Arrêtons de parler de contagion, la France n'a pas besoin de la Grèce ni de l'Italie pour être "malade" de sa dette !<!-- --> | Atlantico.fr
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"Dans le domaine financier, la contagion mécanique n’existe pas"
"Dans le domaine financier, la contagion mécanique n’existe pas"
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Epidemie

L'écart de taux entre les obligations françaises et allemandes a atteint un niveau record cette semaine. Après avoir sanctionné la Grèce et l'Italie, les marchés financiers sont-ils en train de s'en prendre aux faiblesses économiques de la France ?

Pascal Salin

Pascal Salin

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont  La tyrannie fiscale (2014), Concurrence et liberté des échanges (2014), Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration (Edward Elgar, 2015).

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Atlantico : Sur le marché européen de la dette des Etats, l'écart des taux entre l'obligation de référence du Trésor français à 10 ans (OAT) et son équivalent allemand, le Bund, atteint désormais 147 points de base alors qu'il n'était que de 45 il y a un an et de 80 en août dernier, assistons nous à une contagion de la crise grecque et italienne à la France ? 

Pascal Salin : C’est possible. Mais ce terme de contagion, très usité, donne une idée mécanique, comme un malade qui transmet sa maladie, et celui qui l’attrape n’a rien fait pour cela. Or, dans le domaine financier, la contagion mécanique n’existe pas. Ce n’est pas parce que la Grèce et l’Italie ont des problèmes et une notation dégradée que, mécaniquement, le risque se transmet à la France.

Le rôle des marchés financiers est précisément de discriminer entre les bons débiteurs et les mauvais. Il serait absurde qu’une banque qui constaterait la faillite du boucher pense que le boulanger avoisinant va faire faillite par contagion ! Il faut donc éviter ce terme.

L’inquiétude pour la France est qu’elle commence à se trouver dans un mauvais risque du fait d’un déficit et d’une dette publique considérables. Le problème est qu’on se demande si un jour ou l’autre il n’y aura pas de risque de défaut, comme en Grèce.

Cette question de la contagion doit, selon moi, être exprimée d’une autre façon. Les gouvernements ne supportent pas bien que les marchés sanctionnent leur mauvaise gestion. On critique les marchés, on prétend que c’est la spéculation qui les déstabilise, alors que ce sont les politiques d’endettement des gouvernements qui causent leurs difficultés à rembourser. Ils sont très sensibles, par ailleurs, à la notation, pour des questions de prestige et de politique intérieure : une détérioration de la notation donnée par ces agences, nuirait à l’image du gouvernement et à sa capacité à mener une bonne politique. Ils essaient d’éviter cela et prétendent qu’il existe une contagion à enrayer d’urgence. Sous ce prétexte, on met en place des mécanismes, comme le fameux Fonds européen de stabilité financière (FESF), parce qu’un gouvernement comme le notre espère compter dessus le jour où nous ne pourrons plus rembourser. C’est une sorte de complicité entre gouvernements, pour éviter la sanction des marchés à l’égard de leurs mauvaises pratiques. On invoque donc des phénomènes de contagion, une spéculation qui déstabilise tout, alors que le vrai problème n’est pas là.

Quel est donc le vrai problème de la crise qui gagne aujourd’hui toute l’Europe ?

Le vrai problème, ce sont les déficits publics excessifs. La France, par exemple, a du mal à maîtriser et à rembourser son déficit. Les mesures prises sont dérisoires par rapport à ce qu’exigerait la situation. Lorsqu’on est très endetté et tenu de rembourser, on se serre la ceinture. Les Etats doivent faire la même chose. Ils devraient prendre des mesures intérieures pour limiter leurs déficits et même dégager un excédent afin de rembourser leurs dettes. On est très loin, en France, d’avoir cet excédent.

Doit-on s’inquiéter du spread (différentiel de taux de rendement sur les obligations du trésor français et celles du trésor allemand) qui ne cesse d’augmenter entre l’Espagne et l’Allemagne d’une part, et la France et l’Allemagne d’autre part ? Pouvez-vous expliquer précisément ce dont-il s’agit ?

Le spread signifie tout simplement un écart. On peut utiliser cette expression dans beaucoup de cas : on parle de spread entre taux d’intérêt à court et à long terme ; entre les taux de l’Allemagne et de la France... On constate actuellement une augmentation de l’écart entre les taux d’intérêts qu’on demande sur les titres publics français et ceux de l’Allemagne : c’est bien la preuve que les marchés financiers sont davantage inquiets de la situation budgétaire française que de celle de l’Allemagne. C’est un révélateur. Un banquier va demander un taux d’intérêt plus élevé à un débiteur qui présente des risques plus importants. En l’occurrence, cela se traduit alors par un spread, un écart avec les pays qui présentent moins de risques.

Quand on parle de « crise des spreads », on veut dire que la France, pour rembourser les intérêts de sa dette, a plus de risques que l’Allemagne… ?

Exactement, c’est pourquoi on ne devrait pas parler de crise des spreads, mais de crise financière d’origine française, par exemple.

Ce qui est intéressant c’estque l’Allemagne a décidé récemment de diminuer les impôts de 7 à 8 milliards, alors qu’en France on les augmente. Les marchés ne sont pas idiots, ils se rendent bien compte qu’en augmentant la pression fiscale on risque de ralentir la croissance, et donc les recettes fiscales. C’est un cercle vicieux. Le gouvernement français a donc de plus en plus de difficultés à rembourser sa dette.

On a l’impression qu’avec la crise les choses s’emballent. Puisque vous refusez de parler de contagion, comment expliquer cette accélération ?

Les consciences se sont éveillées, autrement dit nous avons vécu pendant longtemps dans cette idée qu’il était parfaitement sûr de prêter à des gouvernements parce que, disait-on, les gouvernements ne peuvent pas faire faillite, contrairement à une entreprise. Donc pour faire des placements sécurisés, les financiers avaient un peu la tentation d’acheter des titres publics. Mais nous nous sommes  aperçu ensuite que ce n’est pas forcément vrai : le cas grec en est l’exemple frappant. La Grèce a du mal à rembourser, au point que ses créanciers vont sans doute être obligés, même s’ils ne le décident pas eux-mêmes, d’accepter qu’on leur rembourse seulement 50% de ce qu’ils ont prêté. De ce point de vue, il y a une information qui arrive sur le marché, à savoir que finalement la dette souveraine n’est pas aussi sûre qu’on pouvait le penser. On s’interroge donc subitement sur la solidité et la capacité de remboursement des autres pays (Italie, Espagne, France…). Ce n’est donc pas une contagion mais une prise de conscience qui est en train de se généraliser.

Les Etats sont de moins en moins solvables. Ils ne font pas faillite, car un Etat n’est possédé par personne et dure ad vitam aeternam quoi qu’il fasse. Mais il peut être dans des situations où il ne peut honorer sa dette. Ce n’est donc pas une faillite, mais c’est un peu pareil.

Les situations que connaissent la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la France sont-elles de même nature ou différentes ?

Fondamentalement oui, elles sont de même nature. Quand on parle du spread sur les titres publics, on constate dans tous les pays qu’il y a eu une politique d’accroissement considérable des dépenses publiques. Il s’agit là vraiment d’un point important, parce que les gens sont nourris d’idées keynésiennes. Keynes a dit : si l’activité économique est faible, avec du chômage, il faut, pour relancer l’économie, faire de la dépense publique. C’est une idée absurde, parce que ce que l’Etat dépense il le prend aux autres, donc il réduit les capacités de dépense des contribuables, ou bien les capacités d’investissement en raison de l’assèchement, par les emprunts publics, des marchés financiers. Cette idée absurde s’est généralisée, même aux Etats-Unis : ils sont arrivés à un déficit de 13% de leur PIB, ce qui chez eux est invraisemblable. Dans l’euphorie, les gouvernements ont voulu faire croire qu’ils avaient la maîtrise de l’économie. Or la seule chose qu’ils réussissent est de la déstabiliser ! Ils ont créé une crise financière en créant trop de monnaie, ils prétendent que les marchés sont instables alors que c’est de leur fait, et pour sortir de la crise ils se lancent dans des politiques de dépenses complètement folles qui déstabilisent les marchés ; ils s’aperçoivent qu’ils auront du mal à rembourser ensuite, avec des taux d’intérêt nettement accrus et erratiques; les marché financiers sont alors plein d’incertitudes, donc les gouvernements déstabilisent à nouveau l’économie. On a ce schéma à peu près partout dans le monde.

Tous les dirigeants du monde seraient donc des imbéciles ?

Quand quelque chose de stupide est fait, il existe deux explications : soit l’intérêt soit la bêtise. L’intérêt est compréhensible. Les gouvernements sont toujours contents de dépenser car ils voient à court terme ce qu’ils apportent aux populations. Ils empruntent en remettant à plupart les questions de remboursement. Malheureusement cela induit plus de charges publiques qu’ils n’avaient prévues. Mais pour eux, l’intérêt est électoral, sur le court terme. Donc ils dépensent. Et comme par ailleurs on peut dire, je crois, que la plupart des dirigeants ne comprend pas les phénomènes économiques, la conjonction des deux aboutit à cette situation.

Je suis frappé de voir que des chefs d’Etat qui ne comprennent strictement rien aux problèmes économiques se réunissent, par exemple au G20, et prétendent relancer la croissance mondiale. Ils en sont incapables ! Ils ont créé des freins à la croissance et prétendent être capables de relancer la croissance. Ce sont des prétentions inouïes.

Les questions économiques sont extrêmement complexes. L’économie est encore plus difficile que la physique, parce qu’elle s’appuie sur trop de variables. On trouverait invraisemblable qu’un gouvernement nous dise comment construire un avion. Et pourtant ils le font dans un domaine plus difficile encore, auquel ils ne comprennent rien : l’économie.

Dans la spirale actuelle, qui nous emmène vers le chaos, que faire ?

Je crains malheureusement, dans la mesure où les idées politiques et économiques sont tirées d’idéologies complètement fausses, que nous ne soyons dans un cercle vicieux. Parce que la crise a été provoquée par des mauvaises politiques économiques, et que les gouvernements prétendent la régler par des solutions qui vont exactement à l’encontre de ce qu’il faudrait faire (dépenses publiques, augmentation de la création monétaire, règlementation financière…). Il y a ainsi une accumulation de l’interventionnisme étatique qui va provoquer de nouvelles crises, et encore une fois le cycle recommencera. Le cycle économique est d’abord politique.

Je suis effectivement inquiet. Ce qu’il faudrait faire est simple : le contraire de ce que les gouvernements font ! Diminuer les dépenses publiques, restreindre la création monétaire, libérer l’économie…

La France peut-elle s’en sortir malgré tout ?

Elle le pourrait si nous faisions des politiques radicalement différentes de celles pratiquées jusqu’à présent. Et elle le pourra car la France a un vivier de gens prêts à innover, entreprendre, travailler… La France pourrait être un paradis si nos gouvernements, de droite comme de gauche, depuis des décennies, n’avaient été inspirés par des idées socialistes. 

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