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Eric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice, lors d'une conférence de presse.
Eric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice, lors d'une conférence de presse.
©BERTRAND GUAY / AFP

Manque de moyens

Alors que les plaintes s’entassent dans les com­missariats de France, la justice est de plus en plus démunie pour répondre aux attentes des citoyens et pour endiguer la délinquance.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Dans ses époustouflantes 0rigines de la France contemporaine - une grandiose érudition et le style des Trois Mousquetaires - Hippolyte Taine définit à merveille l’essence d’un gouverne­ment : « Un concert de pouvoirs qui, chacun dans un office distinct, travaillent en­semble à une œuvre finale et totale. Que le gouvernement fasse cette œuvre, voilà tout son mérite ; une machine ne vaut que par son effet. Ce qui importe, ce n’est pas qu’elle soit bien dessinée sur le papier, mais qu’elle fonctionne bien sur le terrain. En vain, les constructeurs allègue­raient la beauté de leur plan et l’enchainement de leurs théorèmes ; on ne leur a de­mandé ni plans ni théorèmes, mais un outil ». Le problème dans la France de 2023, c’est qu’au concert-Macron, l’instrument crucial de la justice est hors d’usage et qu’au-delà, l’attelage ré­galien qu’elle de­vrait former avec l’intérieur, trébuche.

Certes, l’héritage que M. Dupond-Moretti a reçu de la pauvre Mme Belloubet n’a rien d’un ca­deau. Son grand-œuvre, les « Cours criminelles départementales » (CCD) censées libé­rer les Cours d’assises de la moitié de leurs charges, en temps et côté finances, ont été testées deux ans durant, dans 15 départements. Tout ça pour ça ! Gains de temps minime (12% envi­ron) et « pas de résultats probants sur la réduction des coûts ». En prime, une éruption de plus dans une justice déjà accablée. Alors que, côté assises, le pire est devant nous : au premier se­mestre 2022, les tueries entre bandits ont bondi de + 25%. Donc, bientôt, plus de procès d’as­sises encore, du fait de ces « règlements de comptes » dont l’agité M. Dar­ma­nin est le témoin impuissant.

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Autre drame, côté « Concerts de pouvoirs », comme disait Taine : en pleine cacophonie, le Conseil constitutionnel et la justice, infichus de s’accorder, privent les douaniers de l’essentiel article 60 de leur code (épargnons au lecteur l’embrouille juridique). Résultat, en décembre, sur l’autoroute A4, une saisie de 2,3 kilos de cocaïne annulée par la justice, les trafiquants re­partant libres, sans poursuites ni condamnation. Des douaniers désavoués, humiliés et im­puis­sants - quand la douane assure près de 80% des saisies de stupéfiants, face aux fu­tiles « pi­lon­nages » policiers de M. Darmanin.

Venons-en au pire : les prisons. Pour ses gardiens, celle de Saint-Quentin-Fallavier est « un im­mense coffee-shop » (allusion aux fumeries de hasch d’Amsterdam). On y a saisi en 2022 - lisez bien - 128 litres d’alcool, 738 téléphones portables, 30 kilos de stu­pé­fiants, 37 couteaux, des bouteilles d’acide et d’essence. Dans la « prison-modèle » de Mul­house-Lutterbach, traî­nent d’indétectables (aux portiques) poignards en céramique ; on y a saisi jusqu’à un kilo de co­caïne... Ainsi de suite, dans des prisons où bien sûr, ces saisies sont une fraction de ce qu’on y infiltre. Sur une seule prison, en un an, le syndicat UFAP-UNSA-Pénitentiaire dénonce ± 5 500 jets de colis, 17 par nuit, la moitié livrés à bon port. Et désor­mais, outre les jets de colis, des drones alimentent les détenus !

Récemment, M. Dupond-Moretti promet : des moyens ! Du personnel ! Des ré­formes ! Mieux et plus vite. D’usage plus enthousiaste, son fan-club médiatique parle évasivement de « grandes ambitions » ; les barreaux et syndicats professionnels de justice demandent à voir. On comprend leur réserve et voici pourquoi.

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MM. Dupond-Moretti et Darmanin affrontent au quotidien des situations graves - cités et pri­sons incontrôlées, tueries entre bandits, inondation de cocaïne en Europe. Inondation ? Au seul port d’Anvers, 110 tonnes de cocaïnes saisies en 2022 ; donc (au vu du pourcentage des saisies) plus de 800 tonnes (huit cent mille kilos) de cette drogue livrées aux caïds du narcotra­fic européen, no­tamment en France. Et, des Pays-Bas à l’Espagne, bien d’autres ports d’Eu­rope subissent aussi le tsunami de cocaïne (exemple, Rotterdam 2022, 52 tonnes saisies).

Enfin et pire que tout, à la jonction de l’Intérieur et de la justice, UN MILLION de plaintes en souffrance dans nos com­missariats - des centaines de milliers de victimes délaissées.

En accord au moins là-dessus, MM. Dupond-Moretti et Darmanin ne répondent à ces dangers bien présents que par des promesses pour l’avenir, type « demain, on rase gra­tis ». Le ministre veut... Il va... Se propose... Envisage... Chantiers... Perspectives... D’ici à 2027... Petit saupou­drage de-ci de-là... Rappelons la vacherie de Clémenceau « On reconnaît un discours de M. Jaurès à ceci que les verbes y sont toujours au futur ». Pareil pour nos mi­nistres : ils pro­met­tent à jet continu, mais tiennent peu.

La réalité : MM. Dupond-Moretti et Darmanin n’impressionnent pas des malfaiteurs ; l’air fu­rieux de l’un, les balivernes chiffrées de l’autre, les laissent impa­vides. Oublions les exotiques bandits sanctuarisés dans leurs quartiers coupe-gorge : ces deux mi­nistres font rigoler jusqu’à nos fort indigènes cas sociaux et brutes épaisses.

Début janvier, le tribunal de Belfort juge l’usuel ivrogne ayant cogné sa fa­mille puis les poli­ciers venus l’arrêter. En mode grande gueule, il jette aux magistrats « Je m’en fous complète­ment de la prison... Je suis nourri-logé aux frais de la princesse, je ne paie pas l’élec­tricité et j’ai BeIN Sport ». Puis jette à une femme dans la salle « Ne t’in­quiète pas, un an ce n’est rien. Dans six mois, je suis dehors ! ».

Telle est la Vox Populi, s’agissant de ce que les précieuses-ridicules-Bobo nomment gracieu­se­ment « Lieux de privation de liberté ». Les plaintes n’ont pas fini de s’entasser dans les com­missariats de France.

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