Derrière les très bons chiffres de l’emploi en France, le soutien à l’apprentissage (mais à quel coût…?)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement subventionne beaucoup les contrats d’apprentissage.
Le gouvernement subventionne beaucoup les contrats d’apprentissage.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Aide à l'apprentissage

Selon Bruno Coquet, expert du marché du travail, les aides publiques actuellement en place pour l'apprentissage sont coûteuses et contre-productives pour l'économie.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Bruno Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

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Atlantico : Dans quelle mesure les bons chiffres du chômage que l'on observe actuellement sont-ils objectivement positifs ? Faut-il les nuancer compte tenu de la question de l'apprentissage ?

Bertrand Martinot : L'apprentissage soulève certaines questions, notamment en termes de viabilité financière. Cependant, d'un point de vue statistique, il n'y a aucun impact ni biais particulier sur les chiffres du chômage. Les résultats du chômage sont largement indépendants de la question de l'apprentissage. Pourquoi ? Tout simplement car, avant l'apprentissage, seulement 5 à 6% % des jeunes sont au chômage. Donc, il n'y a aucun impact sur le taux d'activité (fin 2022, le taux d’activité des 15-24 ans était de 42,2%, contre 38,4% fin 2015) et le taux d'emploi (+6,4 points), car on fait passer les jeunes du statut d'étudiant à celui d'employé salarié à temps partiel. Cela a un impact significatif sur les taux d'emploi et d'activité des jeunes. En revanche, cela a très peu d'impact sur le taux de chômage des jeunes.

Bruno Coquet : Alors, la première chose qu'il faut dire, c'est que les chiffres du chômage sont très bons, bien meilleurs qu'ils ne l'ont été depuis très longtemps. Il y a une dynamique très positive sur le marché du travail. C'est un point de départ incontournable.

Ensuite, nous pouvons aborder cette question sous différents angles. Le premier angle consiste à examiner les emplois aidés. Une note est parue qui s’appelle La politique de l'emploi prise à revers dans l'étau budgétaire. Voici l'histoire qui en découle : en 1997, le taux de chômage était de 10,4 % et les emplois aidés représentaient 6 % de l'emploi marchand. 1997, c’est le taux de chômage historiquement le plus élevé en France. Si nous regardons aujourd'hui, historiquement, sur les 40 dernières années, nous sommes au taux de chômage le plus bas, mais nous avons tout de même un niveau d'emploi aidés au même niveau qu’en 1997, voire légèrement supérieur, si l’on prend en compte ce qu’on appelle l'accompagnement aujourd'hui. 

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Par conséquent, nous avons à peu près autant d’emplois aidés que si le chômage était très élevé et qu'il y avait peu d'emplois disponibles sur le marché du travail. Donc, il y a deux choses qui interpellent : premièrement, il n’est pas justifié de subventionner les emplois, car le marché du travail se porte bien. Et deuxièmement, que faites-vous si un jour le marché du travail se détériore subitement et que vous restez avec ce niveau d'aide à l'emploi ? Vous avez un gros problème. Nous constatons qu'il y a beaucoup d'emplois aidés qui sont des contrats d’apprentissages, notamment en raison d’aides à la fois trop importantes et mal ciblées.

Le deuxième angle d'approche est de se comparer avec les autres pays européens. En général, on pourrait dire que la France s'en sort bien grâce aux politiques menées, mais la réalité est que dans d'autres pays, la situation est meilleure. Le taux de chômage de la France, est dans le bas du classement selon Eurostat. Cela est vrai à la fois en termes absolus et en termes de dynamique, c'est-à-dire que que par rapport à d'autres pays où l'amélioration a été moins rapide chez nous. Si vous regardez le taux d'emploi des personnes âgées de 20 à 64 ans publié par Eurostat, qui inclut donc les tranches d’âges touchées par l’apprentissage, nous restons aussi en bas de classement. 

En résumé, ces bons résultats sont bons dans une perspective historique française, mais sont loin de de nous placer en tête du peloton européen. En fait, pour le dire autrement, on aurait pu s'attendre à de meilleurs résultats. D’autant que les cycles économiques étant par définition cycliques, il est important d'obtenir de bons résultats maintenant, pour mieux faire face à une dégradation future.

Pourquoi n’avons-nous pas les bons résultats que l’on devrait avoir ?

Bruno Coquet : C’est difficile à dire. Il y a eu des réformes sur le marché du travail, certaines ont été bénéfiques, tandis que d'autres ont été moins efficaces. Fondamentalement, les employeurs se sentent plutôt rassurés, et pensent que les réformes ont aidé, c'est la première chose. La deuxième chose est qu'il y a un soutien budgétaire important de l'économie française. Comparé aux autres pays européens, nous nous situons ici encore en bas du classement. Le « quoi qu’il en coûte », comme on l'appelle ici, qui a été maintenu dans la durée, n'existe nulle part ailleurs. Il a soutenu l'activité économique, mais nous ne nous distinguons pas non de manière flagrante, en termes de dette, de déficit public, que ce soit en termes de niveau ou d'évolution, notre performance est médiocre. Et enfin, la dernière chose, qui est valable en tout temps car elle est structurelle : les emplois émergent lorsque l'économie se développe, c'est-à-dire lorsque les entreprises investissent. La réindustrialisation est une chose importante mais il ne s'agit pas seulement de l'industrie, il y a aussi des services liés à l'industrie, et les services marchands en général. Il faut que le secteur productif crée des emplois, et pour cela, il faut que les entrepreneurs se sentent rassurés pour investir et embaucher. C'est principalement grâce à cela que les embauches ont eu lieu. 

En termes rationnels, l’argent dépensé vaut-il il les résultats économiques obtenus ?

Bruno Coquet : Ce qui est sûr c’est que c’est très coûteux. L'apprentissage ne contribue pas significativement à la baisse du taux de chômage. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, il s'agit d'une conversion d'étudiants en salariés. Certes, il peut y avoir quelques personnes qui étaient au chômage et en ont bénéficié mais fondamentalement, étant donné que la hausse de l’apprentissage a absorbé principalement des étudiants de l'enseignement supérieur, qui pour la plupart qui n'étaient pas au chômage. Par conséquent, cela augmente le taux d'emploi sans réduire le taux de chômage de manière significative. Ainsi, on ne peut pas dire que cette politique de l'emploi a réellement réduit le taux de chômage dans cette mesure-là. Cependant, il existe de nombreux autres facteurs qui influent sur le marché du travail et sur la situation des personnes sans emploi.

Ce qui est certain, c'est que ces dépenses de soutien à l'emploi posent question. Il y a une contradiction très forte dans l'affirmation du gouvernement qui d'un côté dit que le marché du travail se porte bien, et de l'autre côté, déploie des politiques d'emploi aidés. Et on ne parle pas ici de politiques structurelles comme des allègements de cotisations sociales pour réduire le coût du travail. On parle bien d’aides conjoncturelles, qui ne se justifient pas à ce niveau, quand la conjoncture est favorable.

Et finalement, dans mes travaux sur l'apprentissage, il y a un aspect auquel il est difficile d'échapper, c'est le coût budgétaire gigantesque et l’inefficience de cette dépense. Il s'agit budgets considérables : 20 milliards en 2022, dont environ 8 milliards ne se justifient pas. Et ce d’autant plus que dans la période actuelle, le redressement des finances publiques devrait primer afin de préserver des marges de manœuvre en cas de ralentissement économique.

Malgré tout, l'apprentissage et les coûts qui y sont associés interrogent quant à savoir si cela vaut la peine en termes de dépenses engagées par rapport aux emplois qui en découlent. Qu’en pensez-vous ? 

Bertrand Martinot : Il ne s'agit pas seulement d'emplois, mais aussi de formation. Les jeunes en apprentissage sont globalement mieux formés que ceux qui ne le sont pas. Si l'apprentissage n'existait pas, les jeunes auraient des coûts de formation, que ce soit à l'université ou dans les grandes écoles, qui seraient également supportés par les finances publiques. Le véritable enjeu, à mon avis, réside dans l'ajustement des aides à l'embauche, qui représentent environ 3,5 milliards d'euros par an. C'est effectivement une question cruciale. Quant aux coûts de formation des apprentis, ils sont élevés, mais si ces jeunes étaient formés ailleurs, cela coûterait également.

Concernant les chiffres du chômage, qu'est-ce qui explique ces bons chiffres que nous observons actuellement ?

Bertrand Martinot : En 2022, nous avons enregistré 445 000 créations d'emplois salariés, ce qui est le plus haut niveau depuis 2019. Il est donc normal que le chômage diminue. Il n'y a aucun élément contradictoire à ces chiffres. Ils sont non seulement indépendants de tout pilotage, mais ils s'expliquent par des créations d'emplois exceptionnelles. Une partie de ces créations d'emplois est due à l'apprentissage, mais cela n'a pas ou peu d'impact sur le chômage, comme nous l'avons mentionné. Même si nous excluons les créations d'emplois liées à l'apprentissage, nous constatons une augmentation extraordinaire des emplois, dans toutes les catégories, principalement en CDI. Nous n'avons jamais créé autant de CDI. C'est un marché du travail dynamique dans toutes les catégories socio-professionnelles, des ingénieurs aux commerciaux, sans précédent depuis que j'étudie ce sujet.

Qu’est-ce qui explique, alors, ces chiffres ?

Bertrand Martinot : Alors, vous avez une partie de l'explication, sans aucun doute, qui réside dans toutes les réformes qui ont été mises en place sur le marché du travail au cours de ces dernières années. En premier lieu, il y a les réformes réalisées, notamment celles initiées par Sarkozy telles que la rupture conventionnelle qui facilite les ruptures de contrat de travail, ainsi que le paquet d'ordonnances de Macron en 2017 qui comprend des allègements de charges. De plus, l'unification de tous les allégements de charges en 2019 et la création d'un allègement de charge massif ont également contribué. Cependant, il y a également une part d'inexpliqué, car malgré une croissance très faible, nous créons un nombre important d'emplois, ce qui reste un mystère. Au premier trimestre, par exemple, malgré l'absence de croissance (0%), nous avons créé près de 90 000 emplois, ce qui est complètement surprenant. En fin de compte, personne n'a réellement la réponse à cette question, mais une partie de la réponse réside certainement dans les réformes mises en place. C'est une réalité tangible qui se constate.

 In fine, quel bilan tirez-vous de l'évolution de l'apprentissage ces dernières années, d'après votre note ?

Bertrand Martinot : D'un point de vue quantitatif, c'est un succès majeur. Le seul aspect négatif est que l'apprentissage n'a pas réellement décollé. Il a progressé, mais pas autant que prévu, surtout pour les jeunes au niveau du baccalauréat et en-dessous, qui rencontrent davantage de difficultés. Cela s'explique en partie par le fait que les lycées professionnels, qui ont la responsabilité de leurs étudiants, ne les orientent pas suffisamment vers l'apprentissage. Il faudrait réformer non seulement les lycées professionnels, ce qui est une bonne chose, mais aussi s'assurer que les jeunes choisissent davantage cette voie. Je ne parle pas des jeunes des grandes écoles, car je suis très satisfait de leur engagement dans l'apprentissage. Il y a également la question de la viabilité financière à prendre en compte, tout en gardant à l'esprit que même si ces jeunes n'étaient pas en apprentissage, ils coûteraient quand même. Ce point est détaillé dans la dernière partie de ma note à Montaigne, sur quelques pages.

Quelles sont vos recommandations pour rationaliser le dispositif d'apprentissage et le rendre plus viable financièrement ?

Bertrand Martinot : Il y a plusieurs pistes à explorer pour rationaliser le dispositif et le rendre financièrement plus soutenable. Je ne peux pas tout détailler maintenant, mais si vous lisez ma note, vous trouverez dans les dernières pages de nombreuses pistes de réflexion et de travail pour y parvenir. Je propose quatre axes de réflexion : L’élargissement du vivier de l’apprentissage ; Étudier l'opportunité d'une nouvelle réforme du lycée professionnel et de l'orientation afin de favoriser l'apprentissage sur les premiers niveaux de qualification , Tendre vers une plus grande reponsabilité des branches et des entreprises ; Engager une réflexion sur le financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur professionnel.

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