Derrière la loi immigration, une silencieuse révolution politique à droite<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Marleix, président de groupe des Républicains à l'Assemblée nationale, et Eric Ciotti, député et président des Républicains.
Olivier Marleix, président de groupe des Républicains à l'Assemblée nationale, et Eric Ciotti, député et président des Républicains.
©Ludovic MARIN / AFP

Sursaut

Alors que le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision jeudi, la séquence « loi immigration » a mis en lumière une attitude nouvelle de la droite classique. Sans traduction électorale pour l’instant.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Alors que le verdict du Conseil constitutionnel est imminent concernant la loi immigration, la séquence politique sur la « loi immigration » a mis en lumière une attitude nouvelle de la droite classique. Cette droite ne cède plus, ou nettement moins, aux accusations de ringardise, conservatisme, extrême-droitisation à l’image des récents propos de Gérard Larcher au Figaro. Qu’est-ce que révèle cette silencieuse révolution politique à droite, notamment chez Les Républicains ? Quelle est cette nouvelle attitude de la droite classique ?

Christophe Boutin : Le 13 juin 1849, sous la Deuxième République, le chef des démocrates, Ledru-Rollin, qui accuse le ministère de violer la Constitution et demande sa chute, est débordé par ses troupes, qui veulent elles un gouvernement provisoire et poussent à l’émeute. Après l’échec de cette dernière, et la condamnation et l’exil de Ledru-Rollin, ce dernier commentera ainsi l’épisode : « Je suis leur chef, il fallait bien les suivre ». 

Il est permis de penser que les élections législatives de 2022, et la constatation qu’ont pu faire à ce moment les députés des Républicains de l’état d’esprit de leurs électeurs potentiels, a un rôle dans cette nouvelle attitude de la « droite classique », dite aussi « droite de gouvernement ». En 2022, en effet, ils ont pu constater le peu d’enthousiasme des électeurs qui, classiquement, leur apportaient leurs voix, mais qui, là, déposaient d’autres bulletins dans les urnes. Et si le parti a réussi à éviter une totale catastrophe électorale, rappelant celle du parti socialiste en 2017, ce fût grâce à l’ancrage territorial de certains de ses parlementaires, reconnus à titre personnel pour leur défense des intérêts de leurs circonscriptions, bien plus que, collectivement, comme porteurs d’un programme des Républicains que sa principale représentante, Valérie Pécresse, avait quelques mois auparavant, lors de l’élection présidentielle, amené en dessous des 5% de suffrages exprimés. 

Un autre élément d’explication de l’évolution tient au fait que le parti s’auto-épure petit à petit. Il y a toujours eu chez les Républicains une aile conservatrice, héritière de l’ancien RPR, et une aile centriste, héritière de l’ancien UDF, auxquelles il convient d’ajouter une troisième ligne, celle des ambitieux qui pensent plus en termes de carrière personnelle que de constance politique. Or l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir a permis de clarifier les choses : les centristes, de manière assez logique, plus proches de Renaissance sur la place que doit avoir l’Union européenne, la question de l’immigration ou celle de l’identité nationale, se sont pour certains ralliés idéologiquement. Nombre d’ambitieux se sont ralliés pour des raisons plus concrètes, ne voulant pas rester éloignés du pouvoir.

Cela ne veut pas dire que ne reste actuellement chez les Républicains que la frange conservatrice - le fait que Valérie Pécresse ait été la représentante du parti à l’élection présidentielles de 2022, alors qu’elle est plutôt une progressiste, montre clairement que la division existe encore -, mais le rapport de force interne n’est sans doute plus le même. Autrefois, les conservateurs avaient pour eux les électeurs mais les centristes représentaient une très grande partie des cadres, une division qui résultait des typologies distinctes du RPR et de l’UDF. On élisait donc des centristes avec les voix de ces conservateurs qui continuaient de voter pour le parti « du Général ». Mais en 2022 ce sont plus des conservateurs qui ont été réélus, et qui, par voie de conséquence, représentent une part plus importante des cadres du parti, ce qui conduit à son évolution.  

En quoi, contrairement à ce qui a beaucoup été répété, la loi immigration n’est pas une victoire idéologique du RN ou de la macronie, mais bien plus une victoire idéologique des LR qui ont réussi à imposer leurs thématiques et leurs idées de nécessité de modifier la Constitution et la hiérarchie des normes en France ?

Je ne dirais pas que la loi immigration a été une victoire idéologique des seuls Républicains. Elle a été la transcription d’un réalisme politique partagé par le Rassemblement national et les Républicains, et si ce sont ces derniers qui, étant plus à la manœuvre, ont donné l’impression d’imposer leurs choix, notamment dans les modifications qui ont été apportées au projet initial et sur lesquelles le Conseil constitutionnel va sans doute revenir aujourd’hui, c’est parce qu’ils étaient présents dans les instances de direction de la chambre, et notamment à la commission mixte paritaire, et que le RN ne dispose pas d’un poids suffisant au Sénat, alors que l’enjeu était justement de voir la Chambre haute imposer ses vues au gouvernement  d’Élisabeth Borne. C’est donc une victoire idéologique d’une droite qui englobe à la fois les Républicains - ou du moins leur aile conservatrice - et le Rassemblement national, mais mise en musique par les seuls qui pouvait le faire concrètement, les Républicains. 

Sur la nécessité de modifier la Constitution pour parfaire le travail ensuite, il y a là aussi cohérence entre les vœux du Rassemblement national et ceux des Républicains. Reste que le problème ne sera pas tant celui de la révision de la Constitution, pour permettre de lutter de manière plus efficace contre l’immigration illégale ou de mieux contrôler l’immigration légale, car, derrière, se poseront nécessairement d’autres questions : celle du poids des textes ou des jurisprudences venant de l’Union européenne, celle des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, autant d’éléments contre lesquels une révision constitutionnelle serait de peu d’effet. Or, sur ces points, les divisions internes aux Républicains pourraient ressurgir.

Cette révolution silencieuse politique à droite et les avancées sur le projet de loi immigration ne sont-elles pas liées à l’existence d’une galaxie de médias (du groupe Bolloré et d’autres médias) qui ne cèdent plus depuis longtemps ? Le succès de ces médias Bolloré indépendants n’a-t-il pas décoincé la droite dont le centre de gravité s’est déplacé et dont les rapports de force internes se sont rééquilibrés ? L’environnement culturel général n’a-t-il pas évolué ?

Vous mettez le doigt sur un problème important, et il n’est que de voir la bronca des médias « classiques », habitués à être en politique les arbitres de ces élégances morales dont dépend le droit de s’exprimer, contre les médias du groupe Bolloré pour comprendre que l’on touche à quelque chose d’essentiel. S’il y avait sans doute déjà des médias « de droite », diffusant, des idées contraires à la doxa progressiste, il est évident que le groupe Bolloré, entre Europe 1, CNews et le JDD, est d’une tout autre ampleur. On ne peut comparer la force de frappe ancienne et la nouvelle et chacun aura constaté que, depuis, un ton nouveau existe, et que l’on entend ceux que l’on n’entendait pas.

Or tous ces médias ont progressé en termes d’audience, CNews concurrençant BFMTV quand Europe 1, non seulement enraye sa chute, mais remonte de manière très nette. Il y avait donc ici une attente des Français, non pour des médias politisés à droite et diffusant une propagande, mais pour des médias qui, au moins, donnaient la parole à des gens clairement identifiés comme étant de droite sans en faire uniquement les victimes de procès médiatiques. Une parole nouvelle, sinon interdite, au moins empêchée, s’exprime depuis, qui n’a pas modifié ce que pensaient les électeurs, mais leur a montré qu’ils avaient le droit de le penser.

Cela a-t-il des conséquences politiques ? Comment cela pourrait-il ne pas en avoir ? Point besoin d’être gramscien pour savoir que le pouvoir culturel peut favoriser ou incapaciter un intervenant, permettre ou interdire une opinion, et donc jouer un rôle politique.

Comment expliquer le paradoxe d’une droite qui retrouve son dynamisme mais qui ne marque aucun point électoralement ? Selon le dernier sondage Ifop, publié le 23 janvier, la liste LR portée par Bellamy est à 6,5 points derrière tout le monde alors que le climat politique global et l’attente des Français n’a jamais été aussi favorable à la droite ?

Peut-être ce sondage envisageait-il un panel de listes plus important que celui qui existera réellement le jour des élections européennes. Attendons aussi de savoir comment seront composées dans le détail les listes - car il n’y a pas que la tête de liste – et quels seront leurs programmes. 

Mais il est vrai que les Républicains ont un problème. On voit bien en effet que les droites qui progressent partout en Europe, et qui seront très certainement nettement plus présentes au Parlement européen après les prochaines élections, sont souvent des droites eurosceptiques. Or les Républicains semblent toujours divisés en interne entre un courant plus ou moins franchement eurosceptique et un autre favorable au contraire à l’évolution actuelle de l’Union européenne. 

On entend bien la thématique de François-Xavier Bellamy de faire bouger les choses de l’intérieur, mais les électeurs savent aussi que le Parlement européen, ne votant pas les textes, n’a qu’un rôle somme toute secondaire, et ils constatent que lorsque la Commission de l’Union européenne impose par la force ses choix, bien loin du strict respect des traités, elle n’est pas réellement contrée. 

C’est là un premier élément de réponse des réserves faites, l’attente d’un discours plus tranché, plus offensif – et sans doute plus difficile à assumer chez les Républicains du fait de leurs approches différentes. Un élément auquel il convient d’ajouter le souvenir de l’expérience Sarkozy, c’est-à-dire celui de la trahison d’une large partie de son électorat, par le Président, certes, mais aussi, globalement, par son parti. Un élément de doute que réactivent les révérences que continuent de manifester certains élus Républicains – en moindre nombre puisque le sarkozystes forment maintenant l’ossature du gouvernement d’Emanuel Macron - pour l’ancien président de la République. 

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