De la recherche sur les virus aux armes biologiques : quand la science joue involontairement aux apprentis sorciers<!-- --> | Atlantico.fr
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La science joue involontairement aux apprentis sorciers.
La science joue involontairement aux apprentis sorciers.
©Reuters

Le jeu des éprouvettes

Après la publication dans le journal Nature d’une étude issue de l’université du Wisconsin, qui expliquait comment adapter le virus H5N1 de l’animal pour le transmettre à l’homme, une réaction très vive du monde scientifique s’est élevée : il ne faut plus rendre disponibles des résultats qui compromettent la santé des hommes.

Olivier Lepick

Olivier Lepick

Olivier Lepick est docteur en Histoire et Politiques Internationales de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève (Université de Genève). Il est chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (Paris) et consacre ses travaux à la question des armes chimiques et biologiques.

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Atlantico: Comment sont nées les interactions entre la recherche scientifique et la mise en place d’arme de destruction biologique ? Depuis quand ces champs sont-ils liés ?

Olivier Lepick : Ces champs sont intimement liés par nature et évidemment depuis que l’homme s’intéresse à la militarisation d’agents pathogènes. La ligne qui sépare des activités défensives à vocation thérapeutique et donc médicale des activités offensives vouées à des applications militaires est très poreuse pour ne pas dire invisible. Comprendre les mécanismes qui permettent à une bactérie ou un virus de s’affranchir du système de défense immunitaire d’un être humain permet à la fois de mettre au point des traitements et des vaccins mais également et éventuellement de concevoir des armes biologiques plus efficaces. On parle dans ce cas de caractère dual de ces activités.

Quels sont les exemples les plus marquants qui permettent d’illustrer que des résultats qui n’ont à priori rien à voir avec le développement d’armes biologiques ont malgré tout contribué à l’avancement de l’armement par des armes biochimiques ?

L’exemple récent des travaux menés par l’université du Wisconsin et une équipe néerlandaise sur les mécanismes de mutation du virus H5N1 inquiètent au plus haut point la communauté scientifique. En effet modifier un virus aviaire pour le rendre transmissible par voie aérienne et donc susceptible de contaminer l’homme alors que sa version endémique ne l’est pas présente sans doute un intérêt scientifique afin de prévenir une éventuelle mutation naturelle mais ouvre également des perspectives terrifiantes. Que se passerait-il si un tel virus tombait dans des mains mal intentionnées, terroristes par exemple, ou tout simplement si une erreur de manipulation, conduisait à un fuite accidentelle de cette souche du virus dans la nature ? Probablement une pandémie mondiale qui provoquerait des millions de mort à l’image de l’épisode qui frappa le monde en 1918 sous le nom d’épidémie de grippe espagnole. Pour cette raison de nombreux scientifiques mais également des Etats s’interrogent sur l’intérêt de ce type de recherches compte tenu des risques potentiels énormes qu’elles génèrent.

Est-ce qu’il y a une part de la recherche scientifique qui agit en amont pour pouvoir prévenir ce qui sera demain possible et se prémunir contre la création de ces armes biologiques ?

Ce débat sur la pertinence de travaux scientifiques légitimes et pacifiques mais dont le détournement pourrait s’avérer dramatique n’est pas nouveau. Toutefois, les progrès spectaculaires récents et continus en matière de compréhension des mécanismes de pathogénéicité et les recherches inhérentes à ces travaux rendent cette problématique de plus en plus aigue. Doit t-on ainsi autoriser la publication dans des revues scientifiques de travaux dont les conclusions permettent certes à la science de progresser mais dont un détournement malveillant pourrait s’avérer dramatique ? C’est bien le cœur de cette problématique.

Le moratoire posé par la communauté scientifique et le conseil d’éthique américain, qui interdit la diffusion des résultats concernant la récupération des virus et les effets de leur manipulation, peut-il avoir un effet sur la poursuite de ces recherches ? Peut-il empêcher que des chercheurs de pays non signataires du moratoire utilisent les données ?

Cette démarche me paraît absolument indispensable comme elle devrait d’ailleurs l’être dans d’autres domaines comme l’intelligence artificielle ou le génie génomique. Un équilibre subtil doit être recherché entre progrès scientifique , éthique, morale et considérations géopolitiques ou plus simplement sécuritaires. Ces mesures ont clairement un impact cependant modéré sur le rythme de la recherche et certains scientifiques attachés à la libre circulation de l’information scientifique s’en offusquent mais elles sont absolument nécessaires tant la nature des conclusions des travaux de certaines équipes ouvrent des perspectives terrifiantes. La science progresse plus vite que la capacité de la communauté internationale à en réguler les potentielles conséquences. Encore une fois, ce constat n’est pas uniquement valable pour la recherche médicale mais également dans le domaine de l’innovation technologique en général. Il est plus que temps que l’homme se penche sérieusement sur les conséquences potentielles de la frénésie de l’innovation que notre société occidentale cultive et encourage à un moment charnière de l’Histoire des techniques et des technologies. C’est un truisme que d’évoquer Rabelais mais jamais sa saillie "science sans conscience n’est que ruine de l’âme" n’a paru plus moderne qu’aujourd’hui car c’est l’existence même de l’humanité telle qu’on la connaît qui semble menacée aujourd’hui par certaines innovations technologiques.

Qui sont les acteurs de cette recherche : quels scientifiques effectuent ces recherches et grâce à quel financement ? Ces recherches sont-elles financées par les gouvernements ou des groupes obscurs ? Quels sont les pays qui sont le plus concernés par ces recherches ? Comment ces derniers s’organisent-ils pour récupérer les résultats des études et les utiliser ?

Ces recherches sont menées par des équipes reconnues à l’image de celle du professeur Fouchier de Rotterdam (bien que ses vues soient contestées par de nombreux de ses confrères) et sont financées de manière transparente, souvent en large partie par de l’argent public ou de grands laboratoires privés. Le financement par des groupes obscurs est un fantasme bien que l’on ne puisse écarter la possibilité de travaux clandestins financés par des Etats dans le cadre de programme militaire biologique comme cela fut le cas un Union Soviétique dans les années 80 avant que l’ampleur du programme Biopreparat ne fût révélée par des transfuges passés à l’Ouest. La nature des travaux menés en toute transparence par de nombreuses équipes universitaires occidentales mais également au Japon posent déjà suffisamment de question pour ne pas s’embarrasser de considérations "complotistes". Jusqu’à très récemment la liberté de circulation de l’information scientifique était totale et la véritable question à laquelle la communauté scientifique mondiale et les Etats doivent apporter une réponse rapide est : quels mécanismes de contrôle et de limitation de circulation de l’information scientifique doit-on mettre en œuvre pour prévenir les risques sanitaires et sécuritaires posés par le caractère dual de nombreuses recherches à vocation médicale ?

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