De l’utilité de savoir se payer des soutiens proches du pouvoir socialiste ? Des hauts magistrats auraient été espionnés pour le compte d’un oligarque <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
De l’utilité de savoir se payer des soutiens proches du pouvoir socialiste ? Des hauts magistrats auraient été espionnés pour le compte d’un oligarque
©Reuters

Scandale d'Etat

Les mails et sms de magistrats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ont été piratés, la preuve en étant que leur correspondance s'est retrouvée sur un site ukrainien. Y aurait-il un lien avec leur décision d’extrader un oligarque kazakh ? Les avocats de ce dernier démentent. Va-t-on vers un scandale d’Etat ? Christiane Taubira et Manuel Valls suivent de près cette affaire…

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

Voir la bio »
  •  Plusieurs hauts-magistrats français ont la certitude d'avoir vu leurs correspondances électroniques piratées dans le cadre de l'étude de l'extradition de Mukthar Ablyazov, un riche banquier d'affaires d'origine kazakh.
  • En guise de réponse Maître Mignard, avocat de M. Ablyazov et proche de François Hollande, aurait dénoncé une violation des droits de la défense tout en réclamant à Mme Taubira la saisie de l'Inspection Générale des affaires judiciaires.
  • Entre-temps, la communication de l'oligarque serait assurée par Stéphane Fouks, ami de longue date de l'actuel Premier ministre.
  • Ce sera justement à Manuel Valls de décider ou non de l'extradition de M. Ablyazov si cette dernière est confirmée par la Cour de Lyon. 

>> A lire sur le même sujet : Un droit de réponse de M. Mukhtar Ablyazov

A-t-on tenté de déstabiliser des hauts magistrats de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, parce qu’ils ont pris la décision d’extrader le richissime  homme d’affaires kazakh Mukhtar Ablyazov vers l’Ukraine et la Russie, une décision aujourd’hui bloquée ? En tout cas, cette affaire qui a mis en émoi la Cour d’appel  est directement suivie par la garde des Sceaux…On comprend pourquoi. D’abord, parce que l’avocat de l’Ukraine, Me Guillaume-Denis Faure a eu la surprise de voir ses mails et sms piratés. Que ce soit ceux échangés avec l’avocate générale Solange Legras ou certains de ses confrères. Ensuite parce que  la  magistrate a appris que les mails échangés avec sa collègue Nicole Besset, présidente de la Chambre de l’Instruction et avec les représentants des pays demandeurs à l'extradition l'étaient également.  En témoigne leur publication sur un site Ukrainien !  

A la manœuvre, murmure-t-on, des  officines israéliennes travaillant pour Ablyazov.  Là où cette histoire prend un mauvais tour, c’est que l’un des avocats de ce dernier, Me Jean-Pierre Mignard, que l’on sait très proche de François Hollande, a demandé à  Christiane Taubira de saisir l’Inspection générale des services judiciaires. Une demande qui vise les magistrats de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, accusés de faire preuve de partialité et de porter atteinte aux droits de la défense, en l’espèce d’ Ablyazov.

Principale cible du Kazakh  parce qu'à l'origine de son arrestation,  l’avocate générale Solange Legras, unanimement respectée, familière depuis des années,  des procédures d’extradition et de la coopération internationale , – a alerté sa hiérarchie et déposé plainte pour violation des correspondances.  Les autres "piratés", Me Faure et la magistrate Nicole Besset ont fait de même. Le parquet de Paris est saisi. De son côté, Ablyazov  fait tout pour éviter l’extradition.  Dans cette optique,  il aurait décidé de prendre un communicant qui n’est autre qu’un ami de longue date de Manuel Valls, Stéphane Fouks.

Qui est donc Ablyazov ?  Agé de  50 ans, jadis lié au président du Kazakhstan, il a dirigé la BTA-Bank, banque kazakh, ainsi que ses filiales  à Moscou et à Kiev de 2005 à 2009.  A  cette date,  ses ennuis commencent, quand la justice  kazakhe puis russe et ukrainienne  le soupçonne d’avoir "siphonné" les fonds de la banque à hauteur de  6 milliards de dollars. Ablyazov se réfugie alors en Grande-Bretagne où il parvient à obtenir un statut de réfugié politique à l'égard du Kazakhstan. Pas pour longtemps. En effet,  après avoir été condamné par la Haute Cour de Londres à rembourser 4 milliards de dollars à la BTA-Bank, le voici à nouveau poursuivi en 2012. Cette fois, pour parjure et outrage à la Couronne. Il écope de deux ans d'emprisonnement.  

Ablyazov part  alors, muni d'un faux passeport de la République de Centrafrique, pour la Suisse où il s’achète  une magnifique maison.  Les autorités russes et ukrainiennes ne l’oublient pas. En effet, depuis le 7 octobre 2010, le banquier est sous le coup d’un mandat d’arrêt d’un  juge  de Moscou pour abus de confiance et  blanchiment, pour des faits commis de mai 2006 à mai 2009.  On lui reproche  d’avoir vendu des terres agricoles, sept fois leur prix,  à des sociétés étrangères grâce à des complicités locales, et d’avoir réalisé un bénéfice de 730 millions de dollars. Ou encore d’avoir acquis un terrain à Podolsk, non loin de Moscou, destiné à la construction d’un centre commercial… Or cette construction n’était que du vent, mais a permis à Ablyazov de planquer 404 millions de dollars aux Seychelles ! Intrépide, il aurait même cédé,  entre le 20 janvier  et le 2 février 2009, pour plus de 1 milliard de dollars de fausses créances à des sociétés offshores dont le détenteur n’était autre que lui-même

Depuis  le 20 janvier 2011,  un juge ukrainien le recherche pour des gymnastiques financières qui l’ont conduit à transférer illégalement 150 millions de dollars à une société Dreyassociates LTD.   Ce magistrat  ne le lâche pas davantage  pour son rôle joué dans la construction  du complexe logistique de Khadjibei, situé à quelques encablures d’Odessa. La raison ? Ablyazov ne disposait pas du moindre kopek ! Pendant de longs mois, le banquier parviendra  à échapper aux autorités russes et ukrainiennes. Jusqu’à ce 31 juillet 2013,  où se fait cueillir par la PJ niçoise dans une somptueuse villa de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes... Il est  incarcéré le lendemain  à la prison de Luynes, dans l’attente de la décision de son éventuelle extradition vers l’Ukraine ou la Russie. L’homme d’affaires kazakh, ne  le veut pas. 

Il craint d’être ré-extradé  vers le Kazakhstan. Il en va de son intégrité physique, dit-il. Le 12 décembre 2013, la chambre de l’Instruction d’Aix-en-Provence  examine les demandes d’extradition. D’emblée, pour les raisons ci-dessus,  les avocats de l’oligarque kazakh s’y opposent. Le 9 janvier 2014, la Chambre de l’instruction rend son arrêt qui vise l'ensemble des conventions internationales empêchant toute ré-extradition vers le Kazakhstan.  C’est oui.   Ablyazov doit être extradé. "Une décision conforme au droit international nous déclare Me Antonin Lévy, avocat de la banque BTA, spécialiste du droit de l’extradition, puisque selon la convention de Genève de 1951, la Russie  et l’ Ukraine ont une interdiction légale absolue de procéder à une  ré-extradition vers le Kazakhstan."

Point de vue différend du côté de l’un des avocats d’Ablyazov, Me Bruno Rebstock : "La justice française ne s’honore pas avec cette décision. Soit elle fait preuve  d’une grande naïveté à l’égard d’Etats considérés comme corrompus, soit c’est le signe d’une forte dépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique". Aussi, est- ce sans surprise qu’illico,  les conseils d’Ablyazov  forment un pourvoi en cassation. Le 9 avril, la chambre criminelle de la Cour de cassation leur donne raison et casse l’arrêt d'Aix -en-Provence . Mais pour de simples détails de procédure.   Elle renvoie "la patate chaude" à la chambre de l’Instruction de Lyon qui devrait statuer sur le fond  prochainement.  Affaire réglée ?  Loin de là. Que fera le gouvernement si la cour de Lyon confirme l’extradition de l’ex- banquier kazakh ?  Ce sera à Manuel Valls de signer ou pas le décret d’extradition. Me Mignard - que nous avons tenté de joindre, en vain- et Stéphane Fouks parviendraient-ils à convaincre le premier ministre de  ne pas le signer ? Ce serait de l’inédit…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !