Crise énergétique : les ravages de l’idéologie antiénergie<!-- --> | Atlantico.fr
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Rémy Prud’homme publie « Les vrais responsables de la crise énergétique » aux éditions de L’Artilleur.
Rémy Prud’homme publie « Les vrais responsables de la crise énergétique » aux éditions de L’Artilleur.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Rémy Prud’homme publie « Les vrais responsables de la crise énergétique » aux éditions de L’Artilleur. L’Europe et la France connaissent depuis 2022 une hausse très importante du prix des énergies principales (gaz, pétrole, et surtout électricité). Comment expliquer cette fin brutale de l’énergie bon marché ? Les vrais responsables de la crise sont sous nos yeux. Extrait 1/2.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Ce vaste mouvement idéologique a bien entendu conduit à des décisions politiques. Au moins dans le monde occidental, les gouvernements ont multiplié et généralisé les décisions fiscales et réglementaires antiénergies. On a évoqué supra les taxes qui frappent toutes les énergies – à l’exception des renouvelables intermittents. Il faut maintenant évoquer les interdictions qui ont le même objet. On en citera trois : celles qui frappent le gaz de schiste, celles qui frappent le nucléaire, celles qui frappent les investissements dans les combustibles fossiles.

Interdiction du gaz de schiste – L’extraction du pétrole et du gaz contenu à des densités faibles dans des sables ou des roches, et rendue possible par des avancées technologiques, a été développée avec succès aux États-Unis et au Canada. Elle a été ostracisée en Europe. Il semble que des réserves importantes existeraient au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Espagne. Leur exploitation a suscité une virulente opposition de la part des mouvements écologistes, avec l’encouragement (et, semble-t-il, le financement) de la Russie. Dans tous ces pays, les gouvernements ont refusé les autorisations d’exploitation, ou annulé celles qui avaient été accordées. Pas un baril n’a été produit en Europe.

La France a fait plus fort. Une loi de 2011 a interdit toute recherche visant à savoir si, où, et combien il y aurait de réserves de gaz de schiste dans notre sous-sol. Les chercheurs de tout poil n’ont pas apprécié ce refus de connaître, cette volonté de se bander les yeux afin de ne pas voir, qui est l’exacte négation de leur raison d’être. Cette interdiction a été prise par un gouvernement de droite, mais elle a été réitérée et renforcée par le gouvernement de gauche qui lui a succédé. Elle a été entérinée par le Conseil constitutionnel (dont l’autorité en matière de forage n’est pas évidente). Elle a fait l’objet d’un très large consensus social et politique. On peut ajouter que cette interdiction ne nous empêche pas d’importer et d’utiliser du gaz de schiste américain : on peut être contre le péché et jouir du péché d’autrui.

Interdiction de l’énergie nucléaire – La production d’énergie nucléaire (décarbonée, faut-il le répéter) est très largement décidée par les gouvernements, pas par les marchés. Au niveau mondial, elle a stagné au cours des années 2000‑2020 en valeur absolue, c’est-à-dire qu’elle a beaucoup diminué relativement à la production mondiale d’énergie (qui a augmenté de 40 % dans la même période). Mais cette stagnation en valeur absolue du nucléaire cache de grandes disparités : une multiplication par 20 en Chine, une quasi-stagnation aux États-Unis, et une diminution de 20 % en Europe et de 85 % au Japon. Ces chiffres reflètent la force de l’idéologie antiénergie et antinucléaire dans les différents pays. Là où elle était vive, comme en Europe et au Japon, elle a conduit à refuser d’investir dans la construction de centrales nouvelles, voire à fermer des centrales en état de fonctionner (Japon, Allemagne). En Allemagne, c’est une commission dominée par des philosophes et des évêques qui a justifié ces fermetures, en expliquant que le nucléaire était « immoral ». En écho à la politique française qui condamne le gaz de schiste français mais absout l’importation de gaz de schiste américain, la commission allemande n’a pas considéré l’importation et la consommation d’électricité nucléaire française comme immorales (ce qui a fait dire à de mauvais esprits lecteurs des Provinciales que les évêques de ladite commission devaient être des jésuites).

En France aussi, toutes sortes de lois et de plans officiels ont (au moins jusqu’à une date très récente) systématiquement planifié le déclin de la production d’énergie nucléaire. De Sarkozy à Macron, en passant par Hollande, tous les présidents français ont fait la cour à Nicolas Hulot, le plus médiatique des écologistes, ouvertement antinucléaire. Hollande l’a nommé « envoyé spécial [envoyé où ?, on ne sait pas] pour la protection de la planète ». Macron en a fait un ministre d’État, classé protocolairement troisième au sein du Gouvernement, juste après le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur. Au-delà de ce symbole, les plus hautes autorités de la République ont constamment affiché leur volonté de fermer quatorze réacteurs, même si deux seulement (à Fessenheim) ont effectivement été arrêtés. Les deux prototypes de réacteurs nucléaires de quatrième génération ont été fermés : Superphénix en 1997 et Astrid en 2019.

Alors que le monde avait un besoin croissant d’énergie, la plupart des gouvernements (à la notable exception du gouvernement de la Chine) s’ingéniaient à réduire coûte que coûte la production de la moins carbonée des formes d’énergie – et qui plus est n’hésitaient pas à faire cela au prétexte fallacieux de diminuer les rejets anthropiques de carbone.

Interdiction des investissements dans les combustibles fossiles – Comme on l’a vu, toutes sortes de groupes et d’institutions privées et publiques vertueuses des pays riches œuvrent pour freiner ou empêcher les investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz partout dans le monde.

Une scène moliéresque illustre cette réalité jusqu’à la caricature. En mai 2022 à Paris, l’assemblée générale des actionnaires de Total, la première entreprise française (en chiffre d’affaires), fut l’objet d’une violente contestation. Cette contestation était triplement paradoxale. Le motif en était l’insuffisance de la lutte de Total pour le climat, en clair, la nécessité pour cette entreprise pétrolière de ne plus extraire et vendre de pétrole, autant dire une demande de suicide. Les contestataires formaient un groupe hétérogène et inhabituel de militants anticapitalistes typiques et de financiers capitalistes chics. La date, enfin, correspond à des prix élevés des carburants dont tout le monde (y compris les contestataires) se désole, mais que la revendication aurait pour effet d’augmenter encore.

Cette volonté d’interdiction se manifeste d’abord dans les pays développés. Même aux États-Unis. Les administrations républicaines et démocrates ont longtemps assez bien résisté à leur pression, comme en témoigne le boom du gaz de schiste. Mais en 2021, les premières mesures prises par le président Biden nouvellement élu ont été des mesures antiénergies : le blocage d’un gazoduc transportant du gaz du Canada vers les États-Unis, l’arrêt de l’exploitation de gisements en Alaska, l’interdiction de louer des terres fédérales pour l’extraction de gaz de schiste. Elle vise aussi, et sans doute surtout, les pays en développement. Il est souvent difficile aux groupes vertueux de contraindre des États souverains, encore que les institutions internationales et les agences d’« aide » peuvent parfois, plus ou moins discrètement, conditionner leur assistance à la vertu écologique.

Mais ces groupes disposent d’un levier puissant : l’argent. Les besoins de financement sont dans les pays pauvres ; les moyens de financement dans les pays riches. Les militants écologistes ont réussi à persuader les banques publiques d’investissement et les agences d’aide bilatérales de dire « non » à tous les projets d’investissement dans le charbon, le pétrole et le gaz présentés par des pays pauvres. Non aux dons, bien sûr, mais également aux prêts remboursables. Bien plus, ces militants ont réussi à imposer leurs préférences aux banques privées des pays riches, en les menaçant de boycott, et à leur interdire de financer des investissements des pays pauvres dans le charbon, le pétrole, le gaz. Même sous forme de prêts rentables.

Ce colonialisme de dames patronnesses est odieux. Beaucoup de ces pays ont un besoin impérieux d’électricité, et d’électricité bon marché, c’est-à-dire au charbon, pour se développer. La leur refuser, c’est les condamner à la misère, à la maladie, à la mort. Beaucoup d’Africains, et d’Indiens, l’ont souligné. Citons Donald Kaberuka, un ancien président de la Banque africaine de développement : « Les gouvernements occidentaux sont hypocrites ; eux qui se sont enrichis avec les combustibles fossiles disent maintenant aux pays africains : vous n’avez pas le droit de construire des barrages, ni des centrales à charbon, contentez-vous de ces renouvelables hors de prix. Les pays africains ne les écouteront pas. » Fermons cette parenthèse, et revenons à notre sujet, qui est l’effet de toutes ces interdictions sur l’offre d’énergie.

Le tableau X-1 ci-après montre bien que toutes ces interdictions atteignent leurs objectifs et freinent très sensiblement les investissements dans la recherche, l’extraction, le transport, la production des sources d’énergie traditionnelles. Entre 2010 et 2020, ces investissements n’ont évidemment pas été éliminés complètement. Le filet a des trous, dont le plus gros est la Chine, suivie de l’Inde et aussi de l’Australie. Ces pays ont continué à investir dans l’énergie chez eux. Et dans les pays pauvres, la Chine a pris le relais de l’Occident, finançant (à des taux plus élevés, du reste) les projets que la Banque mondiale ou la Société générale s’interdisaient de soutenir. Toujours est-il qu’entre 2010 et 2020, les investissements dans l’énergie dans le monde ont diminué d’environ 40 %. Les investissements dans la production d’électricité thermique (la construction des centrales au charbon et au gaz), qui assurent l’essentiel de la production d’électricité dans le monde, ont diminué du même ordre de grandeur.

Les liens entre investissements annuels et production sont complexes, et variables selon les régions et les époques. Ils sont modélisables, et il y a certainement, en particulier dans les grandes entreprises du secteur, des spécialistes qui les modélisent. On se contentera ici de noter que ces liens sont certainement forts, et qu’une diminution aussi importante des investissements entraîne nécessairement au bout de quelques années une diminution des capacités de production et des productions.

Au total, la multiplication des interdictions écologiques des pays occidentaux a certainement eu un effet sur l’offre d’énergie – ce qui était son objectif affiché. Cette diminution de l’offre d’énergie contribue forcément, toutes choses égales par ailleurs, à la hausse des prix des énergies, dans les pays occidentaux d’abord, mais également dans le reste du monde. 

Extrait du livre de Rémy Prud’homme, « Les vrais responsables de la crise énergétique », publié aux éditions de L’Artilleur

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