Explosif
David Friedman, l’ambassadeur nommé par Trump en Israël qui préfigure d’un changement radical de la politique américaine dans la région
En nommant David Friedman, soutien de la colonisation israélienne en Cisjordanie, au poste d'ambassadeur des Etats-Unis en Israël, Donald Trump renonce au rôle de médiateur qu'avaient les Etats-Unis dans la région du Proche-Orient.
Roland Lombardi
Roland Lombardi est consultant géopolitique indépendant et associé au groupe d'analyse JFC-Conseil. Il est docteur en Histoire contemporaine, spécialisation Mondes arabes, musulman et sémitique. Il est membre actif de l’association Euromed-IHEDN et spécialiste des relations internationales, particulièrement sur la région du Maghreb et du Moyen-Orient, ainsi que des problématiques de géopolitique, de sécurité et de défense.
Il est intervenant à Aix-Marseille Université et à Sup de Co La Rochelle – Excelia Group.
Editorialiste à Fildmedia.com, il est par ailleurs un collaborateur et contributeur régulier aux sites d'information Atlantico, Econostrum, Kapitalis (Tunisie), Casbah Tribune (Algérie), Times of Israel.
Ses dernières publications notables : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Etudes Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017 et « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Eté 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux.
Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages sont intitulés Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (janvier 2020) et Poutine d’Arabie, ou comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient (février 2020), aux VA Editions.
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Atlantico : Dans quel courant s'inscrit David Friedman, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Israël nommé par Donald Trump ? Dans quelle mesure sa nomination représente-t-elle une rupture avec la traditionnelle politique d'équilibre des Etats-Unis au Proche-Orient ?
Roland Lombardi : David Friedman est un avocat de 57 ans. C’est un ami personnel de Donald Trump. Durant la campagne électorale de ce dernier, il fut avec Jason Dov Greenblatt, l’un de ses deux conseillers sur l’Etat hébreu. Il parle hébreu couramment et se définit comme un soutien indéfectible d’Israël. La principale rupture avec la politique officielle actuelle de Washington, qui considère la construction des colonies comme un obstacle à la paix, résiderait dans le fait que Friedman, quant à lui, estime que ces mêmes colonies ne sont pas une entrave à cette paix.
Peut-on s'attendre à ce que sa nomination favorise les forces politiques israéliennes les plus radicales en faveur d'une solution à un seul Etat (celui d'Israël) ? Israël peut-il à terme devenir un Etat pratiquant une politique d'apartheid ?
Lors de l’annonce de la future nomination de David Friedman au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en Israël, un éditorialiste du journal israélien Haaretz avait écrit que les positions très à droite de Friedman faisaient passer Netanyahu pour un "gauchiste" ! Néanmoins, la droite israélienne, qui s’est déjà félicitée de la victoire de Donald Trump, devrait rester très prudente, également quant aux choix de Friedman comme ambassadeur en Israël. D’abord, car c’est Donald Trump et son administration qui insuffleront la politique américaine dans la région et non M. Friedman. En effet, Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont de vrais amis. Ils ont d’ailleurs eu les mêmes mécènes lors de leurs campagnes électorales respectives, notamment un ami commun, le milliardaire Sheldon Adelson… Même s’il a fait, surtout au début de sa campagne, de nombreuses déclarations contradictoires sur le conflit israélo-palestinien, lorsqu’il s’est d’ailleurs déclaré "neutre" sur le sujet, le candidat républicain s’est finalement révélé être un farouche supporter de l’Etat hébreu. En tant qu’ami sincère d’Israël, Trump sera sûrement respecté et écouté par les Israéliens. Mais grâce à ce statut, il pourra être beaucoup plus exigeant et surtout, leur demander beaucoup plus que ne l'ont fait ses prédécesseurs… Même l’annonce sur le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem peut s’avérer être, au final, un moyen de pression supplémentaire afin d’obtenir, en échange, plus de concessions de la part des Israéliens.
Au sujet de l’Iran, là encore la droite israélienne devrait calmer ses ardeurs. Certes, le candidat Trump a accusé Téhéran d’être également un vecteur du terrorisme international. Il a par ailleurs dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015, évoquant même son éventuelle abrogation. Je pense que nous aurons sur ce dossier le premier exemple de promesses non tenues du nouveau président. En effet, Trump ne pourra pas (ni ne le voudra réellement) tenir ses engagements. D’abord, car il s'agit d'un accord multilatéral et les Etats-Unis ne peuvent pas l'annuler au nom de la Russie, de la Chine et de l'Union européenne. Ensuite, si le rapprochement entre Moscou et Washington devient effectif, les Russes seraient de parfaits médiateurs sur ce dossier sensible. Et enfin, l’Iran, l’Etat phare du chiisme, est (re)devenu incontournable dans la région et surtout, un formidable marché pour les sociétés américaines qui sont déjà, ne l’oublions pas, très bien introduites à Téhéran…
De plus, faut-il rappeler que dès 2001, après le choc du 11 septembre, quelques experts et officiers américains avaient déjà proposé de "lâcher" l’Arabie saoudite pour se tourner vers l’Iran ? On sait aujourd’hui qu’ils n’ont pas été entendus mais le général Flynn, principal conseiller du candidat Trump sur le Moyen-Orient et futur conseiller à la sécurité nationale, était de ceux-là. D’ailleurs, lorsqu’il était en poste en Irak et en Afghanistan, l’ancien patron du renseignement militaire avait renoué et développé discrètement des contacts avec les services secrets iraniens afin d’avoir leur soutien en Irak et en Afghanistan, notamment contre les talibans…
Ajoutons que Rex Tillerson, l’ancien PDG d’ExxonMobil, l'une des multinationales pétrolières et gazières les plus puissantes de la planète et futur secrétaire d’Etat (ami par ailleurs de la Russie !), mais aussi James Mattis, l’ancien général des Marines, vétéran de l’Afghanistan et d’Irak et futur secrétaire à la Défense, connaissent très bien la région, même si leurs positions sur celle-ci ont souvent été divergentes par le passé. Toutefois, ils sont tous les deux des pragmatiques et non des idéologues et sur le conflit israélo-palestinien, ils sont au moins d’accord sur un point : la solution à deux Etats… comme finalement David Friedman et ce, malgré ses déclarations en faveur des colonies israéliennes !
Enfin, rappelons aussi que la solution des deux Etats est aussi acceptée par nombre d’Israéliens comme Netanyahu lui-même et beaucoup de responsables militaires. C’est d’ailleurs dans leur propre intérêt, à la fois pour des raisons démographiques et sécuritaires.
Quelles seraient les conséquences d'une telle évolution, pour les premiers concernés (les Israéliens et les Palestiniens) mais aussi pour les Etats-Unis et leurs alliances régionales ? Peut-on considérer que la Russie serait la grande gagnante de la perte d'influence américaine dans la région ?
Grâce à sa politique claire et cohérente dans la région, la Russie a marqué beaucoup de points dans la région depuis ces dernières années. Elle est surtout redevenue une puissance crainte et respectée, avec laquelle il faut dorénavant compter. Même sous l’ère soviétique, Moscou n’avait jamais atteint un tel leadership dans la zone. Assurément, la Russie est en train de s’imposer comme le principal juge de paix au Moyen-Orient.
L’Etat hébreu entretient déjà une profonde coopération commerciale, technologique et militaire avec Moscou. Pour ce qui traite de la lutte contre le terrorisme ou encore depuis l’intervention russe en Syrie, les généraux des deux nations se rencontrent régulièrement… De fait, les Israéliens, sans le dire, voient assurément dans les Russes des alliés potentiels. Par ailleurs, pour certains stratèges israéliens, la Russie représente déjà un partenaire sérieux, fidèle, puissant et cohérent et, qui plus est, susceptible de contrebalancer, ou du moins maîtriser, l’influence de l’Etat phare du chiisme et l’autre puissant allié de la Russie dans la région, l’Iran. Signe des temps, en août dernier, Poutine faisait savoir qu’il était prêt à organiser et accueillir un sommet israélo-palestinien, initiative soutenue par l’Egypte et très bien accueillie à la fois par les Israéliens et les Palestiniens…
Toutefois, la Russie ne peut pour l’instant raisonnablement se substituer à l’allié américain, la seule grande et réelle puissance technologique, financière et militaire dans le monde. Elle demeurera encore longtemps le principal soutien politique et militaire de l’État hébreu.
D’autant plus que, ne soyons pas naïfs, les Etats-Unis ne se détourneront jamais totalement du Moyen-Orient, surtout avec la nouvelle administration… Et au final, si le réalisme revient à l’honneur à Washington et si les promesses de rapprochement avec la Russie pour combattre enfin l’islam politique se confirment, il y aura peut-être un véritable espoir pour la région…
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