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Dernières nouvelles du front (hommes/femmes) : ce que révèle la violence des réactions à la tribune signée par Catherine Deneuve pour défendre "une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle"
©Reuters

Tensions

Dans le Monde, une tribune signée par 100 femmes a créé la polémique, dans le contexte de l'affaire Weinstein.

Peggy Sastre

Peggy Sastre

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme" et de "La domination masculine n'existe pas".

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Vous venez de cosigner une tribune publiée dans Le Monde intitulée ​« Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle »​, dont l'objectif était d"affirmer un rejet d'un certain féminisme qui exprime une haine des hommes, qui a pu provoquer de nombreuses et très vives réactions, notamment sur les réseaux sociaux, et visant particulièrement Catherine Deneuve et sa supposée "déconnexion" avec le réel, en l'occurence "les frotteurs".  Au delà de cette critique précise, comment expliquez vous la virulence de la contestation et l'incapacité apparente de tout dialogue ? 

Je dois devenir vraiment vieille, mais je pense de plus en plus que les réseaux ont été une plaie pour l'humanité - et notamment pour un sujet humain qui me tient à cœur : le débat, la circulation des idées. En France, j'ai dû faire partie des premières personnes à être connectées à Internet, pleine d'espoir et de la fougue de pouvoir discuter à 5 heures du matin avec un gars de l'autre côté du Texas à qui je pompais toute sa discographie de Prince (enfin, mp3 après mp3) ou de trouver sur-le-champ des études et des textes scientifiques sans avoir par en passer par des abonnements et des visites poussives en bibliothèque. Entre autres. Je dis ça pour la contextualisation : je continue d'adorer ce qu'a permis et permet internet, à commencer par donner la possibilité à des gens comme moi, autistes fonctionnels, de tisser des liens et de se faire entendre sans en passer par d'épuisants contacts "réels".
Mais les réseaux sociaux... j'ai l'impression qu'ils ont réveillé en dix petites années le pire de la babouinerie que cinq et quelques siècles de Réforme, de Renaissance et de Lumières avaient, bon an mal an, réussi à décrotter de l'espèce de singes flippés par la foudre que nous sommes - et qui essayent de trouver des moyens d'apaiser cette flippe à peu près depuis leur "descente de l'arbre". Les réseaux sociaux exacerbent la pensée de village, la surveillance réciproque. Des mémées sur leur banc qui commentent la tenue de la voisine à la puissance quatre millards. Ce "refroidissement social" qu'on peine encore à analyser dans son expression la plus basique : le conformisme.  La difficulté pour beaucoup de gens d'exprimer une parole divergente. A ce titre, je n'ai pas beaucoup de mérite : j'ai toujours été hermétique au jugement d'autrui, mais je constate que ce n'est évidemment pas le lot du "commun des mortels". Sur les réseaux sociaux, le féminisme militant semble majoritaire, parce que c'est celui qui crie le plus fort - Gérald Bronner a pu analyser les mécanismes généraux de tels phénomènes dans "La démocratie des crédules" - alors on se tait face à son pouvoir de nuisance. Mais ce que révèle aussi notre tribune - dans sa production comme dans les réactions qu'elle suscite - c'est qu'elle n'aurait peut-être pas pu "mieux" tomber : nous sommes, je pense, à un moment charnière de l'évolution de notre paysage intellectuel.
D'un côté, nous avons toléré depuis trop longtemps les "manipulations militantes", pour citer une lectrice brésilienne de la tribune qui vient juste de m'écrire pour me dire, comme tant d'autres, combien ce texte l'aidait à mieux respirer. Mais d'un autre, je pense que ce n'est pas encore trop tard pour "renverser la vapeur" du chantage affectif généralisé qu'elles font peser sur le débat. J'ai un biais d'optimisme certain, mais je pense que nous sommes arrivées au moment opportun. La discussion était devenue bien trop monolithique et, de fait, bien trop ankylosée et ankylosante. Plein de gens n'en pouvaient plus. A commencer par les auteures de ce texte. 

Des 343 salopes du mois d'avril 1971 à cette tribune, l'évolution de Catherine Deneuve semble troubler ses opposants actuels. Quelle est la filiation entre ces deux mouvements ?  

Il n'y en a pas, du moins pas de consciente en tout cas. Outre qu'effectivement, j'aimerais bien qu'elle devienne aussi "historique" - mais ce n'est pas quelque chose qui se jauge le lendemain de la parution -, il doit y avoir quelque chose qui "trouble" dans Catherine Deneuve. Peut-être sa propension à ne pas se laisser intimider, qui sait ? 

Comment parvenir à "réconcilier" les féminismes ? ​

Si quelqu'un a la solution, je pense qu'il pourra devenir riche. Personnellement, je serais pour une dissolution du féminisme dans sa forme militante - qui avouons-le, énerve tout le monde à commencer par les premières concernées - et un recentrage des préoccupations sur les fondamentaux transpartisans de l'égalité hommes-femmes. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a toutes sortes de femmes dans nos signataires, et notamment sur le plan des opinions politiques. Peut-être que ça dit aussi quelque chose de la "représentativité" de notre texte :  nous avons tellement "parlé" à des femmes qu'elles ont accepté de le signer "en compagnie" parfois de leurs pires ennemies idéologiques, tout en prenant le risque de se faire réticulairement lyncher ? C'est pas mal comme exploit, non ?

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