Derrière ce remaniement caricatural : accident industriel ou moment de vérité ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron prononce un discours à côté d'Elisabeth Borne lors d'une réception pour le personnel militaire à la veille du 14 juillet, à Paris, le 13 juillet 2023.
Emmanuel Macron prononce un discours à côté d'Elisabeth Borne lors d'une réception pour le personnel militaire à la veille du 14 juillet, à Paris, le 13 juillet 2023.
©TERESA SUAREZPOOL / AFP

Chaises musicales

La composition de la nouvelle équipe gouvernementale a été dévoilée au compte-goutte jeudi, parfois par les ministres eux-mêmes, avant d'être officialisée par un communiqué de l'Elysée, en début de soirée.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Au terme de longues tractations entre Elisabeth Borne et Emmanuel Macron, le remaniement a été annoncé en fin de journée, ce jeudi. Un Conseil des ministres est prévu ce vendredi à 10 heures. Que penser de la méthode de ce remaniement et de la forme de ces annonces ? Quel bilan politique est-il possible de tirer de ce remaniement ? 

Jean Petaux : Vous employez, dans votre question, le terme « tractations » pour désigner la séquence politique qui vient de s’achever et dont les protagonistes ont donc été les deux « têtes » de l’exécutif. En soit le mot peut surprendre. On le verrait volontiers figurer dans un répertoire lexical appartenant à la période dite de « cohabitation » où, le Président de la République et le Premier ministre n’appartenant pas au même bloc politique, l’un et l’autre étant détenteur d’une légitimité politique opposée, des « tractations » doivent bien avoir lieu. Telle n’est pas, semble-t-il, la configuration politique actuelle. Pour autant vous avez parfaitement raison de parler de « tractations ». Ce qui ajoute encore une couche à l’épaisse médiocrité qui ressort de cet épisode « remaniement », dans la forme au moins. Rappelons, d’un mot, les termes de la Constitution de la Cinquième république. L’article 8 traite des rapports entre le PR et le PM : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ».

S’il y a forcément discussion et échange entre l’hôte de l’Elysée et celui de Matignon pour convenir de telle ou telle nomination sur tel ou tel portefeuille, entre un Président et un Premier ministre appartenant à la même majorité politique, cette « co-construction » déséquilibrée (car la lettre et l’esprit de la Constitution donnent bien le « final cut » au chef de l’Etat), ne saurait durer plus que de raison. Sauf à être en présence d’acteurs pusillanimes, procrastinateurs, paresseux ou perfectionnistes. Voire tout cela en même temps... Pour suivre la vie politique française depuis de très nombreuses années et en connaître les méandres et les ressorts, je n’ai absolument pas le souvenir d’avoir assisté, publiquement, à un tel foutoir dans le processus formel de publicisation des changements de portefeuilles ministériels. Dès le « renouvellement » de la Première ministre dans ses fonctions, la manière a porté la marque de la désinvolture. Aucune déclaration officielle, aucune parole publique, une « indiscrétion élyséenne » évoquant une « reconduction confirmée ». Le ton était donné à l’évidence. Là où le modus operandi aurait pu être très simple, parce qu’il est inscrit dans la pratique constitutionnelle depuis 1958, la Première ministre présentait sa démission et celle de son gouvernement au chef de l’Etat, celui-ci l’acceptait et lui demandait immédiatement de lui proposer un nouveau gouvernement. Lequel pouvait être constitué officiellement dans les jours suivants. Il était alors loisible de « sortir » tel ou tel ministre, de faire « entrer » telle ou telle autre personnalité, de renouveler en profondeur l’équipe gouvernementale ou bien de ne le faire qu’à la marge. Cela aurait été tout à la fois respectueux des institutions, de leur esprit et de leur pratique, depuis 65 ans désormais. Car c’est ainsi qu’ont procédé les prédécesseurs de l’actuel hôte de l’Elysée… Ils n’ont pas inventé le « remaniement au fil de l’eau » ou « en continu »…

Il se trouve que lorsque le projet politique se dérobe, lorsque l’ambition s’éteint, lorsque le fond s’évapore, il est tentant de privilégier la forme, mais pas dans son épure ni dans son respect de la tradition. Bien au contraire, dans une espèce de disruption foutraque, d’improvisation érigée au rang de ligne de conduite quand ce n’est pas l’affichage de la banalisation revendiquée d’un acte pourtant éminemment régalien : celui de former le gouvernement de la France. Alors, dans une sorte de cacophonie confinant au « marché de Brive-la-Gaillarde », on a entendu telle ou telle personnalité dire à tel ou tel interlocuteur médiatique : « je suis nommé ministre de… » ou bien « je quitte le gouvernement », « je passe à… », « je suis viré… ». Le communiqué officiel de l’Elysée présentant la nouvelle liste des ministres « tombe », le jour de ce « non-événement » à 19h40, mais depuis le début de l’après-midi les « indiscrétions » se sont accélérées, faisant suite aux « rumeurs » qui circulaient depuis trois bonnes journées. Les sites internet des médias les plus sérieux deviennent, dans le courant de la journée, des recueils de « bruits » où tous les verbes se conjuguent au conditionnel puisque rien n’est sûr, tout est contestable et l’ensemble est à même d’être infirmé dans le quart d’heure. Les journalistes appellent les experts pour les interroger sur tel ou tel « nommé », mais il s’avère que ce n’est qu’un « nominé » puisque rien n’est encore certain… Il est alors convenu d’attendre l’annonce officielle pour diffuser tel ou tel entretien… On imagine la jubilation malsaine de celui qui regarde tout cela, puisqu’il en est le démiurge et le manipulateur en chef. Les dieux grecs prenaient ainsi un plaisir certain à jouer avec les « mortels ». Ils prouvaient dans ces exercices leur inhumaine condition et leur suprématie incontestée.

En tous les cas, politiquement parlant, pour redescendre de l’Olympe élyséen, les « petits Machiavel du temps », pour reprendre l’expression sévère que Chateaubriand réserva à Villèle et à ses conseillers, en 1827, minables politiques au service du très médiocre Charles X, auraient été plus inspirés de régler correctement la musique de ce « remaniement technique » qui voit quand même 11 portefeuilles ministériels changer de titulaire sur 41 (le gouvernement « sortant » qui n’est jamais « sorti » puisqu’il n’y a pas eu de démission… en comptait 42). Car la question se pose forcément : « pour avoir été aussi médiocres dans la forme (pour le fond on verra à l’usage comment se comportent celles et ceux qui viennent d’arriver au gouvernement) faut-il l’avoir fait exprès ou est-ce le produit d’une incapacité politique structurelle ajoutée à une maladresse communicationnelle tutoyant le chef d’oeuvre ? ».

Ce remaniement est-il un accident ou est-ce un moment de vérité sur la nature du macronisme ? 

Jean Petaux : Votre question prolonge la mienne. Deux réponses sont possibles. 

La première est celle de l’incompétence politique. Dans cette hypothèse la cacophonie a été générée par la pression mise sur les uns et les autres, par les conversations « officieuses », par les « confidences » forcément et toujours destinées à être d’autant plus répétées qu’elles sont « très confidentielles »… L’amateurisme qui a vu s’égayer dans la nature des anciennes et des anciens ministres tout juste débarqués et des « petites nouvelles » et « petits nouveaux » trop contents et impatients de dire à la terre entière, à leur maman, à leur maitresse, à leur amant, à leurs cousins, que « ça y est, je suis ministre. C’est super non tu crois pas ?... De quoi ?... Ah ben attends, là je ne sais pas encore vraiment de quoi, mais je vais le savoir bientôt, peut-être que sur internet tu le sauras avant moi… », cet amateurisme de cour de récréation qui pourrait s’entendre si le sommet de l’exécutif débarquait au pouvoir, et qui est incompréhensible quand on réalise qu’il y « stationne » depuis six ans, n’est pas recevable tout simplement parce qu’il est de pure forme, parce qu’il fonctionne comme un « masque ». Comme le « persona » latin, le « masque de pierre » que les acteurs du théâtre antique portaient sur scène. Ce masque vaguement rigolard qui « se fout de la gueule du public ». C’est la raison pour laquelle une seconde réponse s’impose. Celle de l’intentionnalité, celle d’un « sous-texte » qui dit autre chose que ce qui est donné à voir au bon peuple, lequel, de toute manière, s’ennuie de cette piteuse représentation théâtrale… 

Ce simulacre de remaniement ministériel, mal fagoté, mal traité, mal présenté et finalement fort mal « vendu » peut se lire, dans « le Macron dans le texte » comme la marque du peu de cas que le chef de l’Etat fait du gouvernement, de sa première ministre et de la plupart de ses ministres. On ne prête attention qu’à ce que l’on respecte. Faire savoir par un porte-serviette (étymologiquement, le cinéaste italien Daniele Luchetti nous le rappelle dans « Il Portaborse » - 1991 -, avec Nanni Moretti dans le rôle principal, le porte-serviette est celui qui portait la serviette destinée à « torcher » les fesses du roi…) que la Première ministre est maintenue à son poste, c’est déjà la considérer comme « quantité quasi-négligeable ». Ne pas la mentionner plus que cela dans les prises de parole publiques qui s’ensuivent, ne pas lui renouveler sa confiance et son soutien, quand on est, par ailleurs, si soucieux de flatter, de « caresser dans le sens du poil », lors d’une « garden party » élyséenne qui tenait davantage du supplice chinois que de la soirée « entre amis », c’est insister davantage encore dans, non pas le « à-quoi-bonisme » comme on a pu le lire ici ou là, mais dans le plaisir pervers du « je décide, ils m’obéissent sinon je les exécute », pour paraphraser l’aphorisme que Jacques Chirac adressa, un certain 14 juillet, à celui qu’il appelait « le nain » : Nicolas Sarkozy. La suite de la séquence « remaniement » a été dans le droit fil du traitement réservé par le locataire de l’Elysée à l’hôte de Matignon. Les « indiscrétions » fusent sur les ministres qui vont rester, qui vont devoir partir, qui vont changer d’attribution. Histoire de n’oublier personne « on » fait dûment savoir qu’il y a de « la friture » dans la ligne entre le PR et la PM. Elle souhaite un « remaniement d’ampleur » (quel est le sens profond de cette proposition ?...). Il veut qu’il soit « technique » (même question…). Pour faire quoi ? Pour quelle politique ? Pour quel projet ? Emmanuel Macron, grand fan de football, plus « OM » que « PSG », compose néanmoins son équipe comme les propriétaires du club parisien : le casting et la composition de l’équipe tiennent lieu de projet politique… Encore qu’en l’espèce, le recrutement, au terme de la séquence d’aujourd’hui, se révèle plutôt maigre. Quand le maire de Dunkerque fait figure de « prise de guerre », ce n’est pas lui faire injure, compte tenu de sa notoriété et de son poids politique national, de dire que le « mercato » est resté assez limité !

Ce que cela dit du macronisme c’est qu’en dehors de cinq ou six ministres (Le Maire, Darmanin, Lecornu, Attal, Dupont-Moretti et quelques autres dont la liste finale ne dépasse pas les doigts des deux mains), le président de la République considère ses ministres et secrétaires d’Etat comme, au mieux, des directeurs généraux d’administration centrale, des hauts-fonctionnaires contractuels (en CDD évidemment…) qui doivent se taire quand Il parle, bien entendu, mais également quand Il ne parle pas. Le « roi » n’est plus vraiment le pontife qu’il fut au début de son règne, « grand prêtre » d’une « révolution » qui se foulait disruptive et prospective… Sait-il que ses souverains poncifs, ses obsessions post-libérales et dirigistes, la manière avec laquelle il considère les institutions et son exercice du pouvoir accentuent son « splendide isolement » et surtout contribuent à éloigner les Français de la politique. Si celui qui est au sommet de l’Etat se moque des ministres, de leurs nominations, voire de leurs remplacements, qui les respectera après lui ? 

A tout prendre on aurait préféré que l’incompétence et l’amateurisme soient les variables explicatives du fiasco politique et gouvernemental que l’on vient de vivre… Cela aurait évité que le cynisme en soit le ressort, l’ubris la cause et le mépris contagieux la conséquence. 

Alors que le président de la République s’apprête à s'exprimer après ce remaniement et les récentes émeutes, quel message politique Emmanuel Macron envoie-t-il à travers ce remaniement ?

Jean Petaux : Il lui appartiendra, dans les heures qui viennent, de livrer aux Français sa propre lecture politique de ces « fameux » cent jours, délai informel qu’il s’est fixé à lui-même et échéance qu’il a arrêté pour celle qui est encore sa première ministre… Sa « collaboratrice en chef » comme le dirait l’un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy. Il va certainement vouloir faire état de ce qu’il a déjà qualifié de « sidérant » : les violences survenues dans les banlieues après la mort de Nahel M. Et, finalement, tenter d’expliquer ce qu’il a voulu faire avec ce « remaniement gouvernemental ». Comme il ne pourra pas dire que la majorité des onze ministres « sortis » étaient issus des rangs de la société civile (pour les plus « visibles » d’entre eux au moins)  et qu’ils n’ont pas « imprimé » politiquement, il va devoir construire un discours performatif tendant à montrer qu’il faut poursuivre l’effort, progresser dans la voie des réformes, etc, etc. L’essentiel du message tiendra sans doute dans une sorte de « clause de revoyure » fixée à l’automne… Ou alors après les élections européennes, en juin 2024. Sans, évidemment, engager l’avenir et se lier les mains. Les Français qui ont, majoritairement la tête ailleurs, n’en entendront pas grand-chose de toute manière. « E la nave va » aurait dit Fellini…

Qu’est-ce que ce remaniement laisse présager de la suite du quinquennat et de l'avenir du macronisme ?

Jean Petaux : En considérant que la lecture politique que je viens de faire de ce remaniement est pertinente et comporte une part de vérité, il faut imaginer que la suite du quinquennat d’Emmanuel Macron va se traduire par un renforcement du présidentialisme, un contrôle accentué du gouvernement et de la première de ses ministres dont le rôle et la fonction de « paratonnerre » présidentiel va aller en s’accentuant. Le choix par exemple du directeur de cabinet de la Première ministre, Jean-Denis Combrexelle, personnalité quasi-unanimement reconnue pour sa compétence et son ouverture, confirme cette fonction dévolue à Elisabeth Borne : celle de « démineuse en cheffe ». Parmi les ministres, les « successeurs putatifs » vont continuer de fourbir leurs armes, d’aiguiser leurs couteaux et d’emmagasiner quelques régimes de bananes pour distribuer nombre de ses fruits exotiques sur le chemin de leurs rivaux. Au-dessus de tout cela, le jeune « Zeus finissant » contemplera les siens et, de temps à autre, s’amusera avec quelques statuettes humaines. Il rêvera encore à construire un parti politique qui inscrirait son projet dans la durée, après lui. Bonaparte, qu’Emmanuel Macron a souvent pris comme modèle, au moins dans sa conquête du pouvoir suprême, non pas dans la forme (il n’a pas eu son 18 Brumaire, lui…) mais dans l’idée, avait coutume de dire : « Je construit mes victoires avec les rêves de mes soldats ». Où sont-ils les soldats de Macron aujourd’hui ? Qu’en est-il de leurs rêves ? Certaines et certains sont rentrés au gouvernement le 20 juillet 2023… C’est un peu court comme rêve. Pas certain que cela conduise à de nouvelles victoires pour le macronisme et son inventeur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !