Crises en série : l’Union européenne, cette construction politique d’une résilience à toute épreuve<!-- --> | Atlantico.fr
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Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir » aux éditions Télémaque.
Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir » aux éditions Télémaque.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Klossa publie « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation européenne » aux éditions Télémaque. L'Union européenne a pris une place inattendue dans la campagne présidentielle. Critiques vis-à-vis de l'Union, les Français ne veulent pourtant pas sortir de la monnaie unique, ni même se passer de nombreux bénéfices auxquels ils sont massivement attachés. Extrait 2/2.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Survivre au tourbillon de l’histoire

Le temps de la civilisation européenne et celui de l’intégration européenne ne sont pas les mêmes. L’un est multimillénaire, tandis que l’autre se compte encore en décennies. Mais, par une sorte d’accélération de l’histoire, les deux lignes semblent aujourd’hui se rejoindre.

Aux yeux de nombreux observateurs extra- européens, l’accumulation des crises qui se succèdent depuis le tournant du millénaire aurait dû avoir raison de l’Union européenne. Prix Nobel d’économie, Krugman a prophétisé la fin de l’euro, démontrant une fois encore qu’une certaine gauche américaine, à vouloir appréhender l’Union uniquement à travers la rationalité économique et l’expérience américaine, ne détient pas forcément les clés pour comprendre l’Europe. Kishore Mahbubani, grand homme d’État de Singapour et théoricien de la montée en puissance de l’Asie, considère que l’Union est aujourd’hui dépassée en puissance et en pertinence par la Chine et les valeurs asiatiques. Dirigeants chinois, élites américaines, oligarques russes, intellectuels asiatiques, économistes, géopoliticiens et leaders politiques s’acharnent depuis un quart de siècle à pronostiquer la mort par épuisement du projet européen. Certains, de Trump à Poutine, voire Johnson, n’hésitent pas à apporter leur contribution personnelle pour affaiblir l’Union.

De l’intérieur aussi, l’épuisement guette. Même les partisans du projet européen, au moins depuis les échecs des référendums français et néerlandais de mai et juin  2005 portant sur le projet de Constitution pour l’Europe, n’ont cessé de porter le discours ambivalent du « oui, mais ». « L’UE sera formidable quand… » on en aura changé les règles, changé les institutions, changé les politiques, changé le personnel, expliquant sans cesse qu’il faut refonder l’Union ou la changer radicalement. Tout en passant sous silence ce qui a été bâti depuis des décennies, en faisant la fine bouche sur le succès sans précédent historique que représente la construction européenne.

Les succès de l’Europe, après tout, ce sont les autres qui en parlent le mieux : en 2016, le président Obama avait décrit l’Union européenne comme « l’un des plus grands succès politiques et économiques qui soient », appelant justement les Européens à en prendre conscience, à ne pas avoir peur de la défendre et à faire preuve d’une fierté justifiée.

Cependant, sous le poids des crises, l’Europe doute. Polarisation des opinions, fragmentation des sociétés, poussées déstabilisantes des populismes, inégalités économiques, atermoiements démocratiques, indécisions stratégiques, contradictions sur les valeurs, sans oublier les provocations plus ou moins hostiles sur le voisinage, les Européens ne semblent percevoir d’eux- mêmes que leurs faiblesses et leurs insuffisances.

De fait, ces dernières années, deux crises majeures auraient pu conduire à l’effondrement de l’UE. Au lendemain du référendum victorieux pour le Brexit, le 24 juin 2016, Nigel Farage, le Brexiter en chef, avait fanfaronné que la sortie de son pays hors de l’Union s’accompagnerait d’un irrésistible effet domino. Polexit, Grexit, Nexit, Dexit, Italexit, Frexit, le bal des crises européennes, comme le décrivent Richard Robert et Élie Cohen, aurait pu tourner tragiquement à la mort de l’Union.

Plus récemment encore, la grande pandémie a réveillé les doutes d’une Union européenne émergeant à peine de la crise des dettes souveraines qui avait failli l’emporter. Dès les premiers mois de l’année  2020, nous étions quelques-uns à penser que cette épidémie qui se répandait à grande vitesse serait une sorte de crash test pour l’Union. Alors que les réactions de nos gouvernants donnaient le sentiment d’un chaos généralisé et d’un réflexe nationaliste, même parmi les chefs d’État et de gouvernement réputés parmi les plus rationnels et les plus modérés.

« La solidarité ou la mort ! », alertait Jacques Delors, nonagénaire à la parole rare et vive, et figure tutélaire de l’esprit européen contemporain.

De fait, la solidarité a prévalu. Dans ce cas comme dans l’autre, l’Union a tenu. Comme elle a tenu face aux violentes crises qui ont jalonné ce début du millénaire. Car la division ne cesse de menacer l’Union. Les crises se succèdent d’ailleurs à un rythme infernal : guerre américaine en Irak de 2003-2004, crise institutionnelle profonde causée par les « non » français et néerlandais de 2005, confrontations entre États membres et révoltes des populations lors de la crise économique et financière et ses conséquences sur la zone euro, déstabilisation par le printemps arabe de 2011, crise de l’euro qui a suivi, qui aurait dû tuer la monnaie unique et a nourri des débats sans fin sur la sortie de la Grèce, crise de l’accueil des réfugiés syriens, vagues d’attentats islamistes, poussées populistes, crispations identitaires qui ont ravivé populismes et nationalismes… jusqu’à la guerre aux frontières orientales de l’Union.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà maintenant une décennie que les puissances voisines de l’Union mais aussi celles plus lointaines viennent tester continuellement la résilience de l’Union et la résistance des Européens. L’accélération du recentrage des États-Unis sur leurs intérêts par l’administration Trump et poursuivi par Biden déstabilise nos réflexes transatlantiques. Le Royaume- Uni de Johnson a toujours le projet de nous diviser pour obtenir de nouvelles concessions. La Russie de Poutine ne demande qu’à nous neutraliser, voire nous « finlandiser », pour reprendre les propos de l’écrivaine finlando-estonienne Sofi Oksanen. Quant aux trois puissances asiatiques, elles affichent chacune une intention claire et distincte : La Chine de Xi Jinping veut nous instrumentaliser, l’Inde de Modi nous concurrencer et la Turquie d’Erdoğan nous rançonner.

Au-delà des États, se trouvent aussi ces « nouvelles entreprises coloniales » (dont la sénatrice française Catherine Morin-Desailly a eu, la première, l’intuition) que sont les GAFA, inscrits dans la lignée de leurs illustres prédécesseurs européens partis à la conquête des Indes orientales au XVIe  siècle. Ces Big Tech dont la puissance ne cesse de croître sont désormais expertes en captation de valeurs économiques, de talents humains, de ressources financières et de déstabilisation des tissus industriels et démocratiques. Sous leur influence, ce sont les fondements de notre société européenne qui sont directement fragilisés : la démocratie libérale et l’économie sociale de marché. C’est aussi la mise en place progressive d’un capitalisme de surveillance, contraire aux valeurs européennes de liberté et d’autonomie de la personne humaine, dimension majeure de la dignité des individus. Bref, le cauchemar d’une démocratie algorithmique.

Tensions internes et pressions externes. À en écouter ses détracteurs et ses ennemis, l’UE aurait dû céder.

Et pourtant, elle tient.

Pour retrouver l'entretien de Guillaume Klossa publié sur Atlantico, à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage, cliquez ICI

A lire aussi : Auschwitz et la Kolyma, ces traumatismes qui font tellement douter l’Europe de sa civilisation

Extrait du livre de Guillaume Klossa, « Fierté européenne Manifeste pour une civilisation d'avenir », publié aux éditions Télémaque

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