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Dépenses publiques : Emmanuel Macron s’est-il définitivement converti au chiraquo-hollandisme ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

La France est fragile, ne la brusquons pas

Si la France avait adopté le programme Macron, on serait quasiment en récession. Si on peine à se souvenir des grandes mesures de Chirac pendant son deuxième mandat, on se souvient par contre de l'explosion des dépenses sous Hollande qui n'a pas eu une politique de « bon père de famille », ce qu'Emmanuel Macron ne semble pas vouloir faire non plus.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : L'Elysée a été épinglé par la Cour des comptes pour avoir dépassé son budget de 5,6 millions d'euros en 2018. Si cette dépense supplémentaire semble anecdotique, elle permet de s'interroger plus globalement sur l'action du gouvernement sur les dépenses publiques. Dans les derniers jours, des annonces faites en vue du projet de loi de finances pour 2020 tendent à montrer que l'exécutif a reculé sur les économies prévues. La frilosité affichée sur cette question après l'épisode Gilets jaunes fait elle de ce gouvernement, à son insu, un héritier du hollando-chiraquisme ?

Mathieu Mucherie : D'abord il convient de rappeler les ordres de grandeur. Les cinq millions de dépassement de la présidence sont embêtants mais anecdotique par rapport à la dépense publique française qui est de 1100 milliards d'euros de dépense chaque année. C'est plus que partout ailleurs. Nous ne sommes battus que par des petits pays scandinaves qui ont des systèmes très particuliers.
Il faut aussi rappeler les marges de manœuvres dont nous disposons. La BCE pourrait par exemple faire bien plus, Si nous avions un euro plus faible ou une monnaie hélicoptère (qui permettrait de redonner du pouvoir d'achat), nous aurions certainement plus de marges de manœuvre.
Comme annoncé dans les colonnes d'Atlantico dès 2017, il n'y a aucune réduction des dépenses publiques globales. C'est un problème dans le sens où la parole publique n'est pas respectée mais ce n'est pas très grave. Évidemment vu que nous sommes les champions mondiaux de la dépense publique il faudrait réfléchir à faire des gains de productivité dans le service public. Ce n'est pas grave car la conjoncture est mauvaise. Il y a peu de croissance et peu de perspectives de croissances (et pas seulement pour des questions de ralentissement de l'économie mondiale mais parce qu'il y a un problème interne de ralentissement dans la zone euro et en France). D'autant plus que quand il y a de la croissance en France c'est de la mauvaise croissance car c'est de la croissance avec beaucoup d'investissement des entreprises. La FBCF des entreprises françaises est très dynamique sans que cela se traduise dans les résultats de ces dernières. Rajoutez à cela que la baisse des taux d'intérêt ne profite pas à des secteurs d'intérêt vu que les Français sont attirés par des secteurs improductifs. Étant donné qu'on a peu de croissance et que celle qu'on a est une sorte de croissance potenkine qui sert essentiellement à acheter de l'immobilier surcoté, il ne faudrait pas qu'en plus on ait une réduction drastique de la dépense publique.
Si l'on pense que la politique monétaire n'est pas si accommodante qu'on le dit et que l'on n'a pas des perspectives très heureuses, il ne faudrait pas non plus que l'on ait une baisse massive de la dépense publique.
Si l'on avait adopté le programme Fillon ou même le programme Macron aujourd'hui on serait quasiment en récession. La situation serait moins caricaturale que l'Allemagne qui, si elle n'avait pas eu un adjuvant de 6 ou 7/10eme d'impulsion fiscale aurait été techniquement là depuis neuf mois en récession. Si l'on prévoit 0,5% de croissance pour l'Allemagne en 2019, il faut savoir que sur ces 0,5%, la contribution fiscalo-budgétaire est supérieure à 7/10. En réalité l'Allemagne cette année est en récession dans son secteur privé. La France serait peut-être un peu au-dessus. Elle serait peut-être à zéro si Emmanuel Macron ne dépensait pas à tout va.
Si l'on avait pas un gouvernement irresponsable, hypocrite et qui dépense ce qu'il n'a pas en étant aidé par la baisse des taux d'intérêts qui lui procure la moitié de sa marge de manœuvre, actuellement on serait en quasi-récession.
Au final la situation aujourd'hui est embêtante, elle témoigne de l'hypocrisie générale du macronisme mais en même temps ce n'est pas grave. Le problème n'est donc pas dans les chiffres, il est dans le qualitatif. On aurait au moins pu faire mieux, non pas en réduisant les dépenses mais en les améliorant.
Marc de Basquiat : Ce gouvernement, s'il fait passer en priorité des réformes structurelles réelles qu'il met vraiment en œuvre tout en étant un peu plus laxiste pour les équilibres financiers, On pourra se dire que l'on n'a pas trop perdu notre temps. Si la réforme des retraites par exemple se fait, ce sera évidemment une bonne chose. Ceci dit, on n'en a absolument pas les certitudes. La crainte que l'on peut avoir et qui semble se confirmer au vu des récents reculs est que les réformes annoncées n'aboutissent jamais ou, en tout cas, qu'elles soient revues à la baisse et les économies promises dans le même temps.
Honnêtement le budget de l’Élysée qui dépasse de cinq millions dans un contexte de dépense publique française qui sont de l'ordre de 1100 milliards d'euros annuel est vraiment plus qu'anecdotique.
Si ce scénario se confirme il faut encore faire la distinction entre Chirac et Hollande même s'il y a cette idée d'une politique des petits pas. Si on peine à se souvenir des grandes mesures de Chirac pendant son deuxième mandat, on se souvient par contre de l'explosion des dépenses sous Hollande notamment avec des réformes comme la création du CICE que l'on n'a pas finit de payer sans que l'on aboutisse à de nombreux résultats. Hollande n'a pas eu une politique de « bon père de famille », ce qu'Emmanuel Macron ne semble pas vouloir faire non plus.

Le gouvernement bénéficie, pour l'équilibre budgétaire du quinquennat, des taux faibles de la BCE. Dans quelle mesure pourrait-il en profiter pour réaliser une vraie restructuration du service public (et donc des dépenses associées) ?

Mathieu Mucherie : C'est là qu'il y a une subtilité qu'il convient de clarifier. Ce ne sont pas des taux bas, ce sont des taux nominaux historiquement bas. Économiquement il n'est pas sûr que ces taux soient bas. Si nous étions dans des taux si avantageux il y aurait de l'inflation sur une dizaine d'années. Or, il se trouve que nous n'en avons pas ou en tout cas de moins en moins.
Ceci dit, effectivement, en nominal, nous avons des taux bas et par conséquent des marges de manœuvre budgétaire, une cagnotte qui nous est attribuée tous les ans. C'est quelque chose qui est utilisé pour respecter les 3% de Maastricht mais pas pour créer des éléments d'impulsion dans les services publics qui permettraient de gagner en productivité.
Prenez le cas des transports en Île-de-France, il y a des gains de productivité en négatif chaque année depuis 60 ans. Et, je le suspecte, nous enregistrons des gains de productivité négatifs dans bon nombre de services publics. Nous n'avons pas l'impulsion nécessaire pour améliorer la productivité et il n'y en aura certainement pas non plus sous Macron. On peut appeler cela du chiraco-hollandisme si on le souhaite.
Certains économistes expliquent alors que les taux qui baissent empêchent de réformer. S'il n'y a pas de réforme et si on ne fait pas d'efforts, c'est parce qu'une cagnotte tombe dans la poche de l’État chaque année. Les structures étaient en place avant la baisse des taux. C'est donc plutôt une configuration politique mentale idéologique où l'on n'a pas l'intention de faire des gains de production importants dans les services publics car cela supposerait de changer la structure des incitations dans les mêmes services publics.
On remarque que depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron, ce dernier s'est beaucoup attaché à essayer de réformer le secteur privé au lieu du secteur public. Mais le vrai problème n'est pas le privé mais le secteur public. D'abord parce que là le gouvernement y a une prise directe (et au contraire une prise indirecte sur le privé) mais aussi parce que c'est sa responsabilité. C'est d'autant plus incompréhensible que le secteur privé a toujours su s'adapter en France et est à peu près au point.
Marc de Basquiat : On rêve d'arriver à restructurer l'Etat et à réformer pour que les services publics soient plus efficaces. Peut-on pour autant entamer ces grandes réformes d'une refonte de la dépense dans les politiques publiques alors que d'autres réformes d'importance comme celle des retraites sont en cours ? Ce serait bien difficile. Au final on risque de ne rien voir arriver aussi bien dans les grandes mesures sociales que dans les réformes qui permettraient de refonder les services publics.

La charge fiscale dont se sont plaints les Gilets Jaunes s'est allégée en 2019 selon un rapport de l'Institut Molinari. A plus longue échéance, cette tendance peut-elle continuer sans restructuration de la dépense plus conséquente ? La situation sociale peut-elle s'aggraver en conséquence ? 

Mathieu Mucherie :  Pour pouvoir effectuer une restructuration de la dépense, il faudrait parvenir à dépasser les blocages actuels. L'exemple typique en France sont les restrictions foncières. En France il y a un gros problème d'immobilier, les prix décollent alors qu'il n'y a pas une grande demande. Ce qui signifie forcément qu'il y a une restriction sur l'offre.
Ces restrictions foncières sont très puissantes, organisées. Ce sont des corps puissants qui ont toujours résisté à toutes les tentatives d'intrusion et qui savent se faire entendre. Démanteler ces réseaux demanderait beaucoup de travail et de volonté. Malheureusement on en est au stade où les politiques n'ont toujours pas identifié le problème. Griveaux, un proche de Macron, veut briguer la mairie de Paris alors qu'il n'a que le contrôle des loyers à proposer sur l'immobilier. Le constat n'a même pas été fait qu'il faut construire plus pour au moins contenir les prix des loyers.
Si la tendance amorcée se confirme et qu'il n'y a pas de restructuration de la dépense en accord avec aussi l'idée de renouer avec le principe d'intéressement des gens qui travaillent dans une entreprise, cela ne peut aller que dans le mur. Ces réformes vont coûter cher à mettre en place, c'est le principe de la courbe en « J » mais elles sont nécessaires. On ne peut fonctionner qu'au « bâton » en oubliant la « carotte ». Surtout que dans les services publics.
Comment on le finance ? Soit on sort des 3% de Maastricht qui ne veulent rien dire et qui n'ont aucun sens, ou même secouer le cocotier de la BCE. Mais l'idée que l'on pourrait avoir une augmentation des gains de productivité sans mieux rémunérer les gens efficaces que l'on aura garder, ce n'est pas sérieux. Le gouvernement face à cette question adopte une attitude schizophrène dans laquelle il appelle cette idée de ses vœux mais ne met pas les politiques nécessaires en face. Il ne pratique que le coup de rabot, le gel de la dépense en fin d'année. Il n'a pas de politique ambitieuse et se contente d'une politique des petits pas que l'on peut, encore une fois, qualifier de chiraco-hollandisme qui ne permet pas de casser le moule de l'inefficacité.
Enfin, pour répondre à la soutenabilité générale de la situation, cela dépendra des Français. Pour le moment ils assistent à la chute de la productivité des services publics français avec une formidable passivité. Cela changera, il faudra beaucoup de temps, de pédagogie avec des comparaisons internationales et l'on s'apercevra qu'on peut faire au moins aussi bien pour moins cher ou mieux pour à peu près la même quantité d'argent.
La pression sociale permettra de faire changer les choses une fois la conscientisation opérée.
Marc de Basquiat : Sachant que les taux sont très bas, peut-être y-a-t-il une attention un peu moindre sur la dette mais ce n'est pas pour autant que cette dernière n'augmente pas. Dans ce contexte on a un peu tendance à faire des largesses fiscales comme on l'a vu avec la revalorisation de la prime d'activité. Le réveil risque d'être douloureux le jour où il faudra vraiment payer ces gestes. Aujourd'hui cela sert à passer de la pommade sur le dos des Français mais malheureusement cela ne résoudra rien des problèmes structurels de la France.

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