De l'Etat islamique à la Thaïlande en passant par Cuba : sur les traces des agresseurs sexuels et des réseaux de prostitution<!-- --> | Atlantico.fr
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Dès 2015, note le rapport, entre 450 et 500 femmes yézidies seront conduites dans le nord de l’Irak. Le tiers d’entre elles sera "distribué" aux combattants de l'EI à titre de récompense ou vendues comme esclaves en fonction de leur âge.
Dès 2015, note le rapport, entre 450 et 500 femmes yézidies seront conduites dans le nord de l’Irak. Le tiers d’entre elles sera "distribué" aux combattants de l'EI à titre de récompense ou vendues comme esclaves en fonction de leur âge.
©Reuters

Un réseau mondial

Le quatrième rapport de la Fondation Scelles, qu'Atlantico a lu, nous fait faire un tour du monde de l’exploitation et de la traite des femmes et des enfants mineurs. Aux Philippines. A Cuba. Au Pakistan. Et même du côté de l’Etat Islamique. Avec à la manœuvre des réseaux mafieux puissants et parfaitement organisés. Heureusement, grâce à une prise de conscience, commencent ici et là à se mettre en place des réponses pénales à tous ces trafics.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Le rapport de la Fondation Scelles nous révèle une fois encore que pratiquement pas un pays au monde n’échappe à la traite des femmes, des enfants, à la prostitution et au harcèlement

  • En Europe, 50 000 Nigérianes se livrent à la prostitution ; rien que pour l’Italie elles seraient 10 000

  • Avec la guerre civile en Syrie, l'Etat Islamique, notamment en Irak, force des jeunes femmes à se prostituer à Bagdad, Bassora et au nord du pays

  • Aux Etats-Unis et en France, les armées ne sont pas exemptes de reproches. Mais dans ces deux pays, les femmes militaires qui subissent du harcèlement de la part de leurs frères d’armes hésitent à porter plainte

Un rapport qui donne le vertige. Tout au long des 550 pages, voici une plongée abyssale qui recense toutes les formes de prostitution, de traite des femmes, d’enfants, d’agressions sexuelles, bref tout ce qui contribue à avilir l’être humain. A l’origine de cette somme qu'Atlantico a pu lire : la Fondation Scelles*, présidée par un haut magistrat unanimement respecté qui fut en son temps le plus jeune procureur général de France, Yves Charpenel, aujourd'hui premier avocat général près de la Cour de Cassation.

C’est ainsi que grâce à des enquêtes extrêmement fouillées, on apprend par exemple qu’en 2014, la ville de Juarez au Mexique comptait en moyenne 800 jeunes filles exploitées dans le commerce du sexe. Qu’en Europe, 50 000 Nigérianes se livrent à la prostitution, dont 10 000 pour la seule Italie. Qu’à Manille aux Philippines, 1,5 million d’enfants qui vivent dans les rues se livrent à la prostitution. Manille, qui serait selon le rapport "l’hypermarché mondial de la prostitution des enfants"… Au Pakistan, la situation est tout aussi épouvantable : une enquête révèle que sur 200 garçons âgés de 5 à 18 ans, interrogés dans le cadre d’une étude sur la violence en 2008, 88% d’entre eux ont reconnu avoir subi des violences sexuelles, tandis que 92% d’entre eux ajoutaient avoir consommé des drogues. La même étude révélait que les auteurs les plus fréquents de ces violences étaient des policiers, des chefs de gang et des camionneurs. Au Pakistan, comme dans les pays cités ci-dessus, pas question de témoigner et de dénoncer les violeurs. Une jeune fille de 14 ans, victime de violences sexuelles en 2013, avait voulu dénoncer ses agresseurs. Menacée, elle dut y renoncer, allant jusqu'à dire qu’elle avait donné son consentement. Certes, si la traite des êtres humains constitue toujours un drame, elle a atteint en Thaïlande le summum de l’horreur.

C’est ainsi qu’à l’occasion de découvertes de charniers en Thaïlande, à la frontière malaisienne, ont été découvertes 139 fosses et 28 camps de migrants, victimes de traite. En Thaïlande, 30 à 60 000 enfants se prostitueraient. Quelques efforts y ont été entrepris, non pas pour éradiquer la prostitution - ne rêvons pas -, mais pour lutter plus efficacement contre elle. C’est ainsi qu’en vertu de la loi martiale instaurée en 2014, les policiers peuvent désormais perquisitionner sans mandat dans les bars à karaoké. Les résultats ne se sont pas fait attendre : en octobre 2014, grâce à cette loi, la police a pu arrêter un tenancier de bar qui exploitait 13 Laotiennes, dont six jeunes filles mineures. A Cuba, il arrive parfois que des enfants de quatre ans se livrent à la prostitution.  

Aux Etats-Unis, en raison de l’apparition d’Internet, la prostitution, un délit dans 49 Etats sur 50 - elle n’est légale que dans le Nevada -, n’apparaît dans les rues que dans 10 à 20% des cas.

Bien évidemment, dans un tel recensement parfois nauséabond, le rapport ne pouvait faire l’économie de précisions sur les conséquences directes et indirectes du conflit au Moyen-Orient, notamment la guerre civile en Syrie. Au Liban, en Jordanie, en Turquie, de nombreux camps de réfugiés syriens ont vu le jour. Ces réfugiés constituent une proie facile pour les réseaux de prostitution à l’affût de "marchandises". En Jordanie par exemple, 6 individus ont été poursuivis pour avoir forcé une jeune réfugiée syrienne de 17 ans à 21 mariages temporaires à des fins de prostitution pendant 2 ans. En mars 2015, un trafiquant turc soupçonné d’être lié à l’Etat Islamique a été condamné pour avoir contraint des jeunes filles syriennes à se prostituer dans le sud du pays. Des jeunes Syriennes ont été aussi contraintes de se prostituer dans des hôtels à Bagdad, Bassora ou dans le sud de l’Irak. Comment ne pas évoquer encore, en lien avec les divers conflits du Moyen-Orient, "le régime de violence sexuelle, d’esclavage, d’enlèvement  et de traite des personnes" instauré par l’Etat Islamique ? Dès 2015, note le rapport, entre 450 et 500 femmes yézidies seront conduites dans le nord de l’Irak. Le tiers d’entre elles sera "distribué" aux combattants de l'EI à titre de récompense ou vendues comme esclaves en fonction de leur âge. Bon nombre de ces "esclaves" sont violentées, comme l’attestent de nombreux témoignages.

Mais le rapport qui se veut complet n’oublie pas le monde occidental avec l’étude d’un secteur dans lequel en matière d’agressions sexuelles, "les affaires étouffées et les harcèlements de victimes sont monnaie courante". Le secteur en question ? L’armée. Pendant de longues années, on ignorait tout de certaines pratiques. Ou l’on faisait semblant. Désormais, grâce à des livres, des articles, des films, des groupes de paroles, le couvercle du secret a pour une bonne part sauté. Encore que…

L’exemple des Etats-Unis. C’est à partir du début des années 1990 grâce à la révélation d’un scandale qu’une prise de conscience très forte s’est fait jour. Constat des auteurs du rapport : "La fréquence des traumatismes sexuels au sein de l’armée américaine est une épidémie qui frappe les hommes comme les femmes. En 2013 uniquement, 60% de la totalité du personnel a déclaré avoir été l’objet de harcèlement sexuel dont 20% de femmes". Comme dans bon nombre de pays, les femmes victimes d’agressions sexuelles ne disent rien. Pourtant, une procédure existe. Mais c’est ainsi : 80% des victimes restent muettes et ne saisissent pas la justice. D'autres ne la saisissent pas, mais pour une autre raison : elles n’ont pas confiance. En témoignent les statistiques : en 2010, il y a eu 3 158 rapports pour viol dans l’armée. Or, 529 ont débouché sur un procès, et 175 violeurs ont été expédiés en prison. D’où cet autre constat, très inquiétant : "Cette absence de poursuites judiciaires et les conséquences qui en découlent amènent 90% des violeurs dans l’armée à récidiver".

L’exemple de la France. D'abord, une remarque : chez nous, la question de l’agression sexuelle contre les femmes militaires est un sujet nouveau. Aussi n’existe-t-il pas de statistiques. Seconde remarque : ce sont surtout les femmes qui servent dans les unités de combat qui sont confrontées au harcèlement et au mépris. Et le rapport de noter que "c’est une stratégie répandue que de recourir à des commentaires misogynes au cours des entraînements". Aussi n’est-il guère étonnant, c’est en tout cas l’avis des auteurs du document, que du fait de leur minorité, les femmes ne bénéficient pas du même respect que leurs frères d’armes hommes. D'ailleurs, lorsqu'une femme est victime d’un traumatisme sexuel, bien souvent leurs pairs lui conseillent de garder le silence. Lorsque la justice finit par être saisie, souvent des années après les faits supposés avoir été commis, les sanctions envers l’agresseur sont souvent minimes : dans l’armée de terre, 40 jours d’emprisonnement, dans la Marine, 10 jours. Lorsqu'il s’agit d’agressions sexuelles, les condamnations sont plus sévères. Encore que… C’est ainsi qu’un officier qui avait drogué et violé deux femmes a écopé de 3 ans de prison.

*La Fondation Scelles a été créée en 1993 par Jeanne et Jean Scelles. Ce dernier, Résistant, alors qu’il est emprisonné à Alger en 1941, découvre grâce à un voisin de cellule proxénète le monde de la prostitution. C’est à la suite de cette rencontre que Jean Scelles, avec son épouse, a consacré sa vie à la défense de la dignité humaine. Il est mort en 1996.

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