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Déclarations du patrimoine des élus : autant que la transparence, un besoin de contrôle
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Transparence trouble

Les déclarations de patrimoines des députés seront désormais consultables pour tous les électeurs munis de leur carte électorale. Mesure coup de poing du gouvernement, faisant suite à l'affaire Cahuzac.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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René Dosière

René Dosière

René Dosière est ancien député de l'Aisne. Il est connu pour ses travaux scrupuleux sur le train de vie de l'État et la transparence de la gestion publique. Il préside l'Observatoire de l'éthique publique qui associe universitaires et parlementaires. Il est l'auteur, notamment, de L'Argent caché de l'Élysée et d'Argent, morale et politique.

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Atlantico : Les déclarations de patrimoine des députés et sénateurs sont consultables depuis lundi 13 juillet dans les préfectures de leur département, une première en France, en application des lois de 2013 sur la transparence, qui avaient été adoptées après l’affaire Cahuzac. Qu'est-ce que cela change vraiment dans la pratique ?

René Dosière : Avant les déclarations de patrimoines que les députés et sénateurs devaient faire étaient secrètes. Leur exactitude n'était pas contrôlée, la commission concernée n'ayant pas les moyens de le faire. Aujourd'hui, les déclarations seront contrôlées par la Haute Autorité, qui requiert un contrôle fiscal. Ces déclarations seront rendues publiques et consultables par tous les électeurs inscrits sur les listes électorales. Ceci représente donc un progrès par rapport à la situation antérieure. C'est une position de compromis entre ceux qui souhaitaient que les patrimoines soient complètement publics et ceux qui le refusaient. Devant les divergences, l'Assemblée a retenue une position de compromis.

Attention, les visiteurs n'auront pas le droit de les publier sous peine d'une amende de 45 000 euros. On vérifiera qu'aucune personne ne possèdent d'appareil photo et quelqu'un se trouvera très probablement à leur côté pour vérifier qu'il n'y a pas de prise de note. Si quelqu'un consulte ces déclarations et les croit incomplètes, il pourra saisir la Haute Autorité et lui faire remarquer que la déclaration n'est pas exhaustive. A ce moment, la Haute Autorité fera les diligences nécessaires pour vérifier la réalité des faits signalés.

La déclaration du patrimoine sera consultable durant le mandat et durant les six mois suivant le départ d'un parlementaire. Elle n'est pas maintenue indéfiniment en préfecture. Il s'agit de la déclaration de l'intéressé et non pas de son conjoint.

D'où partait-on en la matière ? Y avait-il une réelle nécessité à le faire ?

René Dosière : Auparavant, il y avait une déclaration de patrimoine mais la commission qui en était chargée n'avait pas les moyens d'en vérifier l'exhaustivité. Désormais, on en a les moyens. A titre d'exemple, la déclaration d'une dizaine de parlementaires a été déférée à la justice pour inexactitude.

Un tel souhait de transparence n'est pas nouveau. Ici le rôle de l'affaire Cahuzac, a été de montrer qu'il fallait aller plus loin. Il s'est trouvé qu'après l'affaire Cahuzac, on a décidé que tous les ministres devaient rendre leur déclaration de patrimoine publique après vérification par la Haute Autorité (certains ont d'ailleurs dû reprendre leur déclaration). Un projet de loi avait été déposé : députés et élus locaux devaient rendre leur patrimoine publique. La publicité du patrimoine des élus locaux a été jugée excessive pour atteinte à la vie privée et annulée par le Conseil Constitutionnel. Cependant, la déclaration des élus locaux existe mais est non consultable.

L'affaire Cahuzac a-t-elle été un tournant ? A-t-elle accéléré la mise en application d'un tel décret ?

René Dosière : Oui bien sûr, c'est à la suite de cette affaire que de telles mesures ont vu très rapidement le jour que des cas semblables ne se reproduisent plus. Cette volonté d'une plus grande transparence était dès le départ un projet du gouvernement. Un texte était d'ailleurs déjà en préparation mais l'affaire a accéléré le processus.

Pensez-vous qu'il serait possible d'aller encore plus loin en matière de transparence ou de moralisation de la vie politique ?

René Dosière : Le problème c'est que l'on peut naturellement aller plus loin en rendant complètement public la déclaration de patrimoine des intéressés mais il faut aussi tenir compte de la vie privée des élus et de leurs conjoints. La transparence totale n'est pas forcément la meilleure formule. On verra à l'usage ce que donne cette loi.

La moralisation de la vie publique est un aspect plus étendu, ici il s'agit seulement de transparence sur le patrimoine. Il s'agit d'un aspect de la moralisation de la vie politique la vie politique permet-il d'améliorer son patrimoine ? La réponse attendue étant non.

En matière de moralisation on touche au problème du conflit d'intérêt, au problème de la publicité sur les avantages matériels, du financement des campagnes électoral… La moralisation de la vie politique est donc bien plus vaste ! 

Ce n'est pas la connaissance du patrimoine qui est intéressante, il faut d'ailleurs se méfier du voyeurisme. Mais l'objectif premier de la loi est de vérifier qu'il n'y a pas d'enrichissement anormal. On peut avoir des élus locaux ou nationaux pauvres ou riches en patrimoine, par contre, ce qui est fondamental c'est de vérifier que les fonctions politiques ne sont pas utilisées pour s'enrichir. Il faudra attendre la fin des mandats (y compris pour les élus locaux qui sont également soumis au contrôle de l'évolution de leur patrimoine) pour voir ce que la Haute Autorité en dira.

Les élus dont l'évolution du patrimoine est anormale verront leur nom rendu public. Il s'agit de signaler aux citoyens ceux qui ont fraudé, détourné la loi. Il faut que ce soit rendu public mais uniquement pour les élus dont  le patrimoine évoluerait anormalement. D'abord ils seront déférés à la justice et il est tout à fait logique les citoyens soient au courant d'un non respect de la loi.

Christophe de Voogd, selon vous, quels sont les risques du dévoilement des patrimoines des élus ? Quelles peuvent en être les dérives ?

Christophe de Voogd : Je n'entrerai pas dans les dispositifs techniques pour lesquels René Dosière est bien plus qualifié -et engagé comme on sait- que moi. Je m'en tiendrai à des considérations de fond; et tout d'abord, la question de la "transparence" est-elle la bonne? Que veulent les citoyens: des hommes publics "transparents"? ou plutôt des hommes publics honnêtes. On observe ici un détournement du sujet, ce que l'on appelle en rhétorique une substitution. C'est exactement la même chose en matière de justice où l'on focalise tout sur la question de son "indépendance", alors que le vrai enjeu est celui de son impartialité. D'ailleurscomme toujours on a recours à une "autorité administrative indépendante"; c'est à dire, encore une fois, à un contrôle de l'Etat par... l'Etat; cela contrevient à l'enseignement majeur de Montesquieu : l'homogénéité, de quelque nature qu'elle soit partisane ou sociologique, des contrôlés et des contrôleurs, interdit dans les faits toute vraie séparation des pouvoirs, aussi parfaite soit-elle sur le plan juridique.  

J'observe d'ailleurs qu'une loi analogue attendue pour les fonctionnaires a été retardée. On vient de l'annoncer mais sine die. j'ai bien peur que, comme d'autres, elle ne passe à la trappe. Or le risque de corruption est au moins aussi grand pour les fonctionnaires que pour les élus; les premiers n'ont -ils pas souvent bien plus de pouvoir que le seconds, toujours désignés à la vindicte populaire? 

Faut-il rappeler que notre pays, censé être le paradis de "l'intérêt général" figure au modeste 22e rang des plus vertueux dans la liste de Transparency International?

La vraie solution aurait consisté en un examen des patrimoines des élus et des fonctionnaires, en début et en fin de mandat ou de fonctions, par un organisme mixte, où aucune catégorie (y compris les fonctionnaires pris dans leur globalité) ne serait majoritaire et où la société civile serait largement représentée. Ce n'est pas le cas de la Haute autorité actuelle: la qualité et la probité de ses membres ne sont évidemment pas en cause.

Je m'interroge sur la pertinence même de cette législation: prenons l'affaire Cahuzac, cause, dit-on, du durcissement des règles: en quoi le dispositif actuel aurait-il changé quoi que ce soit? Aurait-il pour autant déclaré son compte en Suisse ? De plus, cette absence de déclaration d'un compte à l'étranger était déjà un délit pénal. On peut également douter du caractère exhaustif de ces déclarations alors qu'une part importante du patrimoine peut être détenue ou transmise aux conjoints et enfants.

A quoi s'ajoute le caractère contradictoire d'une législation qui promeut la transparence et en même temps punit sévèrement toute personne qui rendrait publics lesdits patrimoines. On ne comprend plus rien à la logique de l'ensemble... Quant à son respect pratique, on peut avoir des doutes sur la capacité des autorités à contrôler les visiteurs des préfectures en ces temps d'iPhones et d'internet ! Et quid de la presse et de son "droit à l'information" et à la "confidentialité des sources"? N'accepte -t-on pas tous les jours le viol du secret de l'instruction? Je parie que ces patrimoines seront très vite en ligne sur les médias. Le gouvernement sera alors gros jean comme devant.

René Dosière parle à juste titre de risque de "voyeurisme". J'irai plus loin: comme en matière de fiscalité, l'on aboutit (on cherche peut-être) à déchaîner la mauvaise "passion démocratique" selon Tocqueville: celle de l'envie à l'égard des puissants, privilégiés, ou supposés tels. Tous les mécanismes égalitaristes sont fondés sur l'excitation de cette envie. On l'a vu avec la taxe à 75% ou, dans un tout autre domaine, la réforme des collèges. Je ne parle pas de l'égalité des droits et des opportunités qui est fondamentale, mais de l'égalité même des conditions dans ce qu'elles ont de plus matériel, voire de matérialiste ! La liberté, dans la loi sur la transparence comme dans les autres, en est toujours la première victime. Elle a d'ailleurs motivé une censure partielle du Conseil constitutionnel.

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