De l’art de choquer le bourgeois (médiatique) : avantage Zemmour dans son débat face à Mélenchon<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour, le polémiste
Eric Zemmour, le polémiste
©Reuters

Le choc des polémistes

Lors du débat qui les a opposés vendredi 12 décembre, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sont apparus divisés sur les questions liées à l'immigration, la laïcité et la République. Seul point de convergence : l'impérialisme européen. Une confrontation utile, sans être révolutionnaire, qui a eu pour mérite de mettre en scène une parole débridée sur un mode antagoniste. Un bienfait démocratique.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Qu'a t-il résulté de ce débat, de ce choc entre deux polémistes d'extrêmes oposés ?

Philippe Bilger : Sur le plan de la forme, Jean-Luc Mélenchon a été fidèle à lui même : aggressif à l'égard du journaliste, très inutilement désagréable à l'encontre d'Eric Zemmour qui lui a développé ses arguments habituels sur les thèmes abordés.

Il fut question du problème des crèches, de la laïcité, de l'immigration, de la République et de l'Europe pour terminer. Sur cette dernière question, Mélenchon a fait preuve de davantage d'intelligence, en tous les cas d'une bonne formule ("Dans l'Europe libérale, vous détestez l'Europe et moi le libéralisme") qui tranche avec l'essentiel des moments où il s'est contenté d'être violent verbalement. Les séquences inaudibles où les deux protagonistes parlaient en même temps n'ont pas manqué, et ce malgré les efforts, la volonté du journaliste pour calmer le jeu.

Cette fameuse phrase de Mélenchon résume à elle seule le débat, sachant que sur cette question, ils n'étaient pas si éloignés. Pour le reste, Mélenchon plaquait obstinément une France du rêve, de l'idéal, de l'abstrait sur la France du réel. De son côté, Zemmour parlait de la France du réel pour dénoncer certaines évolutions préoccupantes de notre pays, pour interpeller sur l'avancée d'un certain islam et sur le fait brutal qu'on ne se sentait parfois plus français en France. Derrière cela selon lui, un refus d'une partie de la communauté d'immigrés maghrébins de l'assimilation.

Eric Zemmour m'a semblé s'immiscer. Et s'il fallait donner un vainqueur au poing, je dirais que ce dernier a tenu le cap et n'a pas été dominé. Reste le format du débat qui était court, entrecoupé de coupures publicaitaires, finalement peu propice à la qualité à proprement parlé du débat.

Il y a eu tout de même une sorte de convergence sur l'impérialiste allemand et sur les dangers de cette Europe libérale. Sur les autres sujets, il y a un antogonisme très forts dans la vision sociale, dans la vision religieuse, communautariste. En permanence, Mélenchon mettait en avant la machine à intégrer, la République. Il a évoqué la VIe République. Zemmour, sans le souhaiter lui, a indiqué que la Ve République ne fonctionnait plus comme il le souhaitait. 

Bref, l'opposition entre une vision obstinément républicaine qui semble occulté le réel et s'acharne à dissimuler les maux de la France au nom d'une République abstraite de la France de toujours ; et celle de Zemmour pétrie de réalisme, de pessisme et d'histoire. Au fond, il aurait été inconcevable pour Mélenchon d'admettre dans son raisonnement, l'intrusion de la France réelle. Il aurait jugé offensant pour son image de la France, qu'on puisse dire qu'il y avaity des dissenssions, des fractures entre les communautés.

Du bon sens a-t-il jailli de cette confrontation entre ces pensées débridées, extrêmes aussi peut être ?

Dans l'antagonisme, la cacophonie a quelque peu étouffé le talent. Mais cela ne remet pas en question le bon sens. Pour preuve, il y a avait une volonté d'Eric Zemmour comme toujours de raconter, de narrer, de décrire le réel, d'en dénoncer les dangers, les virtualités menaçantes.

Tandis que de l'autre côté, on avait le sentiment d'une dénégation un peu formée, systématique. Mélenchon préférait évoquer cette République abstraite qui assimilait tout, une République merveilleuse, une France belle, celle d'autrefois. Il suffirait que lui aille à Bruxelles pour dire que la France ets un grand pays capable de régler tous les problèmes.

Au fond, il y avait une opposition, un antagonisme entre un souci des réalités, une analyse de celle-ci et volontarisme abstrait, idéal.

Ce débat était utile. Il est toujours souhaitable dans notre démocratie de mettre en relation et confrontation deux pensées de personnalités talentueuses dans l'espace intellectuel, médiatique et politique.

Qu'il s'agisse de ce débat en particulier ou de la réflexion en général, la pensée ne souffre-t-elle pas de la dimension caricaturale des forces intellectuelles en présence ?

La pensée de Zemmour est connue dans sa globalité et totalité. Idem pour Mélenchon avec une pensée inverse. Ce que je reproche très modestement, notamment à Eric Zemmour, c'est ceci : une conception réactionnaire de la politique et de la société devrait tout de même accepter de la complexité et de la nuance. 

Mais le format, avec des coupures, des pages publiciatires, ne permettait peut-être pas de donner à des généralités nécessairement péremptoires des touches de finesse et de nuance. Pour ma part, je rêve d'une réaction qui comporte en excès les immenses qualités d'Eric Zemmour, notamment sur la globalité et l'analyse culturelle, mais qui encore une fois accepterait - même en son sein - une contradiction parfois bienfaisante.

Que la parole soit débridée est donc une bonne chose ?

C'estune bonne chose que la parole soit débridée dans la mesure où elle respecte les règles fondamentales d'intelligence, d'urbanité démocratique et médiocratique. 

En ce sens, même s'il m'a semblé lassant d'entendre Mélenchon critiqué le journaliste ou être plus violent à l'égard de Zemmour et que Zemmour ne l'était au sien. Mais il est toujours une bonne chose d'avoir une parole qui ose s'affirmer et s'exprimer, sur un mode antagoniste.

Est-ce à dire que les auditeurs qui ont entendu le débat se sont fondamentalement enrichi, je ne le sais pas. Leurs propos n'ont pas été inventés d'aujourd'hui. S'ils n'ont pas eu de lumières décisives sur la société, la politique et l'avenir de la France. Il sont eu un éclairage très éclatant sur les personnalités en présence.

Est-ce à dire que la vérité est aussi et surtout dans la nuance ? Une sorte de nécessaire "reductio ad excessum" ?

Je regrette la nuance, la complexité, la capacité de prendre en compte la pensée de l'autre. Cela n'est pas le contraire la pensée réactionnaire. Elle doit intégrer ces qualités. Dans ce cas précis, il faut tenir compte de la contrainte médiatique qui ne permet pas de développer les thématiques dans toute leur complexité.

C'est pour cela que j'apprécie particulièrement le format de débats télévisés plus en longueur qui permettent de développer des pistes, sans niuancer la certitude intelligente. C'est à la fois l'affirmation de la pensée, de soi mais qui n'est pas exclusive d'une appréhension modeste de la pensée de l'autre, de la nuance et de la complexité. La nuance n'est pas le contraire de l'audace intellectuelle, elle en fait partie.    

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