Dépenses publiques : pourquoi le vrai coût du chômage pour la France est beaucoup plus élevé que les chiffres avancés par Bercy<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Social
Dépenses publiques : pourquoi le vrai coût du chômage pour la France est beaucoup plus élevé que les chiffres avancés par Bercy
©Reuters

A quoi servent 1000 euros de dépenses publiques ?

Dans le cadre du Grand Débat organisé par Emmanuel Macron, le ministère des finances a choisi de publier un tableau descriptif permettant d'identifier les postes de dépenses publiques du pays, sur la base d'un montant de 1000 euros dépensés.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

Voir la bio »

Atlantico: Sur ce chiffre total de 1000 euros de dépenses, 35 euros sont consacrés au chômage, soit 3.5% de 1250 milliards d'euros de dépenses (2016) ou 44 milliards d'euros. Au-delà de ce coût "facial" du chômage, comment évaluer son véritable coût total, notamment en prenant en compte le manque à gagner pour les finances publiques ? 

Jacques Bichot: Le coût économique du chômage est avant tout l’absence de la production qui aurait pu être effectuée si nous avions 2 ou 3 millions de travailleurs en plus. Pour une évaluation minimale, prenons la valeur du travail d’un salarié au SMIC, disons sur la base du salaire super-brut, c’est-à-dire 1719 € par mois, et déduisons le crédit d’impôt dit CICE destiné à réduire ce coût, soit 105 € : même si l’entreprise ne dégage grâce à cet emploi qu’une valeur ajoutée égale à son coût salarial, donc si elle travaille sans marge bénéficiaire, cela fait 1 614 € par mois, soit 19 368 € par an et par chômeur.

Envisageons maintenant un plein emploi lui aussi minimal, c’est-à-dire un million de chômeurs (un gros « chômage frictionnel » considéré comme inévitable, du fait des délais qui séparent deux emplois successifs). Il y aurait donc 2 millions de personnes en plus au travail, qui effectueraient une production supplémentaire égale à 38,7 Md€ (19 368 multiplié par 2 millions).

Si l’on envisage également le retour au travail de personnes qui ne sont pas inscrites à l’ANPE, parce qu’elles estiment actuellement qu’elles n’ont aucune chance, mais qui réviseraient leur position en voyant les embauches se multiplier, ce chiffre grossirait, conformément à la formule bien connue « l’emploi crée l’emploi ».

Supposons que de ce fait un demi-million de personnes supplémentaires soient intégrées à la force de travail : le supplément de production augmenterait du quart, ce qui le porterait à 48,4 Md€.

Ces hypothèses sont minimalistes, puisque normalement un salarié crée plus de valeur qu’il ne coûte à l’entreprise qui l’emploie (sinon, pourquoi l’emploierait-elle ?). Il faut aussi considérer qu’une proportion non négligeable des postes créés seraient rémunérés au-delà du SMIC. Nous pouvons donc penser que le passage au plein emploi augmenterait le PIB d’une bonne soixantaine de milliards d’euros.

Dans quelle mesure pourrait-on en conclure qu'un traitement efficace du chômage pourrait considérablement réduire la problématique budgétaire à laquelle la France fait face ? 

Le chiffre de 44 milliards d’euros consacrés au chômage par les finances publiques, chiffre avancé par Bercy, ne paraît pas déraisonnable. Il est donc possible d’envisager que les 60 milliards de production supplémentaire servent à la fois à augmenter le pouvoir d’achat, et à diminuer le déficit public. Si le chômage est réduit des 2 tiers, les 44 Md€ le seront aussi, ce qui soulagerait de 29 Md€ les finances publiques (y compris la sécurité sociale). Ce ne serait pas le retour à l’équilibre du « gros budget » regroupant les finances de l’Etat, des collectivités territoriales et des organismes de protection sociale, mais ce serait déjà une bonne chose.

Pour aller plus loin, il faudrait que la productivité de nos administrations progresse, et que des emplois de fonctionnaires ou de contractuels disparaissent, leurs titulaires passant dans le privé. La disparition du chômage, à elle seule, n’est pas suffisante pour supprimer le déficit public et le déficit de nos échanges extérieurs : il faut qu’il se combine avec le passage du secteur public au monde de l’entreprise de plusieurs centaines de milliers de salariés des administrations publiques, ce que seule une amélioration considérable de la productivité peut permettre.

Ce ne sera pas facile, mais si l’on remplace aux postes de gestion les « ronds de cuir » inefficaces par des managers compétents, ce n’est pas impossible. L’idéal serait de former à la gestion un bon nombre de fonctionnaires d’autorité qui font actuellement « tourner » leurs administrations selon des méthodes qui fleurent bon leur Courteline, non parce qu’ils sont dépourvus de qualités intellectuelles et humaines, mais parce que telle est la « culture d’entreprise » dans une grande partie de l’administration française.

Il faut parallèlement dégraisser fortement notre stock de règles en tous genre, depuis la fiscalité jusqu’à la protection sociale. L’exemple de nos multiples régimes de retraite par répartition est typique : l’unification permettra de supprimer un grand nombre de duplications de tâches ; j’ai par exemple estimé entre 2 et 3 milliards les économies de frais de gestion qui résulteraient du passage à un régime unique. La lenteur avec laquelle avance ce dossier, pourtant bien balisé, est terriblement décevante, et augure mal de la capacité réformatrice de nos gouvernants actuels.

Un rapprochement astucieux des complémentaires santé et de l’assurance maladie permettrait des économies du même ordre. Effectuer deux remboursements là où, avec une bonne organisation, un seul (égal à la somme des deux remboursements actuels) suffirait est techniquement facile, certaines mutuelles le font : au Gouvernement et au Parlement de jouer pour généraliser cette pratique.

Sans aller plus avant dans une revue de détail qui pourrait remplir un livre entier, ou un gros rapport de la Cour des comptes, disons simplement que traiter efficacement le chômage est nécessaire mais non suffisant pour redresser à la fois le déficit public et le déficit extérieur. C’est nécessaire, parce que beaucoup de personnes, en France, pourraient produire les biens et services que nous importons au prix de ce double déficit. Ce n’est pas suffisant, parce que la mauvaise organisation de nos administrations, si elle perdure, continuera à condamner une partie importante de notre force de travail à effectuer des tâches inutiles et donc à plomber la productivité de l’entreprise France.

Et que nos homme politiques ne se fassent pas d’illusion : le numérique, cette quasi-divinité qu’ils invoquent sans cesse, ne résoudra pas le problème, car l’usage déplorable qui en est fait freine formidablement le progrès de notre productivité globale.

Un travail acharné sera nécessaire pour débarrasser le pays de milliers de règles et de taxes qui compliquent tout et font de notre économie une sorte de Gulliver entravé par les liens fins mais innombrables tissés par les lilliputiens. Ceux-ci sont aux manettes dans nos ministères et nos directions d’administrations tant locales que centrales. Sans une réforme en profondeur de nos pratiques administratives, parler d’amélioration de la situation de l’emploi, des comptes publiques et de notre balance des paiements est à peu près aussi utile que de discuter du sexe des anges.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !