De Gaulle : réflexe pavlovien pour candidats 2012 en manque de grandeur<!-- --> | Atlantico.fr
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Charles de Gaulle en compagnie du chancelier allemand, Konrad Adenauer (1963).
Charles de Gaulle en compagnie du chancelier allemand, Konrad Adenauer (1963).
©Deutsches Bundesarchiv (Wegmann, Ludwig)

Spectre

François Bayrou, Dominique de Villepin... Ils sont nombreux, ces derniers jours, à se réclamer du Général de Gaulle. Mais, crise ou pas, l'hypothèse d'un homme providentiel est-elle crédible ?

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Atlantico : François Bayrou et Dominique de Villepin se sont récemment réclamés du Général De Gaulle pour justifier leur « traversée du désert ». Sont-ils crédibles quand ils évoquent une telle figure ?

Philippe Braud : Ce n’est pas tant être crédible qui est en question. Pour paraphraser Lacan, je crois qu’ils ne s’autorisent que d’eux-mêmes. Le problème est moins de savoir si ces hommes politiques sont crédibles que de savoir si cette allocation d’un patronage se révèle efficace et reçoit un minimum de réception positive dans l’opinion publique.

L’opinion publique connait bien sûr le Général De Gaulle, mais les sondages et les études l’ont montré, les Français ont une idée de plus en plus vague de ce qu’il représente. Un grand homme certes, mais personne aujourd’hui ne sait exactement ce qu’est la doctrine gaulliste. Cette situation ouvre, d’une certaine manière, l’opportunité aux hommes politiques de se prétendre gaullistes, puisque nul ne sait trop ce qu’est être gaulliste.

Faire référence à De Gaulle, se prétendre gaulliste aujourd’hui, est donc plus une stratégie politique qu’une conviction idéologique ?

Absolument. Se dire gaulliste actuellement n’est pas afficher une conviction, mais plutôt avancer un pion sur l’échiquier. Il est tout de même vrai qu’il est plus facile de se prétendre comme tel lorsqu’on est un homme politique du centre ou de droite qu’à gauche. Parce qu’à gauche il y a eu une grande tradition, orchestrée d’ailleurs par François Mitterrand, de critique du pouvoir personnel de Charles De Gaulle. C’est donc moins facile, encore que certains hommes de gauche, notamment Jean-Pierre Chevènement, ont pu se revendiquer gaullistes. D'ailleurs, le général De Gaulle avait eu l’ambition de brouiller le clivage droite / gauche, et il y avait partiellement réussi.

Quant à François Mitterrand, que les hommes politiques de gauche citent désormais régulièrement, pourquoi y a-t-il autant de cristallisation autour de son souvenir ?

Il est cité tout d’abord parce que son image est plus proche et son histoire plus récente. Cependant sa figure est bien moins œcuménique que celle du Général De Gaulle. Il a été critiqué au sein-même de sa famille politique, notamment à cause de ses relations, tardivement révélées, avec des personnalités vichyssoises comme René Bousquet. Lionel Jospin avait même parlé, à une époque, d’un "droit d’inventaire". L’invocation du patronage de François Mitterrand peut, à certains égards, être efficace, mais à gauche seulement, et comme rappel de la capacité de la gauche à exercer les responsabilités du gouvernement. Il est clair que l'invocation de l'héritage de De Gaulle s'adresse à de plus larges catégories de Français. 

Avoir autant de « nostalgie politique », n’est-ce-pas un aveu du manque de charisme de nos hommes politiques actuels, ou tout simplement de l’absence de leaders de la même trempe qu’étaient le Général De Gaulle et François Mitterrand ?

Je ne mettrais pas ces deux hommes sur le même plan. Le général De Gaulle, par sa hauteur de vue exceptionnelle en 1940, mais aussi par la chance que lui ont offerte des circonstances également très exceptionnelles n'est pas sur le même plan que François Mitterrand. Quant à savoir si le recours à la mémoire d'hommes politiques du passé signifie un désaveu du présent, je serais circonspect. C'est une tradition constante d'invoquer de grands ancêtres pour se grandir soi-même. Jadis on invoquait Blum et Jaurès à gauche, ou Poincaré et Clémenceau à droite.  Et dans un passé encore plus lointain, Gambetta ou Jules Ferry. Il s'agit d'un mécanisme rhétorique permanent. Bien des figures ne deviennent réellement marquantes qu'après leur mort, lorsque s'éteignent les critiques et polémiques qui les ont entourés de leur vivant.

Mais on doit reconnaître que le général De Gaulle a conquis une vraie place dans le panthéon des hommes politiques du XXe siècle, au-dessus de la grisaille ordinaire.

De Gaulle a marqué la politique française par sa personnalité, mais aussi parce que les circonstances ont joué : il s’est posé comme le défenseur de la souveraineté française, l’opposant à l’impérialisme américain. La conjoncture et les circonstances actuelles sont nettement différentes. Peut-on, dès lors, voir un nouveau De Gaulle à notre époque, autant adulé dans 50 ans ?

Ce sont les situations exceptionnelles qui font les hommes d’exception. S’il n’y avait pas eu l’effondrement de la France en 1940, il n’y aurait pas eu de De Gaulle. Mais ce qui le caractérise le mieux, en définitive, c'est ce mélange de vision historique et de pragmatisme foncier. C'est pourquoi ceux qui déduisent du patriotisme volontiers ombrageux du De Gaulle des années 1940-1970, des indications précises sur ce qu'il ferait aujourd'hui pour gérer la crise de l'Europe, formulent des hypothèses pour le moins hasardeuses.  Un homme politique de cette trempe ne peut naître que de circonstances réellement tragiques. Une crise économique et financière, ce n'est pas l'effondrement d'une nation pluriséculaire. Pour l'instant on voit donc mal les conditions qui feraient advenir un nouveau "grand homme".


Propos recueillis par Romain de Lacoste

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