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D’où vient l’étrange et furieuse envie des physiciens de croire en l’existence d’univers parallèles
©DR

La guerre des théories

Ce n'est pas de la science-fiction, c'est de la science tout court : la multiplicité d'éventualités auxquelles nous sommes confrontés tous les jours pourraient générer autant de réalités parallèles... Les scientifiques les plus éminents tentent d'y voir plus clair.

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau est professeur à l’Université Joseph Fourier, membre de l’Institut Universitaire de France et chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS.

Il a publié en mars 2013 Big Bang et au-delà - Balade en cosmologie (Ed. Dunod) qui explique, dans un langage clair et accessible, les dernières découvertes en cosmologie, et des Univers multiples paru chez Dunod en 2014.

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Atlantico : L'existence des univers parallèles agite la communauté scientifique internationale. En quoi cette question est-elle essentielle dans notre compréhension de la matière ?

Aurélien Barrau : La question de l’existence d’une éventuelle multiplicité d’univers est effectivement en train de devenir une question réellement scientifique. C’est un tournant très intéressant. Cette possibilité fut évoquée tout au long de l’histoire de la philosophie : chez Anaximandre, Épicure, Lucrèce, Bruno, Rabelais, Leibniz, Lewis, Goodman et beaucoup d’autres. Mais depuis peu elle devient également scientifique. Plusieurs circonstances ou théories laissent entrevoir la possibilité de l’existence d’univers multiples. Ces différents chapelets d’univers sont d’ailleurs compatibles les uns avec les autres, donnant éventuellement naissance à une structure gigogne (en poupées russes) de mondes imbriqués !

L’enjeu de ce « multivers » est triple :

- d’abord, naturellement, il s’agirait d’une révolution, comparable à la révolution copernicienne, dans notre représentation du Cosmos.

- ensuite, contrairement aux apparences, la proposition est pour l’essentiel expérimentalement ou observationnellement testable.

- enfin, d’un point de vue pratique, pour évaluer la pertinence de certaines théories au sein même de notre univers, l’existence d’autre univers peut changer radicalement les conclusions. Ce n’est donc pas qu’une proposition métaphysique.

Au-delà de cette importance évidente à l’échelle cosmologique, c’est aussi une question qui peut être signifiante pour la compréhension de la matière puisque la mécanique quantique, qui la décrit, est également potentiellement génératrice d’univers parallèles.

Quelles différences y-a-t-il entre objet quantique et un autre ?

La mécanique quantique est une de nos théories essentielles et fondamentales. Elle est indispensable à la description du monde microscopique et fonctionne remarquablement bien. Elle nous apprend qu’à petite échelle le monde est « discontinu », qu’il faut renoncer au déterminisme au profit d’une dose de hasard et que les particules élémentaires sont comme douées d’ubiquité.

Un objet quantique se trouve donc, si l’on peut dire, à plusieurs endroits en même temps. Il est régi par des lois qui n’ont rien à voir avec celles dont nous sommes coutumiers ! Et ces lois étranges sont pourtant vérifiées par l’expérience avec une précision sidérante.

Plus d'une dizaine de théories sont actuellement considérées comme valables pour expliquer le lien entre physique quantique, valide pour apprécier l'infiniment petit, et physique classique de la matière. Pourquoi la Théorie de Copenhague est-elle si commode entre les autres ?

Pour être précis, il s’agit davantage d’interprétations de la même théorie que de théories réellement différentes.

L’interprétation dite de Copenhague, est la plus « évidente ». Elle suppose que lors d’une mesure opérée sur un système quantique, se produit un phénomène complexe nommé « effondrement de la fonction d’onde ». Ce processus est mathématiquement disgracieux et conceptuellement coûteux. Mais il permet effectivement d’expliquer ce qu’on observe.

Quels éléments tangibles permettent de croire en la théorie d'Everett ?

L’interprétation d’Everett, au contraire de celle de Copenhague, suppose que lors de l’interaction d’un système quantique avec un système classique (ceux dont nous faisons l’expérience quotidienne), s’effectue un embranchement en univers parallèle ! Le système quantique qui était dans deux états à la fois, se trouve placé dans un état bien déterminé dans un univers et dans l’autre état au sein d’un autre univers ! Pour reprendre l’exemple fameux : le chat de Schrödinger serait donc vivant dans un monde et mort dans un autre. Suivant cette interprétation les univers parallèles pulluleraient : à chaque interaction de ce type – et il y en a un nombre incalculable à chaque instant –, un nouvel univers serait créé.

Il n’y a aujourd’hui aucune indication claire en faveur de cette vision (ni en faveur de celle de Copenhague). Mais elle rallie à sa cause beaucoup de physiciens (en particulier de théoriciens) parce qu’elle est mathématiquement beaucoup plus simple et plus belle que celle de Copenhague.

Pour autant, vous avez récemment imaginé une manière de la vérifier. En quoi consiste-t-elle concrètement ?

Une idée répandue chez les physiciens est qu’il est impossible de trancher expérimentalement entre ces deux interprétations. J’ai en effet récemment montré que c’est inexact. La cosmologie, la science de l’Univers, pourrait permettre de savoir laquelle est correcte.

L’idée est assez simple. Si l’on en croit l’interprétation de Copenhague, il n’y a qu’un seul univers. Au contraire, dans l’interprétation de Everett, chaque éventualité est réelle quelque part. Un monde qui aurait une faible probabilité d’existence, et que la vision de Copenhague considérerait donc comme improbable, pourrait à l’inverse devenir très probable dans la vision de Everett s’il contient beaucoup d’observateurs.

Sans entrer dans les détails, disons qu’il est tout à fait possible que l’interprétation de Everett et ses mondes multiples donnent des prédictions différentes de celle de Copenhague avec un monde unique. C’est une hypothèse réfutable.

A quel moment pourrions-nous réaliser cette expérimentation ? Qu'est-ce qui nous empêche de le faire ? 

En fait le problème est moins celui d’une expérience à réaliser que d’une amélioration de nos modèles pour les confronter avec l’Univers que nous observons. Pour pouvoir faire ce test, il faudrait que nous soyons capables, dans le cadre d’un modèle admis de cosmologie quantique, de calculer toutes les probabilités avec une grande précision. C’est possible en principe mais il faut avouer que nous en sommes encore loin en pratique…

Mais l’histoire des sciences nous invite, en contrepoint d’une modestie de principe, à être aventureux dans nos objectifs !

Y a-t-il d’autres formes d’univers multiples plus accessibles que ceux de la mécanique quantique ?

Oui, absolument !

La théorie de l’inflation cosmologique, par exemple, qui prédit une augmentation considérable des distances juste après le Big Bang et est aujourd’hui bien corroborée par les observations, produit une forme de multivers. Elle génère presque automatiquement une structure en univers-bulles ! Dans des approches plus spéculatives (comme la théorie des cordes), il se peut que ces univers-bulles soient eux-mêmes structurés par des lois différentes …

La gravitation quantique à boucles, théorie importante pour concilier la relativité d’Einstein avec la mécanique quantique, génère quant-à-elle une sorte de multivers « temporel » : les mondes se succèdent dans le temps.

Cela ouvre-t-il des perspectives philosophiques particulières ?

Je pense en effet que cette question des univers multiples a d’importantes résonnances. Elle oblige à s’interroger sur ce que nous attendons de la science. Elle montre qu’une physique sans métaphysique n’a finalement aucun sens. Elle tisse des liens avec d’autres champs cognitifs.

Peut-être sera-t-elle aussi l’occasion de faire cesser quelques remarques insensées comme : « mais ce n’est qu’une théorie » ou « cette théorie est-elle prouvée ? ». En effet, tout notre savoir est théorique et être une théorie n’est évidemment pas une faiblesse ! A contrario, aucune théorie scientifique n’a jamais été et ne sera jamais prouvée, c’est justement ce qui fait sa scientificité…

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