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De "Sex and the City" à "Girls", pourquoi les séries féminines parviennent-elles aussi bien à se renouveler avec succès ?
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Bonnes feuilles

Aurélie Blot décrypte des séries télévisées à travers leurs héros les plus emblématiques afin de mieux comprendre comment les producteurs rendent les spectateurs accros à Monica, Dexter, Lynette Scavo ou à Dr House. Extrait de "Héros en séries... Et si c'était nous ?" (2/2)

Aurélie Blot

Aurélie Blot

Spécialiste de civilisation américaine contemporaine, Aurélie Blot est l'auteur de 50 ans de sitcoms américaines décryptées : de "I Love Lucy" à "Desperate Housewives".

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Alors que nous nous imaginions replonger dans l’atmosphère délirante et fantaisiste de Sex and the City à la sortie de Girls, nos attentes ont donc été contrecarrées par la jeune réalisatrice et productrice Lena Dunham. Certes, l’intrigue est à peu près similaire : le quotidien de quatre jeunes femmes vivant à New York et cherchant désespérément le grand amour. Mais deux ou trois détails, et non des moindres, font basculer la série dans un registre tout à fait différent.

Contrairement à Carrie et ses amies, Hannah, Shoshanna, Marnie et Jessa sont fauchées et incapables de trouver un emploi stable et bien payé : Marnie, qui travaillait à l’accueil d’une galerie (parallèle explicite au personnage de Charlotte dans Sex and the City qui elle aussi travaille dans une galerie au début de la série), se fait congédier et devient hôtesse dans un bar.

Jessa, l’illuminée de la série, que l’on pourrait associer à Samantha du fait de sa liberté sexuelle et de ses nombreux partenaires, est une artiste bohème, incapable de se stabiliser professionnellement et amoureusement. Elle ne cesse de disparaître pour parcourir le monde sans donner la moindre nouvelle à ses amies, confirmant ainsi sa personnalité de femme-enfant que son visage de poupée ne fait que souligner.

Shoshanna, quant à elle, est toujours étudiante et, malgré sa situation précaire, semble être celle qui s’en sort le mieux. Vivant, on l’a vu, dans le culte de sa série préférée, Sex and the City, elle s’identifie aux personnages et vit à travers leur monde. C’est peut-être la raison pour laquelle Shoshanna est la moins résignée de toutes, elle se réfugie dans la réalité fantasmée et réconfortante de Carrie et ses amies où tout n’est que bonheur et glamour. La couleur dominante de son appartement est d’ailleurs le rose : cette couleur que l’on associe aux petites filles rappelle également la fraîcheur et la naïveté du personnage de Charlotte à qui Shoshanna s’identifie tout particulièrement. Cette identification est due notamment à sa virginité qu’elle avoue à ses amies dans la première saison. Shoshanna ne cesse alors de faire référence à l’inexpérience sexuelle de Charlotte au début de la série, la présentant comme un exemple.

Enfin, Hannah, le personnage principal de la série, tente de faire ses premiers pas dans le monde de l’écriture. Clin d’oeil et hommage à Carrie Bradshaw, la jeune femme est loin d’atteindre le succès de son aînée. Constamment fauchée parce que ses parents lui coupent les vivres dans le premier épisode, elle est le « boulet » de sa meilleure amie Marnie qui doit littéralement la supporter (financièrement et moralement) jusqu’à ce que cette dernière craque et décide de quitter l’appartement qu’elles partagent.

Vous l’aurez compris, la vie des quatre jeunes femmes n’a rien à voir avec les strass et les paillettes de Sex and the City, et encore moins de Gossip Girl 1. En cela, il est impossible de dire que la série de Lena Dunham est l’héritière de celle de Darren Star. Certes, elles ont des points communs, et les clins d’oeil ici et là permettent de les relier entre elles. Mais ces références explicites sont avant tout destinées à montrer le fossé existant entre les deux : l’une proposant le culte du glamour au travers d’une réalité fantasmée, l’autre tentant de retranscrire la normalité voire la banalité de la vie de jeunes femmes bataillant pour survivre dans la jungle de New York.

On pourrait donc croire que l’identification aux personnages de Girls est plus aisée pour les téléspectatrices puisque la série relate le quotidien de jeunes femmes qui leur ressemblent. Pourtant, lorsque j’interroge mes amies sur le sujet, il leur est impossible de s’identifier à Hannah ou ses acolytes alors qu’elles n’hésitaient pas à se présenter comme des Carrie Bradshaw ou des Samantha Jones en puissance. D’où vient cette réticence à s’approprier les personnalités de Hannah, Marnie, Shoshanna et Jessa alors qu’elles semblent bien plus proches de notre réalité ? Tout simplement du fait que nous avons toutes une fierté et que, même si nous le sommes, il est difficile de s’avouer paumées et fauchées, tout comme ces jeunes héroïnes.

L’identification aux personnages a, au contraire, été rapidement l’un des points forts de Sex and the City. En effet, pour s’identifier à un personnage, il faut avant tout l’idéaliser : il faut qu’il nous fasse rêver pour l’apprivoiser et se l’approprier. Cela, Darren Star l’avait bien compris. Pour faciliter l’attachement de la téléspectatrice à ces femmes new-yorkaises, chacune des quatre héroïnes était censée représenter les différentes facettes qui constituent une seule et même femme. Ainsi, Charlotte était le côté fleur bleue, Samantha celui de la sexualité débridée, Miranda le bourreau de travail et Carrie l’indépendante en quête du grand amour. Un moyen de fidéliser un maximum de téléspectatrices. Si en plus ces femmes sont des exemples de réussite et de glamour, alors c’est le succès assuré.

Depuis les années 1950, les séries télévisées ont une fonction de modèle à suivre : elles se doivent de créer et d’offrir aux téléspectateurs des personnalités attrayantes et « parfaites » leur permettant de les imiter. Nous sommes donc formatés pour aspirer à une certaine réussite professionnelle, familiale et amicale. Mais c’était compter sans les nouvelles séries telles que Dexter, Dr House ou encore Girls qui détournent ces codes pour afficher une normalité écorchée, déviée et bien loin de la réalité fantasmée précédemment diffusée.

Pour qu’une série fonctionne, il faut un juste équilibre entre rêve-évasion et réalité. C’est le cas de Sex and the City qui nous fait fantasmer par cette vision glamour de la vie tout en imposant sa singularité en abordant ouvertement et franchement la sexualité féminine. Girls est loin de correspondre à cette recette miracle puisqu’on n’envie pas la vie d’Hannah et de ses amies, bien au contraire. Mais la série n’en est que plus intense car elle nous renvoie une vision de la réalité, parfois proche de la nôtre, sans retouche ni fard : nous n’envions pas la vie d’Hannah parce que nous sommes Hannah. Sa vie, c’est la nôtre qui est diffusée en prime time, c’est la réalité à son état brut. Et c’est sans doute la raison pour laquelle Lena Dunham a été élue l’une des cent personnes les plus influentes de la planète en 2013 par le Time Magazine. Avec sa série au succès phénoménal, elle impose une nouvelle esthétique au monde des séries télévisées, proposant une image de la jeunesse sans chichis, bien loin de notre vision idéaliste de la vie, et finalement bien plus attachante.

Extrait de "Héros en séries... Et si c'était nous ?", Aurélie Blot (Plon Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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