Dépasser l’esprit de servitude : le difficile rapport des citoyens à la philosophie libérale<!-- --> | Atlantico.fr
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Un garçon tient une pancarte avec le message « Non au libéralisme » lors d'une manifestation rassemblant des producteurs de lait à Poitiers le 3 avril 2010.
Un garçon tient une pancarte avec le message « Non au libéralisme » lors d'une manifestation rassemblant des producteurs de lait à Poitiers le 3 avril 2010.
©PATRICK MONNARD / AFP

Bonnes feuilles

Pierre Bentata publie « De l'esprit de servitude au XXIe siècle » aux éditions de l’Observatoire. Nos libertés se réduisent sous prétexte de protectionnisme, d'écologie, d'égalité des sexes, ou de santé publique. C'est que nous le voulons bien. Alors qu'elle est sur toutes les lèvres, la liberté individuelle a déserté les lieux. Extrait 1/2.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Que la majorité des citoyens aient opté pour la servitude volontaire en dit long sur leur besoin de transcendance. Mais en creux, cela en dit davantage encore sur leur rapport à la philosophie libérale.

Même parmi les amoureux de la liberté, aujourd’hui peu se définissent comme libéraux. Et si demain venait un homme politique avec pour programme de redonner aux Français leur souveraineté et de limiter les pouvoirs de l’État, il y a fort à parier qu’il serait conspué à l’instant où il se réclamerait du libéralisme. Le descendant des Gaulois est volontiers libertaire, anar, voire zadiste lorsqu’il se situe à gauche, parfois libéral-conservateur s’il est à droite, mais jamais libéral.

Mot tabou qui évoque tout ce qu’il y a de plus vil en l’homme. On peut condamner l’extrême centralisation du pouvoir, déplorer les défaillances de l’État, s’insurger contre la pression fiscale, moquer le ton paternaliste des dirigeants, rappeler d’un air ingénu que le salut et le bonheur relèvent du domaine privé. Certains vont jusqu’à estimer qu’ils devraient pou‑ voir travailler comme ils l’entendent et récolter l’entièreté des fruits de leur labeur, d’autres poussent les velléités individualistes encore plus loin, considérant que les relations amoureuses et professionnelles ne devraient souffrir d’aucun encadrement. D’autres encore voudraient qu’on puisse changer de patrie plus facilement, s’installer où on le désire. Et nombreux sont ceux qui rêveraient d’instaurer un nouveau système politique, de réécrire les lois ou de faire sécession. Mais personne ou presque ne considérera ces positions comme libérales. Humanistes diront certains, universalistes pour d’autres. Certainement pas libérales.

C’est que, ne proposant aucun sens collectif, le libéralisme ne fédère pas. Pire, pensée logique et terre à terre, il n’offre pas d’idéal clé en main, pas de salut de l’espèce, pas de recettes miracles. Coupé du transcendantal, il a fini par être taxé d’immoral. Dans l’acception actuelle, le libéral est un sale type, un égocentrique, matérialiste et adepte du chacun pour soi. S’il faut choisir entre cela et l’asservisse‑ ment à l’État au nom de grands principes, mieux vaut encore la servitude. Sauf que niant l’existence de toute nature humaine, le libéralisme est plus vaste et accueille tout le monde, pas uniquement les sales types. Il y a seulement deux siècles, le terme recouvrait un sens bien différent  : était libéral l’homme digne d’être libre et par extension, généreux, noble, honnête, bienveillant. D’ailleurs, dans la littérature, cette qualité était l’apanage des héros. Corneille  : « Libéral, affable, intrépide, magnanime » ; Edmond Rostand : « D’un homme affable, bon, courtois, spi‑ rituel, / Libéral, courageux, tel que je suis, et tel / Qu’il vous est à jamais interdit de vous croire » ; Pascal : « Un avaricieux qui aime devient libéral ». Et tous les penseurs des Lumières se disaient libéraux, de Voltaire à Rousseau. Les premiers étaient-ils dénués de grandeur d’âme et les seconds de morale ? C’est tout le contraire.

La dépréciation de cette philosophie se confond avec l’essor du nihilisme français. On a fait du libéralisme un gros mot par refus du réel. Constatant qu’une société libérale ne répondait pas aux fantasmes qu’elle avait nourris, les citoyens ont choisi d’abandonner le libéralisme plutôt que leurs illusions. Le libéralisme n’est pas la panacée, c’est entendu. Il ne fait pas disparaître la pauvreté, même s’il l’endigue mieux qu’aucune autre organisation. Les inégalités subsistent, et la guerre reste toujours une menace. La peine et la souffrance demeurent. La solitude de l’âme aussi. Pas de miracle.

Extrait du livre de Pierre Bentata, « De l'esprit de servitude au XXIe siècle », publié aux éditions de l’Observatoire.

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