Crise énergétique : voilà ce qui se jouait vraiment derrière les propos « anodins » d’Emmanuel Macron à Joe Biden au G7<!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden Emmanuel Macron assistent au sommet du G7 au château d'Elmau, dans le sud de l'Allemagne, le 27 juin 2022
Joe Biden Emmanuel Macron assistent au sommet du G7 au château d'Elmau, dans le sud de l'Allemagne, le 27 juin 2022
©LUKAS BARTH / POOL / AFP

Pas si anodins

Le président français a été entendu dire à son homologue américain que le président des Emirats arabes unis venait de lui confirmer par téléphone que son pays était au maximum de ses capacités de production pétrolières et que les Saoudiens n’étaient pas loin des leurs. Des propos beaucoup plus lourds de sens que les apparences laissaient à le croire

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : Lundi 27 juin, lors du Sommet du G7 en Allemagne, Emmanuel Macron a indiqué à Joe Biden qu'il avait demandé au président des UAE « d'augmenter sa production » de pétrole. Et précisé au président américain que les UAE et les Saoudiens produisaient pratiquement à pleine capacité. Est-ce la vérité ?

Philippe Charlez : Les sanctions sur la Russie ont eu des effets inattendus et rapides sur la production de pétrole russe qui s’est réduite de 20% en seulement quatre mois. Ce sont deux millions de barils jour en moins sur des marchés mondiaux déjà très tendus. Les seuls pays possédant des marges immédiates d’accroissement de production se trouvent au Moyen Orient : l’Arabie Saoudite, les Emirats et L’Iran. L’Iran n’augmentera pas sa production sauf si les sanctions toujours en cours sont levées ce qui ne semble pas se dessiner. En dehors du différent nucléaire l’Iran exige de retirer la milice des Gardiens de la Révolutions de la liste des organisation terroristes ce que les Etats-Unis refusent. Quant aux deux pétromonarchies du Golfe sous couvert de l’OPEP elles ont déjà fourni des efforts au cours des derniers mois en relevant leurs quotas de 432 000 barils/jour en mars, avril, mai et juin. Ce chiffre sera porté à 648 000 barils par jour en juillet. Les pétromonarchies du Golfe ont donc accru leurs quotas de plus de 2 millions de barils par jour depuis février de quoi compenser les pertes russes. Ces accroissements n’ont pas pour autant relaxé les prix restés autour de 110$/baril. Emmanuel Macron en voudrait davantage mais il y a peu de chances qu’il obtienne gain de cause et ce pour deux raisons. Saoudiens, Emiratis mais aussi Américains n’ont pas intérêt à faire baisser les cours. Par ailleurs les Pétromonarchies du Golfe veulent garder de bons rapports avec la Russie de Poutine qui fait partie de l’OPEP élargie. Aucun pays du Golfe n’a d’ailleurs voté les sanctions de l’ONU. L’Ukraine est le cadet de leur souci. Même si l’Arabie Saoudite et les Emirats restent des alliés objectifs des Etats-Unis, ils veulent préserver leurs intérêts avec la Russie et la Chine. Il ne faut donc pas trop compter sur eux pour qu’ils viennent au secours des européens. Leurs quotas sont gravés dans le marbre et l’appel d’Emmanuel Macron restera lettre morte. 

Si l’Arabie Saoudite et les EAU sont au maximum de leur capacité, peut-on voir dans cette intervention du Président de la République un appel du pied réalisé en public afin d’inciter les États-Unis à augmenter leur production pétrolière ? En ont-ils les moyens ? Candidat, Joe Biden voulait mettre fin aux nouveaux forages sur les terres publiques et dans les eaux fédérales. S’est-il enfermé dans une vision idéaliste et pas assez pragmatique de l’énergie face aux circonstances ?

Contrairement au gaz, les Etats-Unis restent aujourd’hui importateurs nets de pétrole pour une quinzaine de pourcents. L’accroissement de leur production au cours des dix dernières années provient exclusivement des pétroles de schistes. Après une forte réduction de production durant la pandémie, les forages sont repartis à la hausse de façon frénétique mais la production de pétrole de schiste commence à saturer. Il ne faut donc pas espérer à court terme d’accroissement notable de production venant des Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’une position de principe de Joe Biden qui malgré ses déclarations angéliques continue de supporter en sourdine la production américaine. Il faut d’ailleurs rappeler que le Président n’a que peu d’impact quant aux décisions en matière de pétrole et de gaz : les Etats-Unis sont en effet le seul pays au monde où le sous-sol appartient au propriétaire du terrain et non pas à l’Etat. Il s’agit d’un business purement privé où l’Etat joue un rôle marginal. Quand les prix sont élevés l’américain gagne de l’argent, il fore et produit ; dès que les cours baissent l’activité est réduite. Biden n’a donc aucun intérêt à ce que les cours du pétrole baissent car le « point mort » économique des pétroles de schiste américain est assez haut (50$) par rapport au pétrole du Moyen Orient (<20$). Les baisses de prix que pourraient tolérer les pétromonarchies du Golfe ne seraient pas acceptables pour les producteurs privés américains. La politique de Biden reste fidèle à celle d’Obama et Trump : America first ! Les états d’âme du consommateur européen n’est pas sa priorité loin de là. Emmanuel Macron aura beau gonfler les muscles, il ne sera entendu ni par les princes Moyen-Orientaux ni par l’Oncle Sam. De son côté Poutine continue de vendre sans aucun problème son brut aux chinois et aux indiens à qui il consent des discounts de 20%. Hormis l’Europe embourbée dans sa bonne morale, tout le monde y trouve finalement son compte.


Au vu de la situation internationale, quelles seraient les conséquences à plus ou moins long terme si la production mondiale de pétrole n’augmentait pas ?

A question simple réponse simple : l’accroissement des prix. Le pétrole est un marché mondial qui depuis vingt ans n’échappe plus comme par le passé à la loi de l’offre et de la demande. Les stocks stratégiques sont au plus bas et la Russie devrait voir sa production continuer de décliner. Nous avons par ailleurs bénéficié de la pandémie en Chine durant le premier semestre 2022 : le faible niveau de transports avait limité la demande. Mais la fin de la pandémie devrait relancer les transports et booster la demande. Les accroissements de production de l’OPEP devraient au mieux maintenir les prix autour de 120$/bbl mais il ne faut pas s’attendre à une baisse des cours durant les prochains mois. D’autant que comme je l’ai déjà rappelé de nombreuses fois, cette rupture offre demande n’est pas conjoncturellement liée à la crise Ukrainienne. Elle est structurelle et notamment due à la baisse des investissements enregistrés dans l’amont pétrolier depuis 2014. Une baisse d’investissements largement encouragée par un militantisme vert convaincu a tort d’une sortie à court terme des fossiles (85% de la consommation mondiale d’énergie).

Face à cette situation de prix stratosphériques et de pénurie potentielle, notre meilleur atout sont les économies d’énergie. La tribune dans le JDD des trois patrons français (Catherine Mc Grégor -Engie-, Patrick Pouyanné -TotalEnergie- et JB Levy -EDF-) résume parfaitement la situation. L’Europe ne pouvant que marginalement agir sur l’offre, ils appellent les européens à « une prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que…chaque consommateur, chaque entreprise change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers ». Ils nous conjurent d’engager une chasse immédiate, collective et massive au gaspillage national : économiser l’énergie, c’est augmenter le pouvoir d’achat mais aussi réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette tribune de bon sens a évidemment été immédiatement vilipendée par la Gauche via un classique discours de lutte de classes invoquant comme contre argument à l’effort énergétique demandé aux français les salaires des dirigeants ou les dividendes versés aux actionnaires. La Gauche n’a décidément toujours rien compris au film dramatique qui est en train de se dérouler !

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