Désinformation en ligne : que se passe-t-il vraiment dans cette campagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour l'instant, aucun acte significatif de désinformation n'a été détecté.
Pour l'instant, aucun acte significatif de désinformation n'a été détecté.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Ingérence et désinformation

Les élections européennes de ce week-end se jouent dans un contexte géopolitique chargé. Pourtant, aucun acte de désinformation significatif a été détecté pour l'instant, notamment russe, certainement en raison de la soudaineté du scrutin.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Pouvez-vous dresser une radioscopie de la désinformation en ligne observée lors de cette campagne législative ?

Fabrice Epelboin : Pour ce qui est des forces en présence sur les réseaux sociaux, à l’exception de la France Insoumise et de Reconquête, qui est hors jeu pour l’instant, les partis politiques n’ont pas d’intelligence stratégique en interne, ils délèguent auprès d’agences et se contentent de communication digitale et de community management, le strict minimum. Songez qu’à LFI, Antoine Léaument, qui a mis en place le dispositif digital du parti il y a plus d’une décennie, à l’époque du Front de Gauche, est aujourd’hui député et fait partie du premier cercle de Jean-Luc Mélenchon. Et le numérique ne lui a pas juste servi de tremplin, comme à d'autres, il en a toujours la charge aujourd’hui. Il n’y a rien d’équivalent dans les autres partis politiques en France. Dire qu’ils ont de l’avance est un euphémisme.

Pour ce qui est de la désinformation, il est frappant de noter la quasi absence d'ingérence étrangère. Cela pourrait être découvert plus tard, mais pour l'instant, rien de significatif n'a été détecté. J'explique cela principalement par la soudaineté du scrutin, tout le monde, y compris Poutine, a été pris au dépourvu. Les opérations d'ingérence nécessitent préparation, planification et organisation. Une campagne qui se fait en quelques semaines ne laisse pas le temps nécessaire à la mise en place de telles opérations d’influence. C’est un véritable handicap pour ceux qui voudraient s'y livrer, et cela vaut aussi pour certains acteurs français de l’influence, qui en temps normal seraient sans nul doute mêlés de la campagne. 

Il reste les médias, qui sont à ce stade les principaux fabricants de fake news. Libération qui déterre et décontextualise un vieux tweet d’un candidat pour le faire apparaitre comme antisémite, provoquant son bannissement quasi instantané, et dont on s’apercevra vite qu’il fêtait avec un humour douteux la mort de Robert Faurisson et qu’il était tout sauf antisémite. L’info sera néanmoins reprise par BFM. De son coté Le Figaro décontextualise les propos de Sandrine Rousseau pour lui faire dire qu’elle reconnaissait l’antisémitisme de LFI, et tout cela buzz sur les réseaux sociaux. Ceci dit, ces fake news sont de l’ordre du normal dans une bataille entre militants. Le fait qu'elles proviennent de médias mainstream a le mérite de mettre les choses au clair. Les journalistes, dans la panique, s’assument en militants. Ça va être compliqué de critiquer CNews après ça.

Les Community notes de Twitter, par ailleurs, marchent très bien pour contrer ce genre de fake news, mais sur Tiktok il n’y a rien de tel. Les propriétés de Meta sont elles sur-censurées depuis déjà un bout de temps, ce n’est sans doute pas là qu’il se passera quoi que ce soit.

Y a-t-il donc des preuves concrètes d'une ingérence étrangère, et particulièrement russe, dans cette campagne de désinformation ?

Oui, nous avons observé des tags sur des murs. C’est la seconde fois en 3 mois. Le faible bruit médiatique généré laisse songeur sur le sérieux des cris d'orfraie hier. Aujourd’hui cela paraît ridicule et insignifiant. Ces actions n'ont pas d’autre but que de servir de marronnier aux médias, les saturer et leur faire perdre en crédibilité. 

Mais cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'autres opérations plus subtiles qui passent inaperçues. Il est temps de cesser cette obsession avec les Russes et de regarder la réalité en face. Nous vivons dans un monde où la barrière à l'entrée pour mener des opérations d'ingérence est faible, l'Azerbaïdjan en réalise en Nouvelle-Calédonie. Si l'Azerbaïdjan en est capable, imaginez la liste des pays ayant les mêmes moyens et susceptibles d'en faire autant en France. Elle est vaste, et beaucoup de ces pays ont connu par le passé l’ingérence de la France, et n’ont aucune raison de ne pas en faire autant. 

Les russes sont l’arbre qui cache la forêt. C’est une propagande bébète qui monopolise les discours, tourne en rond et réduit la géopolitique à un film de James Bond du siècle dernier. Cela nous empêche collectivement d’appréhender le problème auquel nous devons faire face.

Il ne faut pas se voiler la face. Il y a un véritable problème d'ingérence, venant d’une multitude de pays. La France, en tant qu'ancien empire, est une cible privilégiée, elle a des relations tendues avec de nombreux pays, des relations souvent mises à vif par sept années de macronisme. Le plus grand danger que posent les russes en matière de désinformation, c’est qu’ils nous permettent de fermer les yeux sur les autres nations qui jouent à ce jeu.

Quels rôles jouent les bots et les réseaux sociaux dans la propagation de la désinformation pendant cette campagne ? Et les électeurs ?

Les bots jouent un rôle mineur. Les phénomènes impliquant des bots visent pour l’essentiel à affoler la presse, comme les tags sur les murs. À ce jour, il n'existe aucune preuve tangible d'une influence massive des bots sur l'opinion publique. Le terme « bot » est par ailleurs largement galvaudé, comme beaucoup de mots aujourd'hui.

Les opérations les plus spectaculaires impliquent principalement le multiprofil, où des individus organisés gèrent une multitude de profils différents, qu’on appelle aussi “bots”, pour mener diverses actions. Ces pratiques sont devenues courantes depuis longtemps. Déjà en 2010 des logiciels permettant de le faire de manière industrielle étaient commandés par l'armée américaine et ont été révélés, quelques années plus tard, à travers une fuite d’information d’un sous traitant de l’armée, Ntrepid. En 2017, la série Homeland y consacrait un épisode, “Sock Puppets”, mettant en scène ce genre d’opérations d’influence dans les mains de la CIA. Aujourd’hui, aussi bien les services d’Etat que les lobbies ou les réseaux militants font appel à ce genre d’approche, et beaucoup disposent d’outils similaires à ce que l’on voit dans l’épisode de Homeland.

On a vu apparaître très récemment des bots totalement automatisés à base de ChatGPT, que des petits malin s’amusent à débusquer et leur donnant un “prompt” qui  les fait dérailler. A ce jour je n’ai rien vu de très spectaculaire réalisé avec de l’IA générative, mais c’est une question de temps. 

Quels sont les impacts observables de cette désinformation sur l'opinion publique et le déroulement de la campagne ?

Pour l'instant, sincèrement, il n’y a pas de réels impacts observables, il est sans doute un peu trop tôt pour observer quoi que ce soit. Nous avons beaucoup d'informations très approximatives et bien biaisées qui circulent, et cela devient courant dans les médias mainstream. L'information n'est plus fiable, tout doit être vérifié et croisé. Quand Libération, BFM et Le Figaro créent et diffusent des fake news et que la plupart des journalistes se transforment en militants assumés sur les plateaux de télé, il faut se faire une raison, nous sommes entrés presque du jour au lendemain dans une télé dans laquelle les américains se sont installés depuis déjà un bout de temps, et que Bolloré a initié depuis déjà quelques années. 

Dans un délai aussi court, la désinformation organisée n’a pas eu le temps de se mettre en œuvre mais ça va venir, on en est réduit pour l’instant à de la fake news de basse intensité, opportuniste, faite pour embarrasser l’adversaire et faire peur. Mais après les Gilets Jaunes, la Covid et les émeutes, j’ai peur que la peur soit devenu tellement familière pour tellement de gens qu’ils sont pour ainsi dire vaccinés. Tout cela n’a pas grande influence à mon sens, bien moins que cela aurait pu en avoir il y a ne serait-ce que cinq ans. Mais j’ai peur que nous soyons, dans les jours qui suivent la dissolution, dans l’œil du cyclone. Le pire est devant nous.

Le vrai problème avec la désinformation va commencer le 7 juillet au soir, quand la France va se diviser en deux camps, ceux qui acceptent le résultat des urnes et les autres. Les USA vont être confrontés au même problème en novembre. Après une campagne des Européennes d’une rare violence, le moindre fait divers bien instrumentalisé est en mesure de provoquer un incendie, et la situation géopolitique n’aide pas. En cas de défaite - et elle est probable - le Front Populaire ne tiendra pas bien longtemps, et son implosion sera forcément violente, et se fera à travers des guerres informationelles dont on a eu un avant goût durant les européennes, notamment à l’encontre de Raphaël Glucksmann. La gauche qui sortira de tout cela accouchera dans la douleur.

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