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Des experts sanitaires s’inquiètent que la banalisation du VIH produise une résurgence de l’épidémie de SIDA
©Reuters

Changement de méthodes

Les Nations unies espéraient endiguer complètement l’épidémie de sida, à travers le monde, d'ici 2030. Un objectif qui risque de ne pas être atteint car, si ces dernières années les progrès pour éradiquer le virus ont été énormes, la lutte commence à stagner.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : La recherche sur le sida avance continuellement, les malades du sida vivent de mieux en mieux avec la maladie et de plus en plus longtemps. Pourtant, les scientifiques se plaignent d'un ralentissement dans la lutte contre l'épidémie. A quel niveau se trouve ce ralentissement ? S'agit-il uniquement d'un manque de moyens ? 

Stéphane Gayet : Les virus VIH et le sida : une étrange maladie grave, devenue pandémique dans les années 1980

On connaît deux types de virus VIH : le VIH-1 (découvert en 1983) et le VIH-2 (découvert en 1986), qui présentent entre eux quelques différences moléculaires. En France, plus de 98 % des cas d’infection à VIH sont dus au virus VIH-1. Le virus VIH-2 est à la fois moins virulent (c'est-à-dire moins pathogène) et moins transmissible ; il sévit principalement en Afrique de l'Ouest. L'épidémie mondiale ou pandémie a commencé au début des années 1980.

Le plus ancien cas prouvé d'infection à virus VIH-1 a été identifié chez un marin, à partir de prélèvements sanguins datant de 1959. L'étude de plusieurs centaines de virus a révélé que l’ancêtre du virus VIH avait dû apparaître en Afrique, dans les années 1920 ou 1930. L'infection à VIH est interprétée comme une zoonose (maladie de l'animal pouvant passer plus ou moins facilement à l'homme) qui s'est autonomisée chez l'homme pour devenir une infection humaine à part entière. L’homme se serait initialement contaminé à partir du réservoir animal de virus VIH, constitué de grands singes (chimpanzés, mais aussi gorilles).

Le VIH est un rétrovirus (virus à ARN, mais dont la réplication passe par une étrange synthèse d'ADN, réalisée grâce à une enzyme peu courante : la rétrotranscriptase). Le virus VIH infecte certaines cellules immunitaires de l'organisme qui est atteint (ces cellules immunitaires sont principalement les lymphocytes T de type CD4). Dès son introduction chez un individu, le virus VIH s’accumule dans ces cellules et forme des réservoirs de virus dormants qui persistent toute la vie. Cette phase d'infection latente peut durer des années. Elle est suivie d'une phase d'infection morbide (maladie : le sida avéré) qui est caractérisée par une diminution du nombre de lymphocytes T CD4. Ces lymphocytes T CD4 sont pourtant indispensables au bon fonctionnement du système immunitaire. Il en résulte donc une sensibilité accrue aux infections et à certains cancers, principalement les cancers dus à un virus. L'évolution du sida est spontanément fatale, preuve de l'importance et même de la prééminence de l'immunité pour la survie du corps humain.

Une recherche mondiale très fortement financée et dynamique, qui a porté ses fruits

Il est vrai que les résultats des recherches sur l'infection à VIH, menées au cours de la dernière décennie, tant dans le domaine fondamental, que dans celui de la prévention et celui de la prise en charge des patients, ont été vraiment remarquables. À tel point que certains ont pu envisager la fin du sida ou tout au moins le début de sa fin. En effet, on dispose à ce jour d'une gamme élargie de traitements antirétroviraux qui ont un impact majeur sur la mortalité (nombre de personnes qui décèdent du sida) et sur la morbidité (nombre de personnes qui sont malades du sida) des personnes vivant avec le virus VIH (PVVIH). Ces traitements ont permis de passer d'une maladie mortelle à une maladie chronique. L'espérance de vie des personnes séropositives VIH, en Europe et en Amérique du Nord, a considérablement augmenté depuis 1996, date du début des trithérapies antirétrovirales, au point qu'elle se rapproche de celle des individus indemnes.

Le prix de la trithérapie antirétrovirale est très variable selon le cas

Le prix actuel d'une trithérapie de première intention est d'environ 7500 euros par an en France (contre un peu moins de 100 euros pour le prix le plus bas au Monde), mais celui d'une trithérapie de deuxième intention est trois fois plus élevé et celui d'une trithérapie de troisième intention dix-huit fois plus élevé.

Les statistiques mondiales montrent un ralentissement des progrès épidémiologiques

Alors que l'on avait cru, de façon présomptueuse, que la lutte contre le virus VIH serait bientôt gagnée, on est aujourd'hui loin du compte ; au contraire, la situation mondiale est fragile et même bien préoccupante. Le nombre global de nouvelles infections ne diminue pas assez vite, hélas tout comme celui de décès.

Quelques chiffres repères : le nombre de personnes décédées du sida depuis le début de la pandémie (épidémie mondiale) est compris entre 35 et 40 millions, ce qui est de l'ordre de la population actuelle de la Pologne ; le nombre de personnes qui vivent aujourd'hui tout en étant infectées par le virus VIH (PVVIH) est du même ordre. Un peu moins de 60 % des PVVIH sont traitées correctement, c'est-à-dire reçoivent un traitement antirétroviral adapté à vie. De plus, on estime que seulement 70 % des personnes infectées par le VIH (PVVIH) seraient informées de leur infection.

Les nouvelles infections au virus VIH (NIVIH) sont en augmentation dans une cinquantaine de pays du Monde. Il en résulte que, à l'échelle mondiale, le nombre annuel global de NIVIH n’a diminué que de 18 % au cours des sept dernières années, passant de 2,2 millions en 2010 à 1,8 million en 2017. Il est vrai que ce nombre représente presque la moitié du nombre de NIVIH de l'année 1996, lorsqu'il était au plus haut (3,4 millions) ; mais cette baisse n’est pas assez rapide pour pouvoir atteindre l’objectif que l'Organisation mondiale de la santé s'était fixé pour 2020 : moins de 500 000 NIVIH annuelles. En somme, le rythme des progrès n’est pas à la hauteur de l’ambition mondiale et c'est préoccupant quand on connaît le virus VIH.

Au cours des 20 dernières années, c'est en Europe de l’Est et en Asie centrale que le nombre annuel de NIVIH a le plus augmenté : il a doublé ; alors qu'au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il a augmenté de plus d’un quart. Dans le continent africain, qui est le plus atteint, mais où il existe heureusement une diminution des NIVIH annuelles, on constate une nette disparité : les pays de la partie méridionale (australe) et orientale du continent ont fait deux fois plus de progrès (réduction de 30 % des NIVIH) que ceux de la partie occidentale et centrale du continent où ils sont jugés beaucoup trop faibles.

Sur le plan du financement de la lutte contre l'infection à VIH, beaucoup d'engagements politiques avaient été pris, mais la vérité est que les ressources ne sont toujours pas à la hauteur des déclarations. Et si les moyens réels stagnent, on risque de voir la situation se dégrader.

Le ralentissement des progrès dans la lutte contre la pandémie à VIH est en fin de compte multifactoriel. Il est certain qu'il a une composante financière, étant donné que tous les investissements annoncés n'ont pas été apportés, mais cela n'a rien de surprenant ; c'est même fréquent. Cependant, ce ralentissement n'est pas uniquement une affaire de moyens. Il est en grande partie lié aux particularités de l'infection à VIH : une infection sexuellement transmissible (IST) dont la phase de latence préclinique est très longue et qui atteint particulièrement les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) ; or, il est fréquent que ces derniers aient plusieurs partenaires et n'observent que trop peu le port du préservatif.

Cette stagnation dans la lutte contre le sida n'est-elle pas aussi due à l'arrivée sur le marché du travail d'une nouvelle génération qui n'a pas connu réellement connu l’épidémie (grandissant a une époque où les malades du sida ne mourraient plus ou rarement du virus) ?

Un changement radical dans la perception de l'infection à VIH depuis 1996

En effet, les aspects psychologiques et culturels ont une influence déterminante sur la prévention et la détection de l'infection à VIH. De 1981 (date du début apparent de la pandémie d'infection à VIH) à 1996 (date du début de l'instauration de la trithérapie comme traitement de base), on a vu de très nombreuses personnes jeunes ou en pleine force de l'âge mourir du sida et souvent très rapidement. Dans le monde de la culture, des arts et du spectacle, ce fut une vraie hécatombe de personnes talentueuses, brillantes et célèbres qui ont disparu de façon tragique. Une recherche mondiale hyperactive a réussi en à peine 15 années à mettre au point un traitement qui contrôle l'infection à VIH, mais sans la guérir. Les adolescents qui avaient 14 ans en 1996 en ont 36 maintenant. Cette génération ne voit pas l'infection à VIH comme une maladie qui tue, mais simplement comme une maladie sérieuse et chronique qui complique la vie.

Le préservatif a peu de succès et même de moins en moins dans certaines populations

Les campagnes de prévention de l'infection à VIH se sont longtemps fondées sur l'usage systématique du préservatif. Cette recommandation générale qui était pratiquement une injonction a plutôt bien fonctionné tant que la maladie était encore mortelle ou à tout le moins grave et pénible. Manifestement, l'usage du préservatif de façon automatique ne fait pas recette. Dans ce sens, les préservatifs bon marché ou bas de gamme peuvent se montrer décevants sur le plan du confort et de la sensorialité, quand il ne leur arrive pas de se déchirer pendant l'acte sexuel. Il n'est pas du tout rare que des hommes refusent son usage et ce renoncement au préservatif est encore plus fréquent parmi les HSH.

La commercialisation de la PrEP et la PEP fait que le virus VIH fait de moins en moins peur

Depuis quelques années, la prévention a encore progressé avec la mise au point de la prophylaxie pré exposition et de la prophylaxie post exposition pour une personne séronégative VIH. Ces prophylaxies sont à base de médicaments antirétroviraux, étant donné qu'aucun vaccin n'est encore disponible à ce jour. La prophylaxie pré exposition ou PrEP (en anglais : pre-exposure prohylaxis) est commercialisée en France (TRUVADA) depuis 2015. C'est une bithérapie préventive qui s'adresse aux populations les plus exposées au risque d’infection par le VIH. La prise s'effectue à la demande, à l’occasion des rapports sexuels. La PrEP s'adresse plus particulièrement aux HSH. La prophylaxie post exposition ou PEP (en anglais : post-exposure prophylaxis) consiste à prendre des antirétroviraux (trithérapie), immédiatement après une exposition accidentelle au VIH, pour prévenir l’infection. Elle s’applique par exemple en cas de rapport sexuel non protégé. Cette trithérapie post exposition est recommandée dans les 48 heures suivant l’incident et pour une durée d'un mois.

Il est certain que, pour une personne informée sur l'infection à VIH et qui connaît l'existence et l'efficacité de la PrEP, de la PEP et de la trithérapie curative, d'une part l'infection à VIH est dédramatisée, d'autre part le port du préservatif paraît dès lors moins impératif.

Si la pandémie baisse moins rapidement que prévu, mais baisse néanmoins, ne courons-nous pas le risque de nous satisfaire de la situation voire de se trouver face à une nouvelle hausse du nombre de malades ? Comment lutter contre cette "satisfaction" ? 

Le déploiement mondial de la trithérapie a entraîné une amélioration spectaculaire, mais fragile

De gros efforts financiers ont été faits par les laboratoires fabriquant et commercialisant des antirétroviraux génériques, au point d'abaisser le prix du traitement annuel de première intention à un peu moins de 100 euros pour les pays les plus pauvres (en France c'est 75 fois plus cher). Cette importante baisse de prix qu'ont concédée les laboratoires de produits génériques a été décisive dans les progrès épidémiologiques accomplis. Étant donné que la trithérapie antirétrovirale a été déployée dans toutes les régions du Monde, le nombre annuel global de décès liés au sida dans le Monde (940 000) est aujourd'hui au niveau le plus bas jamais atteint au cours de ce siècle, après avoir déjà chuté en dessous du million pour la première fois en 2016. Mais cette diminution n’est pas suffisamment rapide pour pouvoir atteindre l’objectif fixé qui est de moins de 500 000 décès annuels liés au sida d’ici 2020.

La résistance de certaines souches de virus VIH aux antirétroviraux devient préoccupante

De plus, dans bien des pays du Monde, cette trithérapie est trop peu encadrée et accompagnée ; il en résulte des résistances de certaines souches de VIH aux médicaments antirétroviraux. Ces résistances commencent à devenir fort préoccupantes ; or, les traitements de deuxième et de troisième intention sont beaucoup plus chers que les traitements de première intention.

Cette résistance aux antirétroviraux de première intention pourrait compromettre le contrôle de l'infection à VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Elle est constatée en particulier dans les pays d'Afrique subsaharienne. En 2016, la prévalence (fréquence) de la résistance virale chez des personnes infectées par le VIH, mais n'ayant encore reçu aucun traitement, était proche du seuil critique de 10 % (seuil critique indiqué par l'Organisation mondiale de la santé), ceci à la fois en Afrique méridionale (australe) et orientale et en Amérique latine. Il est donc aujourd'hui indispensable et urgent de mettre en place une surveillance systématique de la résistance du VIH dans chaque pays. Il est également impératif de réajuster chaque politique nationale concernant les traitements antirétroviraux de première intention.

Que faire pour éviter de perdre les progrès considérables accomplis jusqu'à présent ?

Le traitement curatif doit encore évoluer. La trithérapie est efficace et relativement bien supportée. Mais des progrès sont encore à attendre. On devrait pouvoir encore améliorer la commodité et le confort de ce traitement. L'apparition de résistances dans les pays où la prise des médicaments n'est pas suffisamment encadrée ni accompagnée doit faire activer la recherche de nouvelles molécules. Surtout, seul le vaccin tant attendu pourra permettre de lutter très efficacement contre la pandémie à VIH. Car la trithérapie est incapable d'éradiquer la maladie, étant donné qu'elle se contente d'en bloquer l'évolution sans permettre d'espérer une guérison.

Financièrement, cela devient de plus en plus difficile. Le nombre de personnes séropositives VIH ne fait qu'augmenter et, malgré la réduction du prix de la trithérapie, ce sont des dépenses de santé qui finissent par devenir trop lourdes, si l'on prend en compte le suivi médical nécessaire de toutes les personnes traitées.

De gros efforts doivent porter sur la détection des personnes infectées et asymptomatiques. C'est une urgente nécessité. Tous les professionnels de santé, mais aussi toute la population, doivent œuvrer en ce sens. La détection des personnes séropositives VIH est l'un des importants progrès à faire pour améliorer la situation. Aujourd'hui, cette détection est largement facilitée ; mais encore faut-il l'accepter et s'en donner la peine. Le jour où l'on aura dépassé 90 % pour la proportion de PVVIH connues comme telles, on aura fait un progrès vraiment déterminant.

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