Crise grecque : mais où est passée la France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est inexistante dans les négociations.
La France est inexistante dans les négociations.
©Reuters

Alerte enlèvement sur l’Europe

La crise grecque est aussi dramatique pour la France, qui joue un rôle quasi nul sur le plan européen dans le dénouement de la situation, révélant ainsi sa perte d'influence.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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Atlantico : Alors qu’une sortie de la Grèce de l’euro est évoquée avec insistance depuis l’annonce par Alexis Tsipras d’un referendum, la France semble étrangement absente du débat. Comment expliquer le retrait apparent de la seconde puissance économique de l’UE dans une crise aussi grave ? Quelles ont été les principales étapes de ce retrait français ?

Alain Wallon : Le retrait désormais patent de la France est certainement une des causes de la situation spectaculaire que présente en ce moment l'Union européenne dont les responsables politiques, chefs d'Etat en tête, viennent de faire la démonstration de leur incapacité à prendre une décision commune claire et nette dans ce dossier grec qui demande une mesure d'inclusion et non d'exclusion. Comment s'en être ainsi remis à un groupe subalterne d'argentiers, de ministres au mandat politiquement limité pour résoudre une question d'une importance politique historique pour l'Europe, car engageant gravement son avenir ? Dans les derniers mois de cette crise, la France a prétendu, selon son président, au noble rôle de médiateur pour finir par n'être, semble-t-il, qu'un simple intermédiaire dans grand poids. Elle n'a pas su ou pas voulu empêcher cette scène lamentable d'une exclusion, par simple dépit, du ministre grec Yannis Varoufatis de la réunion samedi de l'Eurogroupe, mettant brutalement la Grèce au ban de la zone Euro. 

Je ne reviendrai pas - je l'ai fait précédemment ici - sur les étapes de de ce retrait français, je rappèlerai simplement qu'il a pour principale raison une sous estimation devenue chronique des enjeux européens mêlée à une arrogance de plus en plus contre-productive, notamment depuis les derniers élargissements qui ont repositionné vers la Mitteleuropa et le nord de l'Europe le centre de gravité du pouvoir européen. L'Allemagne, en capacité d'agir sur le long terme grâce en particulier, en interne, â ses alliances de "grande coalition" au niveau fédéral comme dans les länder, a su profiter de cette conjoncture. Mme Merkel aurait peut-être aimé s'appuyer sur son partenaire francais pour concevoir ensemble un projet politique ambitieux pour l'Europe du XXie siècle. Mais elle a trouvé â l'inverse une France inconstante, â courte vue, aux perspectives limitées aux "affaires européennes" et â sa (grosse) part du gâteau de la PAC. Une France qui, après avoir subi le contrecoup de la rigueur budgétaire allemande lors de la réunification, a laissé filer ses déficits et se trouve depuis lors dans l'incapacité de prétendre à un leadership dans ce domaine. Du coup, l'Allemagne s'est servie de son rapport de forces pour ses intérêts propres. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée au centre du jeu, sans l'avoir véritablement planifié et, ensuite bien sûr, elle en a profité pour faire de la zone euro un remake de la zone Mark élargi aux "bons élèves". Une vision conservatrice, lourdement lestée chez Angela Merkel par des calculs électoralistes, et finalement de tendance autoritaire, comme on le voit face aux Grecs, bien éloignée de celle des pères fondateurs de l'Europe.

Qu'apportait auparavant la France ? Quels effets ce retrait français a-t-il eu concrètement sur les choix de politique européenne et, plus particulièrement, concernant la Grèce ?

Alain Wallon : Le partenariat tissé autour du couple franco-allemand avec les autres États membres avait le mérite de jouer le rôle d'une locomotive du train européen ; et pour les institutions européennes, au premier chef la Commission, dès avant la présidence de Jacques Delors et a fortiori pendant, ce fut une période qui permit de consolider la "méthode communautaire", donc le rôle d'initiative de la Commission, au détriment de la méthode intergouvernementale qui prévalut ensuite, minorant le rôle de la Commission en faveur des Sommets européens, souvent lieux d'expression de purs rapports de force et de marchandages peu brillants et où les deux précédentes Commissions (Barroso I et II) ont fait surtout de la figuration. C'est d'ailleurs une des explications du déséquilibre actuel de l'Union économique et monétaire (UEM) , bâtie sur une intégration budgétaire et économique encore trop réduite. Ni l'Union fiscale ni l'extension des ressources propres de l'UE n'ont avancé d'un cran.

Nicolas Goetzmann : Le retrait progressif de la France dans le jeu européen revient à donner les clés du camion à l’Allemagne. C’est aussi une problématique forte pour l’Allemagne puisque le pays se retrouve seul face aux critiques. L’exemple récent d’un couple Sarkozy – Merkel démontre que ce processus d’un pays unique qui gouverne l’ensemble est nouveau. Cette absence française conduit donc à renforcer la vision d’une Europe allemande, ou le centre du pouvoir n’est plus à Bruxelles mais à Berlin.

Le dernier moment de grande influence française en Europe, c’est la Présidence française du conseil de l’union européenne en 2008, en pleine crise financière. Depuis, ce pouvoir s’est délité progressivement, et l’arrivée de François Hollande à l’Elysée a presque institutionnalisé le processus.

La Grèce est d’ailleurs l’exemple parfait pour décrire cette nouvelle dimension européenne. Parce qu’il suffit de se rappeler que c’est la France qui a appuyé l’entrée du pays dans la zone euro sous l’exécutif Chirac-Jospin, et ce, contre la volonté allemande. Et l’argumentaire était alors essentiellement politique. Entre temps, l’Allemagne a pris le dessus, et avec elle une vision comptable et un strict respect des règles qui sont redevenus la priorité par rapport à une volonté politique d’unité.

Michel Sapin a déclaré : "La France est le pays qui a le plus sincèrement essayé de poursuivre le dialogue". Le refus par la Grèce de poursuivre le dialogue est-il l’illustration d’une France désormais inaudible ?

Alain Wallon : On peut croire Michel Sapin, mais cette sincérité - par contraste avec quel dialogue non sincère ? - ne change pas grand chose au fait que ce même Sapin a avalisé les conclusions de l'Eurogroupe fermant sa porte â la Grèce ! Qu'a voulu la France dans cette sombre affaire ? Véritablement agir pour imposer une solution viable pour un redressement de l'économie hellène, ou bien seulement ne pas se salir les mains dans ce processus d'étranglement du partenaire grec dont les deux issues les plus probables, un accord humiliant pour les Grecs ou bien leur sortie de l'euro, n'étaient guère reluisantes ? Quant au commissaire francais, Pierre Moscovici qui déclare ce lundi matin qu'il reste des marges de manœuvre pour la négociation, il est contredit illico par son "patron" Jean-Claude Juncker qui déclare qu'il ne fera pas de nouvelle proposition... La France n'est sans doute pas inaudible, mais sa réussite dans ce dossier crucial est pour l'instant invisible.

Nicolas Goetzmann : La déclaration de Michel Sapin est un aveu de faiblesse. La France aurait tout fait pour sauver la Grèce, pour en arriver à une situation de rupture. François Hollande ne cesse de répéter que la Grèce doit rester dans la zone euro, au moment même où cette sortie devient de plus en plus probable. La zone euro, et la construction européenne, au sens large, est en train de changer de nature sous les yeux de l’exécutif français qui semble incapable d’apporter un nouvel élan à la situation. L’idée d’une Europe union politique irréversible se désagrège peu à peu pour en arriver à une sorte de club économique autoritaire qui exclut ses membres les plus faibles. Et rien ne se passe du côté français.

Il suffit de reprendre les promesses de campagne de François Hollande pour se rendre compte de l’influence du pays au sein des institutions européennes. La renégociation du pacte de stabilité européen a été enterré, ne parlons même pas des euro-obligations, ou de la mise en place d’un pacte de croissance européen qui n’a pas vu le jour. Le résultat est accablant. La simple rhétorique européenne permet également de mettre cette faillite en avant ; lors de la présidence précédente, la dynamique européenne, si je puis dire, était symbolisée par le "Merkozy", puis, en dehors des premiers jours de mandat du nouveau Président, l’idée de Merkhollande afait long feu. Désormais, on parle de Berlin ou de la Chancelière, mais François Hollande n’est plus un acteur décisionnaire à part entière dans le processus européen. Le plus curieux est de constater que l’exécutif lui-même semble trouver ca parfaitement normal.

La gauche française apparaît profondément divisée sur la question grecque. La discrétion de l’Elysée n’est-elle pas due à une incapacité de l'exécutif français à s'extraire du jeu politique français ? François Hollande s'est-il montré à la hauteur du jeu politique européen ? En a-t-il compris les codes ?

Alain Wallon : Difficile à affirmer de façon aussi tranchée ! Oui, la gauche française est divisée sur la question grecque. Certes, Francois Hollande pourrait vouloir faire passer son propre intérêt à rassembler à gauche en prévision de l'échéance présidentielle de 2017 avant l'impératif d'éviter une crise grave de l'Union européenne dont un "Grexit" pourrait être le déclencheur. Mais j'ai l'impression qu'au delà de la tentation de rester dans le flou pour ne pas se couper des uns et des autres, il s'agit plus profondément du choix de Hollande et de son gouvernement pour ce social libéralisme dont la loi Macron marque le premier vrai "coming out". Pourquoi, en définitive, 17 ministres des finances  de la zone euro, M. Sapin compris, ont-ils pu se permettre ex-abrupto de virer leur homologue grec de leur réunion ? Et cette injonction faite au premier ministre grec de changer le contenu de son référendum ? Il est clair que ce vilain "dîner de cons" de l'Eurogroupe n'aurait pas eu lieu ainsi sans la bénédiction des Chefs d'Etat de la zone euro. Mais chassez la démocratie par la fenêtre, elle reviendra par la porte, semble dire Tsipras ! Et quel que soit le résultat du référendum le 5 juillet prochain, on devra analyser très sérieusement les causes qui ont conduit à une situation aussi dommageable pour la crédibilité aux yeux des peuples du vieux continent - et au delà - du projet européen et de ses objectifs historiques

Nicolas Goetzmann : Lors de son arrivée au pouvoir, François Hollande a immédiatement cédé à Angela Merkel sur la question du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’UEM), en signant le traité sans renégociation, et ce, à l’encontre de sa promesse de campagne. Le rapport de force a donc été remporté dès le départ par Berlin, et ce, sans aucune opposition. La méthode Hollande, faite de silences et de consensus, ne s’applique tout simplement pas à la dimension européenne. Lorsque Nicolas Sarkozy et Barack Obama avaient fait céder une Angela Merkel en larmes en 2011, sur le même cas grec, la pression avait été maximale sur elle. Il est toujours possible d’entendre tout ce joli discours sur l’incroyable subtilité du jeu diplomatique de François Hollande, mais il faut peut-être se rendre compte qu’en termes de résultats au niveau européen, c’est quand même le néant absolu. La difficulté pour le Parti socialiste français, sur le dossier grec, est que Georgios Papandreou, l’ancien premier ministre qui a été balayé par Syriza, était soutenu par le PS français. Or, une partie du PS, les frondeurs par exemple, se sent plus proche de Syriza que de Manuel Valls par exemple. L’échec européen de François Hollande vient donc également de cette dimension de politique intérieure, en gardant un œil rivé sur les dissensions au sein de son parti, en perpétuelle recherche d’un discours modéré, il ne parvient pas à prendre un positionnement suffisamment fort pour apporter une solution. L’enjeu des Présidentielles de 2017 prend trop de place alors que ce qui se passe en Grèce aujourd’hui, c’est la fin de l’unité et de la solidarité européenne. C’est une question de priorité.

Pendant des décennies le moteur franco-allemand a tiré l’Europe, les deux pays marchant main dans la main ou s’affrontant parfois dans un jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs. Faut-il se résoudre à voir l’Allemagne rester seul maître à bord du navire européen ? 

Alain Wallon : Le moteur en question est en effet quelque peu essoufflé mais plusieurs facteurs peuvent lui redonner de l'allant. D'abord, dans l'immédiat, la coopération entre les deux pays pour tenter de résoudre la crise grecque, même si les résultats du moment en sont hautement discutables, a été réelle et on peut penser que les événements qui vont suivre obligeront les deux premières économies de la zone euro â rapprocher plus encore leurs points de vue. Ensuite, la question du gouvernement économique de l'Union, originellement posée par la France et longtemps bloquée par l'Allemagne, non seulement n'est plus taboue pour Mme Merkel mais  devient la seule réponse à terme face à l'imprévisibilité des marchés, lesquels ne vont pas manquer de sonder bientôt la zone euro  "revue et corrigée". Or le gouvernement économique d'une entité comme l'Europe pose In fine la question de la gouvernance politique et de la logique, fédérale ou confédérale, qui la sous-tendrait. Mais aller aussi loin suppose d'avoir gardé ou retrouvé la confiance des peuples de l'espace européen. Et la tournure que prend la crise grecque dans les mains nerveuses de l'Eurogroupe et des "institutions", sa coïncidence avec les caricatures d'une citadelle Europe au système peu démocratique et coupée des réalités quotidiennes de ses citoyens laisse augurer des jours difficiles.

Nicolas Goetzmann :C’est bien le chemin actuel. Le rapport des "5 présidents" de la semaine dernière continue sur la même lancée. Donald Tusk, Mario Draghi, Jean Claude Juncker, Martin Schulz, et Jeroen Dijsselbleom ont en effet publié un rapport sur la poursuite de l’intégration économique de la zone euro, calqué sur les souhaits du ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble. Cela se traduit par la mise en place d’autorités de la compétitivité au niveau national, chaque Etat aura le sien, qui viendront définir le cadre économique à mettre en place. De la même façon, le cadre des règles budgétaires à respecter sera renforcé. Que l’intégration européenne aille vers plus de convergence est une chose, mais que cette convergence se réalise sur la base d’une vision allemande de l’Europe en est une autre. La mise en avant du mercantilisme allemand à travers la modération salariale et la compétitivité n’est pas une ligne économique "vraie et juste par nature", il s’agit d’un choix politique très marqué. Le modèle américain est par exemple très différent. Or, la discussion sur la ligne n’a même pas eu lieu. Aucun commentaire de François Hollande n’a pu être entendu sur cette question alors qu’il s’agit quand même de l’essentiel de l’avenir européen. Ironiquement encore, lors de la Présidentielle de 2012, François Hollande proposait la signature d’un nouveau traité franco-allemand "cinquante ans après le Traité de l’Elysée". L’anniversaire des 50 ans a eu lieu en janvier 2013, sans aucune proposition en ce sens, mais avec une réalité bien éloignée de toute idée d’un moteur franco-allemand.

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