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Crise identitaire : l’aveuglement de la gauche nuit gravement à la sécurité nationale
©Reuters

Fermer les yeux rend aveugle

Voilà un tabou que la gauche aurait préféré ne jamais avoir à briser. La question de la fracture identitaire, lancinante depuis près d’une décennie et qu’elle a longtemps tenté d’évacuer, est revenue comme un boomerang à la faveur des attentats commis vendredi 13 novembre, ainsi qu’en janvier dernier, par des terroristes de nationalité française. Après avoir manqué le rendez-vous de l’ « après-Charlie », la gauche ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une profonde remise en question sur un sujet déterminant pour l’avenir de notre société.

Anthony Escurat

Anthony Escurat

Anthony Escurat est directeur des études de Nouveau Cap (think tank du MEDEF). Il est l'auteur de « Fiscalité locale des entreprises : un échec français » pour Nouveau Cap (mars 2019, 156 pages) et de « Le lobbying : outil démocratique » pour la Fondation pour l’innovation politique (février 2016, 48 pages).

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Qu’on l’observe à travers des lunettes partisanes ou non, un constat s’impose aujourd’hui avec la plus grande acuité : comme les deux faces d’une même pièce, bon nombre de nos compatriotes ne se considèrent pas Français tandis qu’une autre partie ne se sent plus en France. À ces deux camps retranchés, à ces deux mondes qui cohabitent sans vivre ensemble, la gauche – sur la défensive – n’a jusqu’alors apporté aucune (bonne) réponse. En dépit du discours martial prononcé par François Hollande devant le Congrès (transgressant nombre de totems de sa famille politique), le Parti socialiste ainsi que les Verts et le Front de gauche ont ostensiblement abandonné à la droite et à l’extrême droite la question identitaire, pourtant au cœur des enjeux. Plus qu’inaudible, la gauche n’a semble-t-il rien à dire. Misère.

Enfermée dans sa propre prison doctrinaire post-soixante-huitarde, la gauche a longtemps préféré – et préfère encore – geler tout débat sur l’identité et l’idée même de nation. Au motif que ce débat ne serait plus adapté à un monde globalisé et qu’en parallèle il renverrait aux « heures sombres » du XXème siècle, persuadée d’incarner le « camp du bien », elle a ainsi verrouillé à double tour les portes de la réflexion, et ce sans se priver d’exercer une police zélée de la pensée envers tout discours suspecté d’excès nationaliste ou d’obsession identitaire. Muée en procureur (arrogant) de la vertu, elle n’a eu de cesse de distiller dans les esprits la terreur du politiquement correct. Et tant pis s’il fallait jeter un voile sur la réalité !

Plus cyniquement, si la gauche a préféré l’omerta sur ces crispations qui envahissent l’Hexagone depuis le début des années 2000, c’est qu’au-delà du malaise – pour ne pas dire du vide – idéologique manifeste se cache en réalité un fonds de commerce électoral important sur lequel elle a prospéré mezzovoce. En effet, longtemps, les quartiers populaires où se conjuguent souvent mal d’appartenance et parfois même sentiment anti-français – terreaux fertiles des extrémismes – ont été politiquement corsetés par l’ensemble des franges de la gauche, du rouge vif au rose pâle. Longtemps, sur l’autel des équations électoralistes les plus viles, la « gauche plurielle » a courbé l’échine face aux poussées communautaires, faisant tomber une à une les digues soutenant l’édifice républicain. Sur cette démission coupable, elle a ainsi bâti sans vergogne ses succès électoraux locaux comme nationaux ; 86% des Français de confession musulmane ayant par exemple voté pour François Hollande en 2012 selon l’INSEE.

Comme l’a révélé au grand jour en 2011 une étude du think tank Terra Nova (proche du PS), la gauche de gouvernement a, depuis les années Mitterrand, pris sur la pointe des pieds ses distances avec le monde ouvrier pour se recentrer sur les questions sociétales et la défense des minorités ; passant grossomodo de la lutte des classes à un militantisme ethnoculturel. Une stratégie électoralement payante mais, in fine, réalisée au détriment et de la majorité de la population hexagonale et des minorités elles-mêmes, dont elle se dit être pourtant tantôt le bouclier, tantôt le porte-parole. En effet, à des slogans aussi cosmétiques que lénifiants vantant sa lutte pour l’ « égalité des chances » ou encore la « justice sociale » (quel quidam serait contre !), la gauche a en réalité opposé des discours aux accents néocoloniaux, confondant avec autant de laxisme que de cynisme tolérance et condescendance, compassion et sujétion.

Moralité, en proposant à son « public » une vision à géométrie variable de la République, elle a fait des habitants des banlieues – et plus précisément des Français issus des dernières vagues d’immigration – moins des citoyens à part entière et éclairés que de simples électeurs béotiens et assignés à résidence, à flatter plutôt qu’à responsabiliser. En les confinant (physiquement) dans des quartiers symboles – n’en déplaise aux belles âmes – davantage du « vivre-entre eux » que d’un fantasmé « vivre-ensemble » et (moralement) dans une posture victimaire aussi aliénante que mortifère, elle a inlassablement semé les graines assassines de la sécession, laissant pousser les herbes folles du communautarisme. Car s’il est certain que les valeurs républicaines ne s’arrêtent pas aux portes des cités HLM, la gauche a quant à elle déroulé le tapis rouge aux revendications catégorielles ; des plus légitimes aux plus inacceptables. Du « gouvernement par la rue », elle est ainsi passée au « gouvernement par la minorité », le mépris et l’irresponsabilité en plus.  

Dès lors, grisée par son hégémonie électorale et sous prétexte de ne pas froisser le camp des « opprimés », elle n’a cessé de jouer à l’apprentie sorcière, le catéchisme des bons sentiments en bandoulière. Maquillant son renoncement et son clientélisme sous un épais brouillard d’acronymes (ZEP, ZUS, CUCS, etc.), c’est elle qui, pourtant si prompte à dénoncer les moindres sorties de route verbales de ses adversaires, a dans la pratique détricoté maille par maille la notion même de République. Une bombe à retardement dont, sans en être l’artificier, la gauche a incontestablement tenu la mèche.

Dans le contexte actuel si particulier, sans qu’elle ne détienne l’apanage de la responsabilité des tensions identitaires, la « gauche morale » ne peut plus aujourd’hui se dédouaner face à ses propres échecs. Moins colombe que faucon, elle paie ainsi le prix de n’avoir su proposer qu’une République alternative et low cost à ses supporters, périphérique et quasi-hermétique à la communauté nationale. Plus autruche que lynx, elle s’est rendue coupable d’avoir observé les angoisses et les dérives de la société française avec les œillères de celui qui refuse d’affronter la réalité. Résultat, elle n’a pas saisi les ressorts du mal-être identitaire frappant les différentes couches de la population, et ce au sein même de ses propres citadelles électorales, aujourd’hui lézardées. De surcroît, en vouant aux gémonies ceux qui dans son camp (Malek Boutih & Co) se sont efforcés bon gré mal gré de tirer la sonnette d’alarme, elle a fait montre d’un déni suicidaire ; oubliant qu’elle ne dispose – comme toute formation politique – d’aucune assurance-vie. Les effroyables attentats qui ont émaillé le début et la fin de l’année 2015 résonnent dès lors comme une ultime sommation à son endroit.

Ce faisant, à la lumière blafarde de l’horreur, de cette cécité coupable peut encore naître la clairvoyance du repenti. Dans un débat bien trop souvent binaire – qu’elle a elle-même longtemps entretenu face à la droite et à l’extrême droite – la gauche dispose aujourd’hui d’un espace pour porter une troisième voie ; supposant qu’elle s’extraie enfin de la nasse idéologique plus que jamais démonétisée dans laquelle elle est actuellement enfermée. Délestée de son tropisme multiculturaliste dévastateur, dépoussiérée de la vulgate un peu jaunie d’un « vivre-ensemble » dont la vacuité fait le miel de ses adversaires et s’affranchissant de la dichotomie actuelle (façon good cop/bad cop), cette nouvelle voie érigerait en horizon indépassable un républicanisme droit dans ses bottes, intransigeant face aux entorses portées aux fondements du roman national (laïcité comprise) et, en parallèle, attentif à ne jamais claquer la porte de l’Hexagone au nez de l’Altérité. En d’autres termes, proclamer sans rougir la préséance de la culture française sans pour autant tomber dans le piège de l’acculturation. Émanciper chaque citoyen tout en se prémunissant contre la tyrannie de la minorité. Défendre une République forte, mais jamais repliée sur elle-même. Responsabiliser sans jamais stigmatiser. En bref, refermer la parenthèse de mai 68 et renouer avec l’esprit de la gauche de Jaurès ou de Clémenceau, attachée alors à la double idée mêlée de nation et de communauté de destins.

Dans un contexte de « guerre » sur fond de crise identitaire généralisée, face aux discours bien trop souvent manichéens (donc inopérants) du bloc de droite, la gauche – aujourd’hui aux responsabilités – a le devoir impérieux de sortir de son déni en s’emparant une fois pour toute de la question de l’identité nationale ; seul moyen de réconcilier les Français avec eux-mêmes. À condition qu’elle procède d’abord (enfin) à son propre inventaire. Ce qui semble presque le plus compliqué…

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