Crises financières : ne vaudrait-il pas mieux laisser les capitaines de la finance couler avec leur navire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Aucune organisation ne devrait être considérée comme trop importante pour faire faillite."
"Aucune organisation ne devrait être considérée comme trop importante pour faire faillite."
©Reuters

Bonnes feuilles

Depuis peu, nous sommes entrés dans le temps de l’accélération des crises et des ruptures : économiques, sanitaires, écologiques, financières, politiques, sociales, stratégiques... Avec une nouvelle interrogation, urgente à résoudre : les crises peuvent-elles réellement se prévoir ? Extrait de "Prévenir les crises" (2/2).

Commençons par notre conclusion, qui est une simple recommandation politique difficile à mettre en pratique mais qui a tout de même toujours fait partie de l’histoire jusqu’à récemment. Nous pensons que les systèmes complexes devraient obéir à la logique du « moins, c’est plus » et que des règles et protocoles simples sont indispensables à la résolution des problèmes complexes puisque des règles élaborées mènent souvent à de multiples effets secondaires, euxmêmes pouvant avoir des effets de premier ordre. Dès lors qu’il est question de prévision financière, plutôt que de recourir à des milliers de pages de régulations, appliquons plutôt ce principe simple avec les intérêts en jeu : le capitaine coule avec son navire (chaque capitaine et chaque navire). En d’autres termes, toute personne ayant connaissance des avantages d’une situation devrait également partager les inconvénients de ladite situation, en particulier lorsque cela peut nuire à autrui. Alors que ce principe semble simple à appliquer, dans le monde financier, nous nous en sommes considérablement éloignés, notamment dans les organisations financières considérées comme « trop importantes pour faire faillite ».

(...)

L’augmentation des risques cachés, associés à une faible probabilité et à d’importantes conséquences sur tous les aspects de la vie économique, fut l’un des principaux vecteurs de la crise financière actuelle. La valeur de ces risques extrêmes n’a pas pu (et ne peut pas) être évaluée de manière fiable, que ce soit de manière mathématique ou pratique. En réalité, les institutions financières ont accumulé des expositions au risque jusqu’à une zone appelée quatrième quartile. Dans cette zone, le risque change de nature. Ses probabilités d’occurrence sont de plus en plus faibles mais ses conséquences augmentent exponentiellement. Les erreurs deviennent alors importantes et impossibles à évaluer. La vulnérabilité des institutions face à ce type d’erreur est très grande. Par exemple, les importantes proportions d’obligations adossées à des actifs, qui avaient reçu la note « AAA », ont été une source importante de pertes pour les institutions financières. Pourtant, elles semblaient présenter un « historique » apparent de profitabilité sans trop de risques ou de volatilité réalisés. On a supposé qu’elles possédaient effectivement zéro probabilité de défaillance et donc, aucun capital de réserve n’avait été requis pour contrer le risque de défaillance. Ces produits ont été conservés ou acquis par des banques et d’autres institutions financières. De telles tranches d’actifs, qui d’ordinaire génèrent des retours importants, ont été enregistrées dans les portefeuilles de transaction des banques afin d’éviter des charges de capital excessives (pouvant s’élever à des milliards). Or, dans le quatrième quartile, lors d’événements incertains, les pertes dépassent largement les éventuels bénéfices à court terme. Comme de plus en plus d’organisations se sont retrouvées exposées de façon similaire, l’interconnexion des expositions au risque à travers les classes d’actifs et les institutions financières a eu des effets virulents sur le prix des actifs.

La dissimulation du risque extrême

La mauvaise compréhension de notions élémentaires en matière de probabilité de profits tout au long du cycle économique a permis de maintenir une asymétrie régulière entre les dirigeants, les actionnaires et les clients, et aux dirigeants des organisations soi-disant trop importantes pour faire faillite de dissimuler des risques extrêmes qu’ils faisaient encourir à leurs actionnaires et clients. Ainsi, le public manque souvent de remarquer qu’un dirigeant rémunéré sur les bénéfices n’est jamais réellement rémunéré en tant que tel, comme cela est souvent présenté. Dans tous les cas, il n’est jamais rémunéré de la même manière qu’un propriétaire d’entreprise dans la mesure où, même en cas de profits négatifs, il sera tout de même payé alors que le propriétaire lui, perdra de l’argent. Cette asymétrie est aussi appelée « l’option du dirigeant », ou « l’option gratuite », car elle fonctionne exactement comme une option d’achat sur une entreprise accordée aux dirigeants par les actionnaires quasiment à titre gratuit. Que l’entreprise perde ou gagne, le dirigeant gagnera toujours !

Ainsi, grâce au sauvetage financier de 2008-2009 (plan Paulson), les banques ont pu puiser dans les fonds publics pour générer des bénéfices et se sont largement indemnisées au passage. Elles ont réussi à convaincre le public et le gouvernement que cette indemnisation était justifiée par les bénéfices qu’elles apportaient ainsi aux portefeuilles des particuliers, mais elles ont occulté aussi le fait que le public aurait été le seul à payer dans l’éventualité de pertes résultant de ce pari. Les décideurs politiques ignorent en revanche beaucoup moins qu’un dirigeant rémunéré sur la base d’un salaire annuel, peu incité à maximiser les profits. Sa motivation peut donc être de retarder au maximum l’annonce de pertes afin de pouvoir accumuler suffisamment de bonus avant une éventuelle « explosion », pour laquelle il n’aura de toute façon rien à rembourser. Une fois encore, ce fonctionnement a conduit à toute une série de paris asymétriques (grande probabilité de petits bénéfices, petite probabilité de grandes pertes), effectuée en dehors de toute estimation de probabilité raisonnable. Toutes ces asymétries deviennent d’autant plus pernicieuses lorsque les risques réponde nt à un effet de « queue épaisse », c’est-à-dire dans des contextes présentant des probabilités plus fortes d’apparition de phénomènes extrêmes (superprofit ou superpertes).

Extrait de "Prévenir les crises - Ces Cassandres qu'il faut savoir écouter", Thierry Portal et Christophe Roux-Dufort, (Armand Colin Editions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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