Dans le piège de Bachar : pourquoi nous n’aurons pas d’autre choix que de renouer des liens avec el-Assad<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre des affaires étrangères syrien a déclaré que son pays était prêt à une "coopération" et à une "coordination avec la communauté internationale".
Le ministre des affaires étrangères syrien a déclaré que son pays était prêt à une "coopération" et à une "coordination avec la communauté internationale".
©Reuters

Dilemme moral

La résolution de la crise en Irak nécessite de faire des choix parfois cornéliens. Entre un dictateur suspecté d'avoir enfreint la législation internationale en utilisant des armes chimiques et un groupe de terroristes djihadistes, le dilemme moral se pose pour les Occidentaux.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Lundi 25 janvier, le ministre des affaires étrangères syrien a déclaré que son pays était prêt à une "coopération" et à une "coordination avec la communauté internationale". Alors que Barack Obama subit de plus en plus de pression de la part de l'opposition républicaine qui l'accuse d'avoir perdu le Moyen-Orient, et que les soutiens locaux se limitent à un dictateur et à un groupe terroriste, les occidentaux en sont-ils arrivés à l'heure du choix ?

Fabrice Balanche : Le ministre des Affaires Etrangères Walid Moualem a salué la résolution 2170 du conseil de sécurité de l’ONU sur la lutte contre le terrorisme, en particulier l’Etat Islamique et le Front Al Nosra, tout en soulignant qu’elle a été prise avec retard. Il sous entend ainsi que les pays occidentaux et l’ONU ont mis du temps à se convertir aux vues de Damas : Bachar el Assad n’avait-il pas prévenu les pays qui soutenaient la révolte en Syrie au printemps  2011 par cette phrase : "voulez vous transformer la Syrie en un nouvel Afghanistan ?". Walid Moualem savoure cette résolution qui oblige les Occidentaux à combattre les ennemis du régime syrien et résoudre à laisser Bachar el Assad au pouvoir. Quelle différence par rapport à août 2013 où la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis envisageaient une intervention militaire en Syrie.

Après plus de trois ans de conflit, l’opposition syrienne qui promettait tous les trois mois la chute imminente du régime syrien s’est complètement décrédibilisée. L’opposition politique est confortablement installée à Istanbul et à Gaziantep, siège d’un gouvernement provisoire fantoche sous perfusion du Qatar encore pour quelques mois. Elle est divisée, coupée de la population syrienne et avec l’opposition militaire. La rébellion armée fréquentable pour les Occidentaux se réduit à quelques centaines de combattants de la défunte Armée Syrienne Libre. Il existe également des centaines de groupes armées islamistes divisés et concurrents qui ne se fédèrent provisoirement pour obtenir des subsides saoudiens, comme ce fut le cas en novembre 2013 avec la création du Front Islamique. Ces groupes d’insurgés sont en recul sur tous les fronts, face à l’armée syrienne et l’Etat Islamique, y compris le Front al Nosra, dont les combattants le rejoignent. Désormais ils ont le choix entre prêter allégeance à l’Etat Islamique, se réfugier à l’étranger ou se mettre sous la protection de l’armée syrienne pour ne pas être éliminé par l’Etat Islamique.

Dans ces conditions, il est inutile pour les occidentaux de penser à une alternative crédible au régime actuel : c’est Assad ou le chaos. Mais un chaos contagieux puisque toute la région est menacée par l’Etat Islamique : Syrie, Irak, mais aussi Jordanie et Liban. Cela signifie des millions de réfugiés supplémentaires à la charge de la communauté internationale et dont une partie prend le chemin de l’émigration clandestine vers l’Europe. Les menaces sur la production pétrolière irakienne, après la chute de la production libyenne, risquent de provoquée une remontée des cours du brut préjudiciable à l’économie mondiale. La déstabilisation de l’Irak, le drapeau noir d’Al Qaïda sur Fallouja et la décapitation de James Foley interpellent le public américain qui a l’impression d’un immense gâchis après 8 ans d’intervention en Irak qui a couté la vie à plus de 4000 soldats américains.

Ce n’est pas l’heure du choix qui est arrivée mais celle de la raison. La realpolitik s’impose de nouveau après trois années de diplomatie émotionnelle qui pensait être dans le sens de l’histoire. Officiellement, il n’est toujours pas question de collaborer avec Bachar el Assad, mais en pratique cela se produit déjà. Les Etats-Unis sont certes plus en avance que la France qui se drape toujours dans la défense des droits de l’homme, mais c’est tous simplement parce que nous sommes hors jeu dans la région désormais.

De nombreuses rumeurs circulent sur la stratégie de Bachar el Assad de s'imposer comme l'ultime rempart de la région contre les djihadistes, en témoigne les propos de l'ancien diplomate syrien Bassam Barabandi. Egalement, le flou régnant autour de James Foley, qui aurait été capturé en premier lieu par les forces loyalistes syriennes, et livré aux islamistes de l'EIIL comme une opportunité de montrer leur atrocité au monde. Comment décrypter la situation du point de vue syrien ?

Lorsque James Foley a été enlevé, fin 2012, l’opposition syrienne a accusé le régime syrien. Le Front Al Nosra et l’Etat Islamique seraient également des créations de Bachar el Assad d’après elle : il aurait pour cela dès le printemps 2011 libérer de ses prisons les dirigeants de ces deux groupes, selon le plan machiavélique de créer un groupe terroriste qui diviserait et éliminerait "l’opposition démocratique". Tout cela n’est que de la propagande, l’Etat Islamique est né en Irak de la lutte contre les forces d’occupation américaines, certains prisonniers libérés ont rejoint des groupes rebelles, mais pro-saoudiens, et James Foley a été enlevé par des membres d’Al Nosra, à une époque où ce groupe et l’Etat Islamique ne faisait qu’un. Pour l’opposition syrienne en exil, il ne pouvait pas y avoir de djihadistes en Syrie, tous les rebelles se battaient pour la démocratie et la liberté contre un dictateur sanguinaire.

Les attentats suicides et les exactions ne pouvaient venir que du régime, tout comme la mort du journaliste de France 2, Gilles Jacquier, tué par un obus de mortier à Homs en janvier 2012 tiré par les rebelles. Le régime syrien n’a pas besoin de pousser les djihadistes à commettre des atrocités, ils sont tout à fait capables d’en prendre l’initiative. Est-ce le régime syrien qui a manipulé Mohamed Merah et Mehdi Nemouche ?

Quels bouleversements géopolitiques une telle alliance pourrait entraîner dans la région ?

La lutte contre l’Etat Islamique a pour conséquence majeure de renforcer le rapprochement entre l’Iran et les Etats Unis au détriment de leur alliance avec l’Arabie Saoudite, accusée d’avoir contribué au renforcement du terrorisme islamique dans la région, tant elle est obsédée par la lutte contre l’Iran. Cela va conduire les Saoudiens à s’émanciper davantage des Etats Unis ont-ils n’ont plus confiance, d’autant que l’Arabie Saoudite n’a guère appréciée la façon dont Barak Obama a abandonné Hosni Moubarak et favorisé les visées géopolitiques du petit Qatar.

L'Iran est le principal allié du régime pro-Assad. En février de cette année, une délégation de patrons français s'est rendue à Téhéran pour poser les jalons d'une future coopération économique entre les deux pays. A quel point les enjeux commerciaux ont-ils une influence sur les choix actuels ? Dans quelle position cela nous porte-t-il vis-à-vis de nos alliés américains ?

L’Iran est un immense marché de 80 millions d’habitants, riche en hydrocarbures, donc solvable, mais dont l’économie tourne au ralenti et les infrastructures se dégradent depuis 1979, date de la révolution islamique. Les iraniens ont beaucoup de considération pour la France, ils appréciaient son  indépendance diplomatique vis-à-vis des Etats Unis. Mais désormais, ils considèrent que la France n’est plus qu’un pays vassal des Etats Unis, qui a vendu son âme aux pétromonarchies du Golfe en échange de quelques contrats. Néanmoins les Iraniens demeurent francophiles, ils apprécient l’ancienneté et la grandeur de notre civilisation, se souviennent des liens ancestraux qui unissaient la France et l’Empire perse.

Alors que la levée des sanctions économiques contre l’Iran est imminente, en raison du gel de son programme nucléaire, le Quai d’Orsay renâcle à l’idée de coopérer de nouveau avec Téhéran. Le voyage du MEDEF en Iran, en février dernier, a failli être annulé sous les oukases de Laurent Fabius. Il fallu que Pierre Moscovici, ministre de l’économie, mais aussi député de Montbéliard, fief de Peugeot, insiste auprès de François Hollande pour le voyage des patrons français puissent avoir lieu. Les Etats Unis protestèrent vivement, au prétexte qu’il était trop tôt pour renouer avec Téhéran, mais surtout parce qu’ils n’ont pas l’intention de laisser les Français et autre concurrent profiter de l’ouverture du marché iranien.

La France est dans une position délicate au Moyen-Orient, si elle entretient une forte coopération économique avec l’Iran, elle sera sanctionnée par l’Arabie Saoudite. Or le royaume est notre principal client en matière d’armement dans la région, suivi par le Qatar. Ces deux pays pourraient décider de se fournir ailleurs. Le Qatar a d’ailleurs négligé de nous commander des avions rafales, lors de la visite de l’Emir du Qatar à Paris, ce qui est normal puisqu’il a moins besoin de la France pour porter la parole de son pays au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et appuyer ses alliés en Libye et en Syrie. Désormais, les Qataris ont davantage besoin d’un appui américain contre l’Arabie Saoudite, ce qui explique qu’ils passent commande d’avions américains.

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