commerciale du Nord de remplacer un fournisseur installé dans un pays du Nord par un fournisseur installé dans un pays du Sud. 

Réponse 1 : Oui, bien sûr les services sont délocalisables. De plus il n’y a pas que le secteur bancaire qui délocalise ses services. Il n’y a pas très longtemps, on lisait dans la presse le titre suivant : "LA SNCF DÉLOCALISE UNE PARTIE DE SES SERVICES INFORMATIQUES EN EUROPE DE L’EST. Nouveau prestataire de services de la SNCF, IBM compte confier la gestion d’une partie des activités informatiques de la compagnie ferroviaire à ses filiales implantées en République Tchèque et en Pologne".

A coté de l’industrie, le secteur tertiaire est donc concerné. On a longtemps cru que les services étaient protégés de la concurrence des pays à bas salaires. Il n'y a pas de coûts de transport liés à la réimportation des produits. Il est donc plus facile de délocaliser une activité de services qu'une activité industrielle.

Réponse 2 : Les délocalisations des services sont une tendance historique logique. Les délocalisations font partie du thème de la multinationalisation des entreprises en économie et de la division internationale des processus productifs.

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, la multinationalisation des firmes demeure un phénomène essentiellement européen, et les firmes multinationales s’implantent essentiellement dans les pays colonisés ou semi-colonisés. Les investissements directs s’effectuent essentiellement dans le secteur primaire.

Après la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis occupent la première place occupée précédemment par le Royaume-Uni et deviennent les premiers investisseurs à l’étranger, du fait notamment de la fin de la colonisation et jusqu’à la fin des années 70.

Dans les années 80, c’est l’avènement des firmes multinationales japonaises qui caractérise la multinationalisation. En termes de pays hôtes, la tendance à la multinationalisation des firmes dans les pays développés s’accentue durant les années 80-90.   

Une des particularités de la multinationalisation est la délocalisation. Durant les années 70, les délocalisations portaient pour l’essentiel sur les produits de grande consommation, tels que le textile.

Au cours des années 80, un second mouvement de délocalisation affecte des activités telles que les services informatiques et les composants électroniques. Ce n’est donc pas un phénomène nouveau.

Surtout que ce phénomène n’a cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à aujourd’hui. Il a commencé avec les centres d’appel vers les Pays de l’est et d’Asie (Inde, Chine…) vers la fin des années 80.

Qu'est-ce qui peut expliquer ces délocalisations ? Que peut faire l'État pour les enrayer ?

Les raisons sont généralement les suivantes dans les ouvrages d’économie :

- Bénéficier d'une main d'œuvre moins chère;

- S'affranchir de toutes les contraintes des pays occidentaux;

- Bénéficier d'avantages offerts. Certains pays Low Cost, en plus de la main d'œuvre moins chère, offrent des prestations supplémentaires aux grandes entreprises qui s'implantent. Terrains offerts, construction d'usine financée par les communes, exonérations d'impôts;

- Réduire les coûts de transport : se rapprocher des marchés de consommation (encore que les coûts de transport dans les services tendent vers zéro);

- Réduire les entraves à l'exportation;

- S'affranchir de la variation des taux de change;

Il faut aussi ne pas se tromper sur le plan stratégique : Salomon a fermé ses sites de production français et réalisé 100 % de ses chaussures de ski en Roumanie en les sous-traitants chez le plasturgiste roumain Plastor, mais les prix de vente sont restés au même niveau qu’en France. L'un des enjeux est aussi de pouvoir proposer des prix compétitifs par rapport à la concurrence grandissante des produits asiatiques et indiens : jouets, montres, textiles, électroniques… et automobile (ex: Tatamotors).

Une confusion est possible d’ailleurs entre localisation et délocalisation : Renault a créé une nouvelle unité de production en Roumanie pour fabriquer la Dacia Logan. Au départ, il n’était pas prévu de la commercialiser dans les pays d’Europe de l’Ouest. Dans ce cas, on parle de localisation et non de délocalisation.

Ce que peut faire l’Etat :

Il y a plusieurs thèses : les libéraux vont expliquer que les délocalisations de services sont normales et liées à l’évolution des économies européennes. Après l’agriculture et l’industrie, les économies modernes doivent être basées sur des professions hautement qualifiées dans des activités de recherche et d’innovation et dans les services notamment. Ainsi, les délocalisations de services vont apparaître forcément comme ailleurs. Donc pas de politique publique particulière, sauf le laisser faire en laissant la concurrence jouer. Il faut donc uniquement lever les rigidités structurelles.

Une autre école défend que l’Europe est mal placée dans la compétition mondiale. Il n’y a pas assez de R&D et de formation. Ici, une première sous-école dit que l’Europe doit mettre en place une stratégie globale pour être plus compétitive et plus innovante, mais sans que l’Etat ne fasse le choix des secteurs en difficulté, c’était la stratégie de Lisbonne... Une seconde sous-école précise qu’il faut aider des entreprises (faire naître et soutenir des champions européens) et des secteurs spécifiques, innovants, comme la biotechnologie.

Toutes les autres solutions, aussi valides soient-elles, reposent sur l’idée d’un nouveau modèle économique. Car critiquer les délocalisations, c’est bien, mais s’interroger sur le fait de savoir si elles permettent une égalité des chances, un soutien aux plus démunis, et une liberté globale, c’est à mon avis beaucoup mieux. Et là on trouve assez peu de choses dans la littérature scientifique.

L'indice PMI pour le mois de novembre publié aujourd'hui démontre une baisse de l'activité des services en France. Assiste-t-on à une accélération de la délocalisation dans le secteur des services en France ?

En effet l’indice a baissé en novembre, ce qui est le plus mauvais score depuis 5 mois. Ce score est lié aux difficultés des entreprises, forcément, et ce n’est pas un scoop. D’abord, une demande atone, comme en témoignent les indices de la consommation pour le mois de novembre et la faiblesse du niveau d’emploi. Tant que nous connaîtrons ces difficultés, les délocalisations feront toujours partie de la stratégie possible de multinationalisation et donc c’est pour cette raison qu’il y a en effet une accélération des délocalisations de services depuis maintenant deux ans en France.  

Existe-t-il des services qui, de par leur nature, ne sont pas délocalisables ?

Certaines activités, davantage que d’autres : les services cognitifs et investissements immatériels (connaissances, recherche, enseignement supérieur, conseil en entreprise, publicité, marketing, technologies de l'information, banques…) sont très délocalisables ! Les services collectifs à fortes économies d’échelle publics, moins (ces derniers dépendent d’une mission nationale de service public pour la grande majorité). En France, 5 % des emplois dans le tertiaire sont facilement délocalisables.

La France est-elle à la pointe dans ce type de services ? 

Elle peut être à la pointe (banque, technologies de l’information, conseil en entreprise notamment grâce aux SSII (sérieuses)) et délocaliser en même temps, ce n’est pas incompatible.

Pourquoi un tel écart se creuse-t-il avec l'Allemagne, où l'indice PMI est haut plus haut ?

En effet, la situation a de quoi inquiéter car en même temps, et pas uniquement en Allemagne, l’activité repart. Et même dans les services, pour l’Allemagne, alors qu’on l’associe davantage à l’industrie ! Attention, donc, à la France. La principale raison de cette bonne performance de l’Allemagne dans les services par rapport à la France réside dans la bonne santé du secteur industriel allemand, avec toutes ses réformes historiques. Et c’est cela qui tire les services vers le haut.

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