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Dans les pas de Schröder ? Pourquoi François Hollande se trompe (ou ment ?) en pensant qu’il lui suffit de réclamer du temps pour réussir des réformes à l’allemande
©Reuters

Mimétisme douteux

Si François Hollande n'a pas les mêmes initiatives politiques que celles de Gerhard Schröder en son temps, c'est – selon lui – car le contexte n'est pas le même. Dans les faits, le manque de volonté de faire bouger les lignes surpasse largement tout le reste.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Lors de sa conférence de presse François Hollande a déclaré : "qu'on ne nous demande pas de faire en cinq ans ce que nos amis allemands ont réalisé en plus de dix ans, dans un environnement plus favorable et sans contrainte de déficit public". Dans quelle mesure l'utilisation de l'exemple allemand par le président de la République est-elle erronée ?

Mathieu Mucherie : L’exemple est correct sur la question de la contrainte budgétaire et macroéconomique. Il est incorrect quant à la chronologie. Les réformes allemandes, c’est 2003-2005 : pas du tout un étalement décennal, et depuis que Merkel est là l’Allemagne n’a pas fait une seule réforme structurelle (plutôt des anti-réformes). Le gros du paquet Hartz aux environs de 2004 est passé assez rapidement, avec bien entendu une diffusion assez lente à l’économie (et d’autant plus lente que la crise de 2008 a bouleversé les données), mais l’impulsion a été plutôt rapide, conformément à la plupart des travaux sur l’économie politique de la réforme qui émettent des doutes sur la probabilité de trains de réformes étalés sur 5 ou 10 ans.    

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La France est-elle en train de mener des réformes du travail semblables à celles qu'avaient entreprises Schröder et Hartz en Allemagne comme le sous-entend François Hollande ?

Pas du tout. Schröder, parce qu’il se savait politiquement proche de la retraite, a tapé là où ça fait mal : la libéralisation du marché du travail ; les jobs à 450 euros/mois, de moindres contraintes pour les licenciements, etc. Chez Hollande, pas question de toucher à la question sensible du coin fiscalo-social au voisinage du SMIC, pas question de toucher au Code du travail, pas question de toucher à la fonction publique ou au coût du travail. Tant mieux d’ailleurs en pleine crise de la demande, si l’on croit un peu dans les vertus des politiques contra-cycliques. Mais en faisant croire qu’on fait des réformes alors qu’on n’en fait pas, on prépare bien mal les Français à ce qui va se passer.

La France tente une (petite) dévaluation interne par une contraction du coût du travail via quelques basculements fiscaux-sociaux en faveur des employeurs (juste après avoir fait l’inverse et juste après une campagne présidentielle qui ne reposaient pas sur ces bases). On est très loin de Hartz IV, sur le contenu, sur la méthode et sur le timing. Le PS ne veut pas être sur la touche pour 20 ans comme le SPD, et n’a pas encore complètement renoncé à l’idée de présenter un candidat en 2017 : pas question de toucher aux rentes des services publics, pas question d’entamer un vaste chantier de libéralisation du marché du travail avec des avancées concrètes sur la convergence CDI-CDD, sur les incitations, sur la retraite, sur le démantèlement des 35h, etc.    

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François Hollande s'est réjoui de l'émergence d'une "démocratie sociale" en France. Si cette dernière est effective en Allemagne, qu'en est-il en France ?

Je n’ai pas vu l’émergence ces derniers mois d’une démocratie sociale en France, je devais être distrait. C’est à ce genre de phrases qu’on voit l’isolement de nos dirigeants, leur vie dans un univers parallèle. A noter que l’adjectif "social" est toujours placé pour phagocyter le reste : comme le disait déjà Hayek, c’est "weasel word", le mot fouine. Par exemple, on voit à peu près à quoi correspond la justice. Mais la justice sociale on ne sait pas bien, nous avons 65 millions de visions différentes de ce concept. De même je crois savoir ce qu’est la démocratie, mais qu’est-ce que la "démocratie sociale" ? "A la française" en plus, j’imagine ? Si c’est "à l’allemande", alors il faut accepter les mini-jobs et l’intrusion de la banque centrale dans les négociations collectives ; c’est d’accord pour tout le monde ?  

Quelles sont les annonces du gouvernement qui prennent néanmoins la même voie que l'Allemagne ?

Tout ce qui va dans le sens malthusien et mercantiliste, la compression des coûts, la déflation pseudo-compétitive. Dieu merci nous n’allons pas très loin dans cette impasse (les dépenses des uns sont les revenus des autres… et on ne peut pas tous être exportateurs nets… ou tous spécialisés sur le haut de gamme…) car notre pouvoir est mou, nos caisses vides, nos syndicats butés et nos patrons trop acoquinés au pouvoir pour aller très loin.    

Plus largement, une réforme à l'allemande serait-elle réalisable au vu du contexte actuel français ?

Probablement non. Le climat déflationniste ne donne aucun grain à moudre pour les employeurs comme pour les employés : l’huile dans les rouages que constitue l’illusion nominale ne lubrifie plus le système quand l’inflation est maintenue coûte que coûte à 0% par la BCE. L’opinion n’est pas prête pour le plombier polonais ou ex-RDA. Nos syndicats financés par l’Elysée et notre presse financée par Bercy ne sont pas prêts non plus. L’euro malgré sa récente baisse est encore trop élevé, alors que 2 ans avant les réformes Schröder l’euro était en dessous de la parité avec le dollar. Tout le monde veut parler des réformes, mais personne ne veut les faire.  

D'ici la fin du quinquennat le gouvernement a-t-il une chance de voir de telles réformes voir le jour ?

Avant les élections ? Ce serait amusant !

Quand rien de sérieux n’émerge des 100 premiers jours d’un nouveau pouvoir dans une démocratie avancée où la cristallisation corporatiste est bien en place et où les rentiers ont des moyens considérables pour se défendre, alors c’est foutu. On peut obtenir des améliorations incrémentales, éventuellement. Et une gestion convenablement honnête du pays et de ses finances, avec de la chance (nous n’avons pas de chance).

Mais la réforme véritable, non : les marges budgétaires pour indemniser les perdants de la réformes ne sont pas là, le couteau sous la gorge des "bonds vigilants" n’existe pas (l’Etat se finance à taux négatifs jusqu’à des maturités de 2 ans, et à 2% sur 20 ans…), le consensus transpartisan n’existe pas (et les extrêmes réunissent 4 électeurs sur 10) ; il n’y a pas la place pour la réforme, il n’y a pas le casting et au fond il n’y a pas la volonté du corps social. On continuera donc à accumuler les rapports administratifs sur les rentes des taxis, des notaires et des pharmaciens, mais on ne touchera à peu près à rien sur le fond, sur la productivité des services publics et sur le dualisme du marché du travail. La ligne de moindre résistance (ou de fuite ?) consiste à suivre la rhétorique allemande et la pratique belge, jusqu’à ce que ça saute, et nous n’y sommes manifestement pas.

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