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Des profits par milliards : dans le luxe, on sait pourquoi, mais dans la banque ou le pétrole, comment font-ils pour être aussi riches ?
©©INA FASSBENDER / AFP

L'argent coule à flots

Dans le luxe, la banque et le pétrole, les entreprises françaises publient des résultats 2021 incroyablement impressionnants. Beaucoup sont à plus de 10 milliards d’euros de bénéfices. Année de crise pourtant. Alors pourquoi et comment les plus beaux fleurons de l‘économie française sortent-ils tellement de bénéfices ?

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Incroyable mais vrai, la France des entreprises a quand même un incroyable talent parce que beaucoup de nos plus beaux fleurons de l’industrie du luxe, de la banque ou du secteur pétrolier viennent de dépasser ou frôler les 10 milliards d’euros de bénéfice sur 2021. Une année de reprise certes, mais une année où on n’a pas encore, dans beaucoup de secteurs, réussi à soigner les malades de la pandémie. 

Alors pourquoi et comment ces entreprises ont-elles réussi d’aussi belles performances ? Un beau sujet de mémoire pour les étudiants d’école de commerce qui n’auront aucun mal à décrypter les logiciels du profit.

Les élèves de lycée et collège en section économie et sociale auront plus de difficultés à faire leur exposé sur le même thème, parce que si on en en croit les programmes officiels et les livres scolaires, on y trouvera des analyses plus critiques que bienveillantes sur ce que beaucoup de profs présentent comme le pur produit d’un capitalisme mondialisé.

Pas besoin d’aller dans les dossiers de Jean-Luc Mélenchon pour trouver quelques réquisitoires contre les excès du capitalisme mondial, il suffit de parcourir les discours de l’extrême droite et même de la droite pour s’apercevoir que les profits des entreprises sont inscrits aux menus qui sont servis dans les campagnes électorales.

Tous les candidats réclament de la croissance forte et si possible verte, ils se fâchent contre les augmentations de prix qui piègent les familles modestes à la fin du mois, ils pleurent avec les petits commerçants, les artisans et les agriculteurs qui sont à la peine etc ete... Mais si jamais le calendrier leur apporte les résultats plantureux des grandes entreprises, c’est du pain béni pour haranguer les foules en clouant au pilori tous ces coupables d’être riches.

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Les élèves de première en section eco seront ravis, les industries du luxe, la banque et les sociétés pétrolières leur offrent une très belle accroche et leur permet de conclure que décidément, le système libéral est «pourri ».

La vraie question qu‘il faut poser est de savoir pourquoi et comment ces entreprises ont réussi à sortir autant de bénéfice net après impôts. Et ils ont payé beaucoup d’impôts déjà. Alors pourquoi ? Sans aucune malice, pour des raisons très simples que « les nuls en économie » peuvent comprendre.

Le luxe est riche, le luxe a gagné beaucoup d’argent en 2021.  Mais le luxe gagne beaucoup d’argent depuis la nuit des temps. LVMH, Kering, L’Oréal, Hermès et d’autres battent record sur record. La crise pandémique ne les a pas trop perturbés.

Le cœur de leur modèle est simple. Ils fabriquent des produits de qualité (et même de très grande qualité) dans des ateliers situés pour la plupart en France avec une main-d’œuvre très formée et qualifiée. Ils vendent ces produits très chers à des clients qui, pour la plupart, appartiennent à la classe dirigeante des pays émergents. Ces populations sont depuis dix ans, de plus en plus nombreuses et de plus en plus aisées. Elles acceptent de payer très cher ces produits qui sont, le plus souvent, des accessoires de mode ou de parfum, mais pas que.

Ces produits sont vendus très cher parce qu’ils portent une histoire et apportent un statut. L’histoire qu’ils racontent, c’est souvent une partie de l’histoire de France et de Paris de ses musées, de ses immeubles et la culture française. Et ça n’a pas de prix. C’est l’image de la France.

Le statut qu’ils apportent est celui de l’appartenance à un groupe social supérieur, sophistiqué et aisé financièrement et/ou culturellement. Et ça vaut aussi très cher.

Bref, les groupes de luxe ont compris qu’ils pouvaient vendre un produit ou un service mais avec un actif immatériel incontournable.

La magie d’Hermès, de Chanel, de Dior ou de Gucci est d’appartenir à une industrie qui exploite dans le monde entier des produits qui ont une dimension culturelle, artistique quasie universelle.

Pour la France, c’est une chance parce qu’en termes de valeur ajoutée, d’emplois créés, de recettes fiscales, de réserves en devise, cette industrie est la plus puissante, devant l’agriculture. Bizarre que les hommes politiques qui réclament du made in France ignorent que nous avons dans l’Hexagone une pépite qui vaut de l’or.

C’est très curieux, le ressenti d’un objet de luxe. Pour le consommateur, c’est chic et valorisant. Pour l’homme politique en campagne, c’est sale…

L’argent record gagné par les banques françaises en 2021 est beaucoup plus difficile à comprendre même s’il est totalement légitime. Ce qui interpelle, c’est que la BNP Paribas ou le Crédit agricole frôlent les 10 milliards d‘euros en 2021 (du jamais vu), alors que 2021 a encore été, pour beaucoup, une année de crise. Ce qui interpelle, c’est que les taux d’intérêt sont à zéro ou presque, ce qui fait que la banque, dont le métier de base est d’emprunter de l‘argent d’un côté et de le prêter de l’autre, en essayant de faire une marge entre le prix d’achat et le prix de vente, a théoriquement du mal à profiter de la différence.

Les banques françaises gagnent beaucoup d’argent avec les services bancaires, les cartes de paiement, les virements, les opérations de paiement, les emprunts, les produits financiers et le conseil aux entreprises.  Les banques perçoivent des frais et des commissions. Les banques gagnent aussi de l’argent en prêtant l’argent provenant des dépôts de ses clients et elles vont d’autant plus en gagner que les taux vont remonter.

Quant aux banques d’investissement, elles placent de l’argent sur les marchés financiers. Elles achètent des actions ou des obligations qu’elles revendent ensuite. Grâce à ces opérations, aux plus-values et aux dividendes qu’elles touchent, les banques gagnent de l’argent. Elles conseillent les entreprises qui veulent faire des acquisitions ou s’introduire en bourse.

Ajoutons à cela trois phénomènes :

1e Depuis la crise sanitaire, les banques se sont retrouvées gérant une masse d’épargne liquide et disponible considérable. Les Français ont moins consommé, ils ont mis plus de 3200 milliards en réserves que le système bancaire n’avait pas à rémunérer puisqu’il s’agissait d’épargne liquide.

2e Les investissements et les engagements pris auprès des entreprises ont été freinés ou garantis par l’Etat (la BPI), c’est autant de risques en moins pris par les banques.

3e La digitalisation a fait d’énormes progrès. D’abord, beaucoup d’activités ont été logées dans des néo-banques ou des filiales très digitalisées. Les personnels se sont formés à des métiers à plus forte valeur ajoutée et ça n’est pas terminé. Globalement, cette digitalisation n’a pas fait baisser le nombre d’emplois dans la banque. Les qualifications ont changé.

L’argent gagné par les entreprises pétrolières est tellement gros que le président de Total s’est cru obligé de préparer l‘opinion en annonçant la veille des résultats que son entreprise allait faire un geste pour amortir l’effet de la hausse des prix de l’essence. Un geste en faveur des familles les plus défavorisées sous la forme d’un chèque énergie et en direction des clients de Total, en faisant une ristourne de presque 10 % sur le prix payé à la caisse des stations Total. C’est la première fois qu‘un patron monte une telle opération, c’est dire qu’il craint l’effet boomerang de la part des clients quand ils auront connaissance des résultats qui ont finalement atteint plus de 14 milliards d’euros net.

Le montant est inouï. C’est un record absolu. Comment expliquer alors que les prix de l’essence soient aussi chers à la pompe ?

Le paradoxe dans cette affaire, c’est que Total a profité de l’explosion des cours des hydrocarbures (pétrole et gaz) parce qu’il a des stocks, mais aussi surtout parce qu’il exploite lui-même des zones pétrolières et gazières. Il a donc profité de la hausse des prix. Le baril est passé de 42 dollars en 2020 à 71 dollars en 2021 ; et bien plus en ce début d’année. Les prix du gaz ont été multipliés par 4. La marge fixée en pourcentage augmente d’autant en rentrées globales.

Mais l’essentiel du profit n’est pas là. Il se trouve que Total a profité de la baisse des cours du brut en 2014 et 2015 (juste après la crise financières) pour baisser ses dépenses d’exploitation et de production de près de 50 % en deux ans. Total n’a jamais remonté le niveau de ces dépenses d’exploitation.

La pandémie a provoqué une nouvelle purge sur ses couts d’exploitation, alors que les investissements dans l’électrique et les énergies renouvelables ont compensé la baisse des efforts dans le pétrole.

Les résultats de Total sont donc un effet, mais aussi un marqueur de son changement de modèle.a

On est évidemment loin des explications rapides et politiques qui consistent à reprocher aux grandes entreprises d’exploiter des rentes pétrolière (pour Total) ou règlementaires (pour les banques).



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