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Derrière le panache des As, les aviateurs ont aussi pu être de véritables tueurs à sang froid
©Capture d'écran // Librest.com

Bonnes feuilles

La maison d'édition "Perrin" publie Le siècle des As (1915-1988), Une autre histoire de l'aviation de Pierre Razoux. Extrait 2/2

Au sein de cette famille d’as calculateurs et méthodiques émerge un groupe de tueurs froids et sans scrupules, animés du goût de la chasse et du sang, qui se complaisent à abattre leurs adversaires sans une once de pitié, tirant pour tuer et non pour effacer du ciel des avions ennemis. Pour illustrer cette catégorie d’as impitoyables, les historiens ont longtemps convoqué les figures de Manfred von Richthofen et de Hermann Goering, bien que cela reste discutable, mais aussi de René Fonck (75 victoires). Son cas mérite que l’on s’y attarde, car le recordman de la chasse française reste aujourd’hui encore un personnage très controversé. Fils de paysan vosgien, très vite orphelin, René Fonck devient apprenti mécanicien dans son bourg de Saint-Dié-des-Vosges, avant de faire son service militaire dans le génie à l’été 1914. Affecté comme mécanicien dans l’aviation, il est désigné pour suivre les cours de pilotage début 1915. Son brevet en poche, il est immédiatement versé dans la reconnaissance, ce qui lui donne l’occasion d’obtenir ses premières victoires. Transféré à sa demande dans la chasse en 1916, il rejoint les « Cigognes » en avril 1917, côtoyant les figures emblématiques de l’époque. D’emblée, il s’en distingue par son caractère renfermé et taiseux, à l’opposé du tempérament jovial et extraverti de ses camarades. Comme le dira plus tard le général d’Harcourt : « Guynemer c’était la fougue, Fonck c’était la technique! » Il n’en accumule pas moins rapidement les victoires. Dans ses Mémoires, il écrira plus tard, après avoir atteint un pilote allemand en pleine poitrine : « J’atterris tout vibrant encore en me disant que c’était là du beau travail et que si tous les jours ressemblaient à celui-là, les autres auraient fort à faire pour continuer à figurer devant moi parmi les as du tableau de chasse. » Il précise d’ailleurs qu’« il est rarement possible de faire de quartier sans trahir les intérêts du pays ». Comme c’est un excellent mécanicien – un point commun avec Guynemer –, il n’hésite pas à interagir avec les ingénieurs pour leur permettre d’améliorer le SPAD qui devient sa monture de prédilection. Étant en excellente forme physique et ne faisant aucun excès, il développe une technique respiratoire qui lui permet de grimper à plus de 6 500 mètres sans oxygène (les avions n’en emportent pas encore), se mettant ainsi hors de portée des chasseurs adverses. Comme c’est un tireur d’élite, qu’il a le coup d’oeil et que son SPAD pique mieux que n’importe quel autre chasseur, il fond sur ses proies, les foudroie d’une brève rafale de mitrailleuse (pour limiter les risques d’enrayement) et redresse brutalement son avion pour retourner en altitude. Le 11 août 1918, il bat son record de vitesse, abattant trois chasseurs allemands en moins de dix secondes ! Sa recette est simple : « Pour obtenir des résultats sérieux, il faut savoir dominer ses nerfs, garder une absolue maîtrise de soi et raisonner froidement les situations difficiles. » Calculant soigneusement tous les paramètres avant de se lancer à l’attaque, il n’est jamais blessé – ni même abattu – même si, comme il l’écrit : « Je ne déteste pas le léger frisson que j’éprouve en voyant mon aile traversée d’un obus d’artillerie ; la vie m’apparaît meilleure et mon sang fouetté remonte à mes joues plus rouge et plus chaud. » De fait, il termine la guerre avec  75 victoires homologuées, s’imposant comme l’As des as des armées alliées. C’est donc en toute logique qu’il porte le drapeau de l’Aéronautique militaire lors du défilé de la Victoire, le 14 juillet 1919. Tout semble lui sourire. Il est couvert d’honneurs et de médailles ; il devient la même année l’un des plus jeunes députés de la Chambre bleu horizon, faisant campagne dans ses Vosges natales en larguant des tracts électoraux à bord d’un avion ! L’institution militaire comprend très vite qu’elle vient de perdre l’un de ses pilotes les plus performants, à défaut d’être l’un des plus populaires. Elle regrette aussi son manque de charisme lorsqu’il se livre à un réquisitoire sur l’état pitoyable de l’aviation militaire française à la fin des années 1920, puis lorsqu’il se prononce pour la création d’une armée de l’air indépendante. Intuitivement, elle lui reproche de se rapprocher du maréchal Philippe Pétain qui n’a jamais été un ardent défenseur de l’arme aérienne, mais aussi de se laisser séduire par les États-Unis et l’Allemagne où il séjourne à plusieurs reprises, délaissant quelque peu les réalités françaises. Bref, à la création de l’armée de l’air, il n’obtient qu’un modeste poste de commandant de réserve avec pour seule obligation la rédaction d’un rapport sur l’amélioration de la formation des pilotes de l’aviation légère, vite enterré. En septembre 1939, à quarante-cinq ans, il est promu lieutenant-colonel mais ne se voit confier qu’une tâche subalterne sur la base d’Agen, alors qu’il vole encore régulièrement et aurait aimé une affectation plus opérationnelle. Démobilisé fin juin 1940, très certainement frustré, il se rappelle au bon souvenir du maréchal Pétain. Celui-ci, qui préside aux destinées de Vichy et connaît son amitié avec Hermann Goering, lui confie des missions de médiation en direction de l’ancien as allemand, entre avril 1942 et le printemps 1943. Le moins que l’on puisse dire, c’est que René Fonck se montrera piètre diplomate, multipliant les faux pas au point de faire échouer ces discussions. Qui semblaient de toute façon vouées à l’échec si l’on en croit François Cochet18. Déçu et humilié, Fonck prend ses distances avec Vichy à l’été 1943. Il ne sera pas la première figure militaire à avoir été instrumentalisée, pour ne pas dire trompée, par un pouvoir politique aux abois. Soixante ans plus tard, le général Colin Powell, héros de la guerre du Koweït de 1991, tombera dans le même piège tendu par le président américain George W. Bush en tentant pitoyablement de convaincre la communauté internationale de l’existence d’un arsenal chimique irakien.

Arrêté à la Libération en raison de sa proximité avec le régime de Vichy, Fonck bénéficie d’un non-lieu deux mois plus tard, aucune charge n’étant retenue à son encontre. Il retrouve même son grade de colonel de réserve. Il s’enferme dans le mutisme, s’isole dans les Vosges et s’éteint précocement à cinquante-huit ans, le 18 juin 1953 – une place de son village natal porte son nom. Des promotions de l’École de l’Air ont proposé à plusieurs reprises de prendre son patronyme comme nom de baptême. Chaque fois, elles se sont vu opposer le même refus. En 1966, le colonel Hayez du Service historique de l’armée de l’air avait pourtant été limpide : « Il est vraisemblable que l’activité politique de Fonck, sous le gouvernement de Vichy, est la raison profonde pour laquelle le commandement rejette la proposition des élèves de l’École de l’Air. » Comme le souligne avec justesse François Cochet, « pourquoi être aujourd’hui plus sévère avec Fonck, sur le plan mémoriel, qu’avec un ancien chef de l’État décoré de la francisque par Philippe Pétain, qui s’est lui aussi éloigné de Vichy dans la seconde moitié de l’année 1943 ? ». N’est-il pas temps de le réhabiliter comme le suggère son plus récent biographe ? Plus que son engagement ponctuel au profit du régime de Vichy, l’on peut en fait subodorer d’autres raisons plus profondes qui ont justifié une prise de position aussi tranchée de l’armée de l’air : sans doute le fait de ne pas être intervenu pour éviter que des aviateurs courageux ayant fait le choix de la Résistance ne soient condamnés à mort par contumace par le régime de Vichy ; sans doute aussi le fait d’avoir snobé les FAFL en 1944-1945, au temps de la reconstruction de l’armée de l’air de la Victoire ; sans doute surtout son caractère bougon, orgueilleux et taciturne, et sa réputation de tueur sans pitié, à l’extrême opposé des valeurs positives que les généraux aviateurs souhaitent depuis promouvoir auprès des jeunes pilotes, qui leur font préférer un Guynemer ou un Madon.

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