Des astronomes détectent un élément présent dans nos corps dans une galaxie distante de plus de 12 milliards d’années lumière<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vision d'artiste de la galaxie NGP-190387.
Une vision d'artiste de la galaxie NGP-190387.
©European Southern Observatory

Poussière d’étoile

Des astronomes ont détecté du fluor, un élément qui se trouve dans nos os et nos dents, dans une galaxie distante de plus de 12 milliards d'années-lumière. L'un des chercheurs responsables de cette découverte nous explique sa signification.

Maximilien Franco

Maximilien Franco

Maximilien Franco est postdoc en astrophysique à l'Université de Hertfordshire. Le sujet de sa thèse est "Remonter l'histoire cosmique de la formation des galaxies avec ALMA". Il travaille actuellement avec Kristen Coppin et s’intéresse tout particulièrement aux problématiques liées à l’évolution des galaxies. 

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Atlantico : Comme le rapporte un papier publié dans Nature Astronomy dont vous êtes le principal auteur, vous avez identifié la présence de fluor dans une galaxie située à 12 milliards d’années lumières de la Terre. Comment avez-vous fait cette découverte ?

Maximilien Franco : Cette découverte est totalement fortuite. Nous voulions étudier comment une galaxie lointaine, NGP-1903387, située à 12 milliards d'années-lumière de nous, c'est-à-dire que nous la voyons telle qu'elle était un milliard et demi d'année après le Big Bang, pouvait être aussi lumineuse en infrarouge. Il existe une relation de proportionnalité entre la luminosité infrarouge d'une galaxie et le nombre d’étoiles qu'elle forme. Nous voulions donc comprendre comment cette galaxie pouvait former autant d’étoiles lorsque l'Univers était si jeune.

Dans l'histoire de l'Univers, les galaxies n'ont pas formé des étoiles toujours au même rythme. Pendant les 4 milliards années qui ont suivi le Big Bang, le taux de formation d'étoiles dans l'Univers a fortement augmenté jusqu'à atteindre un pic. Depuis, le taux global de formation d'étoiles dans l'Univers est en déclin. Pour donner un ordre de grandeur, notre galaxie forme environ une masse solaire par an. Nous pensions que NGP-190387 pouvait former plusieurs milliers de masses solaires par an. Nous avons observé cette galaxie avec le réseau d'antennes ALMA. Ces antennes sont situées à 4000 mètres d'altitude dans le désert d’Atacama au Chili. Nous avons été un peu déçus lorsque nous avons vu les premières images de cette galaxie. Nous avons compris que si cette galaxie était aussi lumineuse, ce n'est pas parce qu'elle formait une quantité astronomique d’étoiles, mais qu'elle formait beaucoup d’étoiles et que sa lumière était amplifiée par un phénomène de lentille gravitationnelle. Notre déception a été de courte durée car en analysant le spectre de cette galaxie, nous avons remarqué une baisse d'intensité a une longueur d'onde très précise, ce qu'on appelle une raie d'absorption. Elle correspondait exactement à la longueur d'onde à laquelle la molécule de fluorure d'hydrogène absorbe la lumière. Cette découverte est donc le fruit du hasard. Nous avons trouvé quelque chose que nous ne recherchions pas.

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Le fluor est présent dans nos corps, notamment nos os et surtout nos dents. Que nous indique la découverte de cet élément chimique dans des galaxies aussi lointaines par rapport à nos corps et notre rapport à l’espace ?

A l'exception des éléments très légers, l'hydrogène et l'hélium, tous les autres éléments chimiques que nous connaissons ont été forgés dans le cœur des étoiles. Ces éléments vont se diffuser dans le milieu interstellaire à la mort de celles-ci. Vous connaissez peut-être l'expression de Carl Sagan qui a été popularisé en France par Hubert Reeves : "nous sommes des poussières d’étoiles". Le fluor est un élément un peu mystérieux. Nous ne savions pas s’il est formé majoritairement dans des étoiles qui ressemblent à notre soleil ou des étoiles vraiment très massives. La découverte que nous avons publiée permet d'en savoir un petit peu plus sur son origine.

Ce n’est pas la première fois que le fluor est identifié dans des étoiles. Qu’est ce qu’apporte votre découverte à ce que la science savait déjà ?

Le fluor a été observé dans beaucoup de galaxies "proches" (même si cette notion de proche est parfois trompeuse en astronomie). Cet élément a été détecté dans une poignée de galaxies lointaines. Jusqu'à maintenant, toutes ces détections dans des galaxies lointaines étaient dans des galaxies qui hébergent des trous noirs générant une quantité phénoménale de lumière, des quasars. Ce n'est pas vraiment le trou noir qui émet de la lumière mais le disque d'accrétion l’entourant. Cela rend l'analyse des propriétés des galaxies délicate. Cette découverte a été faite dans une galaxie qui n’a pas un trou noir «actif». 

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Cette détection dans une galaxie aussi distante est intéressante car nous savons que le fluor peut être produit par trois types d’étoiles. D'abord, des étoiles qui ressemblent à peu près à notre soleil, ou un peu plus massives que lui jusqu'à quelques fois la masse du soleil. Ces étoiles vivent très longtemps et vont évoluer en supergéantes rouges. La deuxième possibilité est que le fluor soit formé dans des étoiles plus massives, de l'ordre de 10 fois la masse du Soleil. Ces étoiles vont exploser en supernova de type II et elles ont un temps de vie relativement court. La dernière possibilité concerne des étoiles un peu particulières, très rares et, pour le coup vraiment très massives : les étoiles Wolf Rayet. Ces étoiles ont un temps de vie très court, quelques millions d'années seulement.

Nous avons fait tourner des modèles d'évolution chimiques qui prédisent les quantités de fluor produites par ces 3 types d’étoiles et comme notre galaxie a été vue peu de temps après le Big Bang, nos modèles nous indiquent que les étoiles de relativement faible masse n'ont pas eu le temps d'enrichir suffisamment le milieu interstellaire, de relâcher suffisamment de fluor pour expliquer la quantité de fluor détectée dans NGP-1903387. Même lorsque l'on rajoute la contribution des étoiles de 10 masses solaires qui vont évoluer en supernova de type II, la quantité de fluor produite n'est toujours pas suffisante. Il est vraisemblable que la majorité du fluor que nous détectons dans cette galaxie soit produite par des étoiles Wolf Rayet.

Vous écrivez que votre travail permet de mieux comprendre « les processus sous-jacents de la phase d'enrichissement chimique qui accompagne l'assemblage rapide de la masse stellaire dans une jeune galaxie massive ». De quoi est-il question ?

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Il est difficile d'avoir des informations sur l'enrichissement du milieu interstellaire des galaxies lointaines. C'est-à-dire comment un nuage de gaz qui contenait uniquement de l'hydrogène et de l'hélium s'est enrichi d'autres éléments chimiques. Il existe en particulier une population d’étoiles, les toutes premières, que nous n'avons jamais pu observer jusqu'à présent, qui ne contenait au début de leur vie que de l'hydrogène et de l'hélium. Etudier l'enrichissement du milieu interstellaire en mesurant le fluor par exemple, c'est comprendre un peu mieux les cycles stellaires, la répartition en masse des étoiles dans les galaxies lointaines et les processus qui ont conduit la formation des éléments plus lourds.

Le fluor est un élément passionnant car c'est l'élément le plus électronégatif. Il lui manque un électron sur sa couche externe pour avoir une configuration électronique stable. Pour cette raison, il va avoir tendance à s'associer avec un autre élément pour "récupérer" l'électron qui lui manque. C'est pour cette raison que lorsque l'on met en contact du fluor et de l'hydrogène, tout le fluor va se combiner avec l'hydrogène pour former du fluorure d'hydrogène ; c'est une réaction exothermique, elle produit de l'énergie, donc de la chaleur. C'est intéressant car l'hydrogène moléculaire qui constitue la majorité du gaz dans les galaxies est extrêmement difficile à observer directement. Pour estimer la quantité d'hydrogène d'une galaxie, nous utilisons une autre molécule, le monoxyde de carbone, qui entre en collision avec l'hydrogène et est donc excité par celui-ci. Plus une galaxie contient d'hydrogène, plus le monoxyde de carbone sera excité et émettra un rayonnement. En étudiant ce rayonnement, il est possible de déduire la quantité d'hydrogène moléculaire dans une galaxie. Malheureusement, cette méthode n'est pas parfaite et n'est pas très bien calibrée pour les galaxies lointaines. En observant le fluor dans les galaxies et en sachant que le fluor a été produit très rapidement, cela pourrait être un moyen innovant de nous aider à mieux calibrer et comprendre la relation entre le monoxyde de carbone et l’hydrogène dans les galaxies lointaines. 

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Quelles doivent être les prochaines étapes de la recherche selon vous ?

Il est toujours difficile d'obtenir un résultat robuste avec une seule détection. Il est nécessaire d'observer un échantillon plus grand de galaxies pour comprendre si ce résultat est identique dans un grand nombre de galaxies. Il serait également intéressant de comprendre si nous avons observé cette galaxie à un moment particulier de sa vie. Une hypothèse serait que nous avons observé cette galaxie pendant qu'elle fusionnait avec une autre galaxie, car cela génère une flambée de formation d’étoiles et cela pourrait expliquer pourquoi nous voyons aussi bien le fluor dans cette galaxie. Pour confirmer cette hypothèse, il faudrait observer cette galaxie avec une résolution plus grande pour pouvoir voir plus de détails où à une autre longueur d'onde, en ultra-violet ou dans le domaine visible.

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