Crise énergétique : mais quand Emmanuel Macron aura-t-il le courage d’affronter l’Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Olaf Scholz et Emmanuel Macron lors du sommet du G7.
Olaf Scholz et Emmanuel Macron lors du sommet du G7.
©HANNIBAL HANSCHKE / POOL / AFP

Solidarité européenne

L’Allemagne a défendu ses choix énergétiques et ses intérêts industriels aux dépens de l’Union européenne, et notamment de la France. Emmanuel Macron a-t-il les moyens d'inverser cette tendance ?

Bernard Accoyer

Bernard Accoyer

Bernard Accoyer est le président de l'association transpartisane Patrimoine Nucléaire et Climat (PNC-France). Il a été député Les Républicains jusqu'en 2017 et président de l'Assemblée nationale de 2007 à 2012.

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Atlantico : Il y a quelques mois, vous alertiez sur l’Acte délégué de la taxonomie européenne, défavorable à la France et son programme nucléaire. Il semble que dans les décisions européennes en matière énergétique ce ne soit pas le seul exemple. Avons-nous, nous Français, été trop naïfs sur la politique énergétique à mener et dans nos relations avec nos partenaires européens ? Et en particulier les Allemands ?

Bernard Accoyer : Depuis la fin des années 1990 – moment où Schröder a décidé qu’il n’y aura plus de nouveau nucléaire car il prévoyait une grande coalition avec les Verts allemands -, les politiques allemande et française en matière d’énergie ont eu tendance à s’éloigner. Cela s’est fait en plusieurs étapes. Il y a eu une accalmie lors des premiers mandats d’Angela Merkel, mais en 2011, pour les mêmes raisons politiques, elle a profité de l’émotion post-Fukushima pour dire que l’Allemagne sortirait définitivement du nucléaire fin 2022. Dans le même temps, l’Allemagne avait décidé de développer les énergies renouvelables. Et son influence à Bruxelles a fait prévaloir ses objectifs dans la directive électricité, et d’autres dispositions, telles que l’injection prioritaire sur le réseau de l’électricité produite par les renouvelables. Tout cela pendant que la France ne défendait pas son nucléaire. Les politiques sont donc devenues de plus en plus divergentes. La France, imprudemment, a cru devoir suivre la politique énergétique allemande, l’energiewende, qui est un échec patent. La raison en est simple, cette politique a consisté à fermer des centrales pilotables, que l’on active lorsque l’on a besoin, remplacées par énergies intermittentes comme l’éolien et le solaire. Evidemment, ces dernières ne peuvent répondre aux besoins que de façon intermittente. Les politiques énergétiques des deux Etats se sont donc éloignées et l’Allemagne a défendu ses intérêts.

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Cela s’est notamment vu récemment dans les dispositions  d’aides de l’Europe pour faire évoluer les sources d’énergie. Le texte favorise les énergies renouvelables mais pas le nucléaire, qui est pourtant la plus décarbonée des énergies. Donc l’Europe sous l’influence de l’Allemagne a poussé les énergies intermittentes dites vertes,  éoliens et photovoltaïque, alors qu’il aurait fallu soutenir toutes les énergies décarbonées, ce qui inclut le nucléaire. C’est une grave faute de ne pas l’avoir fait. L’opposition vert contre décarboné est le reflet d’un antinucléarisme qui est plus fort que la volonté de lutter contre les problèmes climatiques. C’est ce qu’on a vu sur la taxonomie européenne. La France a commencé par mal se défendre, voire oublier de le faire. Elle a fini par le faire. In fine, c’est en tant qu’énergie de transition, au même titre que le gaz qui émet 70 fois plus de CO2, et seulement jusqu’en 2045, que la taxonomie a inclus du bout des lèvres  le nucléaire.

Une lueur d’espoir est apparue avec un amendement adopté récemment dans le cadre du plan Repower Europe, un plan de 200 milliards d’aides à l’investissement. L’amendement élargit à toutes les sources décarbonées (et pas seulement « vertes ») l’accès à ce plan. Il est à noter que, étonnamment, les députés français du groupe Renew ont voté contre. Cela témoigne de divergences et d'ambiguïtés françaises dans le parti présidentiel sur le sujet.

Le problème actuel vient du prix de l’électricité qui est lié au prix du gaz, avec des conséquences industrielles, économiques et sociales qui sont ou vont être extrêmement graves. Les pays de la péninsule ibérique ont obtenu de la Commission le droit de pouvoir subventionner l’achat de gaz destiné à produire de l’électricité, au nom de faibles interconnexions. Ce qui découple les deux prix. Le prix de l’électricité y est donc plus bas et on assiste déjà à des délocalisations. La majorité des Etats membres veulent que ce dispositif soit adopté à l’échelle européenne, mais l’Allemagne s’y oppose.

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"Je pense qu'on ne peut pas éviter à un moment ou à un autre d'affronter les Allemands" a déclaré Louis Gallois sur BFM TV. Partagez-vous ce constat ?

Oui. Au niveau européen  « affronter » , signifie que s’il le faut  nous devons aller jusqu’à ouvrir une  crise politique européenne. Les enjeux le méritent car les conséquences sont terrifiantes. Donc il ne faut pas craindre d’aller à la crise avec l’Allemagne à la commission. Il faut négocier, fédérer les Etats qui ont les mêmes demandes que nous et nous sommes majoritaires. Il s’agit de créer un rapport de force face à ceux qui s’opposent à nos propositions économiquement vitales.

Est-ce qu’il faut s’opposer aux renouvelables ?

Nous ne sommes pas contre le renouvelable, mais ces énergies sont intermittentes donc elles doivent être complétées, doublonnées, par des centrales pilotable c’est-à-dire à gaz ce que le gouvernement ne dit pas. Un texte est débattu actuellement au parlement sur le développement des énergies renouvelables, mais cela ne résoudra pas notre crise électrique. Au mieux cela réduira nos importations ou notre consommation de gaz, mais de manière limitée. Ce qu’il faut construire, ce sont des centrales pilotables : du nucléaire, mais c’est long, et c’est pourquoi, hélas pour le climat, nous n’échapperons pas à la construction de centrales à gaz pour répondre aux pointes de consommation.

Nous sommes actuellement dans une situation particulière car une bonne partie de notre parc nucléaire est momentanément indisponible en raison d’aléas, d’incidents génériques. Depuis 2008, l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) a alerté sur la nécessité de disposer de réserves de capacités de production électrique pilotables pour faire face en cas d’aléas. Ces aléas n’ont pas été anticipés car les organismes chargés d’alerter sur les conséquences de certaines décisions, comme la fermeture de 13 GW en 10 ans, ce qui est énorme, de centrales fossiles et de Fessenheim, n’ont pas sonné l’alerte. La Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) et RTE n’ont pas sonné l’alerte. Il y a là une très grande défaillance. La commission d’enquête parlementaire en cours le montrera probablement.

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Sur quel dossier faut-il mener le bras de fer ?

Le premier impératif, est de se protéger de l’explosion des prix de l’électricité causée par l’explosion des prix du gaz. On ne peut pas agir sur les prix du gaz car c’est un problème de ressources. Donc il faut décorréler les deux prix. Il faut, en s’opposant à l’Allemagne, agir sur ce sujet. La France doit prendre ses responsabilités, prendre la tête des Etats membres qui défendent cette idée. Et il faut l’obtenir. C’est la solution qui a fait ses preuves en Espagne et au Portugal, constituant une jurisprudence, elle ne contredirait aucune directive appliquée au niveau européen, contrairement au subventionnement direct de ses entreprises par l’Allemagne. 

A plus long terme, le marché de l’électricité ne peut plus fonctionner ainsi car l’électricité n’est pas un bien comme un autre qui peut être mis en concurrence. De plus, les politiques des Etats sont devenues très différentes. Le marché pouvait fonctionner avec des mix comparables mais ce n’est plus le cas. Certains vont sortir du nucléaire, utiliser des énergies carbonées pour combler l’intermittence des énergies vertes. Donc les États doivent reprendre en main la construction des prix de l’électricité pour qu’ils reflètent leurs choix.

Pensez-vous qu’Emmanuel Macron est prêt à engager un rapport de force avec les Allemands sur le sujet ? En aura-t-il le courage ?

Il le faudrait. C’est un impératif majeur. La France ne peut plus parler de réindustrialisation si elle ne stoppe pas l’hémorragie industrielle et économique qui est en train de se produire. L’Europe parle de plafonner ses prix d’achats, de grouper ses achats, mais ces solutions n’auront pas l’efficacité de ce qui est fait dans la péninsule ibérique.

Tenir tête aux Allemands est-il le seul moyen d’éviter une dégradation trop forte de notre relation et une dégradation de nos intérêts ?

Ce sont des relations inter-étatiques. Nous sommes évidemment des alliés, mais aujourd’hui il y a des divergences d’intérêts sur des sujets majeurs. On ne peut pas continuer ainsi. On ne peut pas laisser notre industrie disparaître car l’Allemagne n’est pas d’accord sur les décisions qu’il faut prendre. Et ce alors même qu’elle subventionne l’électricité de ses entreprises avec son plan de 200 milliards. Cela est contraire à l’Acte unique européen. Fort de tout cela, la France devrait pouvoir exiger que la Commission européenne agisse enfin efficacement. 

« Avoir des politiques climatiques européennes et des politiques énergétiques par État, c’est compliqué », a déclaré Patrick Pouyanné à l’Assemblée nationale. Partagez-vous sa position ?

Nous disons la même chose. L’Europe impose des réductions de gaz à effet de serre mais aussi des mix énergétiques, en violation du principe de subsidiarité, non adaptés à la diversité des situations des Etats et des solutions choisies. La France, grâce à son mix énergétique très nucléarisé, est le pays où les émissions de gaz à effet de serre par habitant sont les plus basses d’Europe. Ce qui est paradoxal, c’est que l’écologie politique est hostile au nucléaire. Elle a imposé sa vision à l’Allemagne et in fine à l’Europe. C’est une hypocrisie énorme qui pénalise gravement tout le monde.

Une politique énergétique européenne est-elle encore possible ?

Nous sommes évidemment toujours plus forts à plusieurs, avec des alliés. Mais la divergence des politiques énergétiques entre les Etats pose un problème qui rend incontournable une réforme profonde du marché de l’électricité qui doit à l’avenir respecter les choix de chaque État et ainsi les faire bénéficier de leur choix.

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