Création du parlement de la Nupes : la toxique insubordination institutionnelle de Jean-Luc Mélenchon<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon prononce un discours lors du lancement du Parlement de la coalition électorale de gauche Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (Nupes) à Paris, le 30 mai 2022
Jean-Luc Mélenchon prononce un discours lors du lancement du Parlement de la coalition électorale de gauche Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (Nupes) à Paris, le 30 mai 2022
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Sortie du champ de la République

Création d'un "parlement" dont les membres sont nommés et pas élus, enquête parallèle dans le cadre de l'affaire Taha Bouhafs ... La France Insoumise semble s'inscrire dans une logique de contestation des institutions de la République, voire même des institutions de la démocratie parlementaire, entraînant avec elle le Parti Socialiste et EELV

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Jean-Luc Mélenchon a annoncé la création du parlement de la NUPES, un "parlement" dont tous les membres sont nommés et non pas élus. Le comité de suivi de LFI contre les violences sexuelles et sexistes a ouvert une enquête sur Taha Bouhafs, contournant la justice classique. Comment analyser cette création d’instances parallèles ? Quelle est la logique derrière cela ?

Vincent Tournier : Il s’agit en réalité de deux dossiers assez différents. Dans le cas de Taha Bouhafs, le comité de suivi n’est pas sans rappeler les commissions de discipline qui existent (ou ont existé) dans la plupart des partis politiques. Le bilan de ces commissions est d’ailleurs assez faible ; ce sont généralement des instances cosmétiques dont le but est de fournir une caution éthique à leur parti, ou de donner le change lorsqu’il s’agit de régler des problèmes internes. Dans le cas de Taha Bouhafs, la singularité de cette affaire est qu’il s’agit d’une enquête sur des faits qui relèvent de la morale, voire de la justice pénale. Or, un parti est mal placé pour mener ce type d’enquêtes, qui nécessitent de s’introduire dans la vie privée des individus tout en respectant certaines procédures. Mais à la décharge de LFI, on doit aussi constater que ce genre de tribunaux est en plein essor parce qu’ils répondent à une demande assez forte dans la société. Par exemple, les universités mettent en place des dispositifs comparables, ce qui ne va pas sans poser de redoutables problèmes. Peut-on instaurer une justice parallèle, qui ne dispose pas des mêmes moyens d’investigation et des garanties pour les personnes ? Curieusement, alors que la gauche est souvent prompte à dénoncer les procès en sorcellerie, elle n’a aucun scrupule à créer des ersatz de tribunaux de l’inquisition. Mais plus fondamentalement, le véritable problème que soulève l’affaire Taha Bouhafs, c’est quand même la manière dont les dirigeants de LFI ont cherché à minimiser les faits reprochés à ce personnage, alors qu’ils se targuent d’être exemplaires dans la lutte contre le racisme et le sexisme.  

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Concernant le « parlement » que la NUPES vient de mettre en place, la logique est très différente. Le but est ici politique : il s’agit de créer une instance collective pour donner de la visibilité à cette coalition électorale faite de bric et de broc. Rappelons en effet que la NUPES comprend une kyrielle de mouvements dont les objectifs et les agendas ne sont pas les mêmes puisqu’on y trouve la France insoumise, le PCF, le PS, EELV, Générations (Benoît Hamon), ainsi que divers mouvements indépendantistes issus de la Martinique, de la Réunion et de la Polynésie. Un autre objectif de ce parlement est sans doute aussi d’éviter de laisser croire que les décisions sont monopolisées par les directions des appareils politiques, histoire de montrer que le mouvement est foncièrement démocratique. 

Mais cela reste à démontrer. Le choix du terme « parlement » pour désigner cette instance est déjà très surprenant. On présume qu’il fallait éviter de reprendre les termes traditionnellement utilisés par les partis de gauche tels que comité central, conseil national, conseil fédéral, etc. Il reste que ce choix est problématique car un parlement suppose d’avoir des élections transparentes et organisées, ainsi qu’un pouvoir de décision clairement défini. Or, ce n’est pas le cas ici : on ne sait rien sur les modalités de sélection de ces « parlementaires », qui ne sont même pas élus, et on n’a aucune information sur le fonctionnement et le rôle du « parlement ». Pour un parti comme LFI qui reproche volontiers au régime politique français ou à l’Union européenne de manquer de transparence et de base démocratique, c’est tout de même étonnant. C’est un peu le point commun avec l’affaire Taha Bouhafs : le fait qu’il existe un décalage entre les valeurs proclamées et leur mise en œuvre. En fait, avec ce « parlement », on a le sentiment que LFI renoue avec l’ancienne culture du Parti communiste : celle du centralisme démocratique. En tout cas, on attend que ce parlement fasse la démonstration qu’il assure une réelle fonction démocratique. 


Dans quelle mesure la France insoumise s’inscrit-elle dans une logique de contestation des institutions de la République et plus largement de contestation des institutions de la démocratie parlementaire ? Quels dangers cela représente-t-il ?

Tout dépend de quelle République on parle car elle a pu prendre des sens très différents dans l’histoire constitutionnelle française. Rappelons par exemple que la Constitution de 1852, imposée par Louis-Napoléon Bonaparte après son coup d’Etat, se réclamait elle aussi de la République (la Constitution parlait du président de la République et du gouvernement de la République française).

En réalité, ce qui est critiqué par une partie de la gauche, c’est moins la République en tant que telle qu’une certaine conception de la République, en l’occurrence la Vème République, jugée trop autoritaire, ou trop bonapartiste. La condamnation est ici d’autant plus forte que les régimes bonapartistes ont toujours été très populaires. La gauche contestataire a donc été confrontée à un dilemme qu’elle n’a toujours pas résolu : elle dénigre un régime politique que son propre électorat réclame. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a du mal à toucher les électeurs des milieux populaires, qui sont aujourd’hui davantage attirés par le Rassemblement national que par les partis de gauche.   

A côté de cette volonté de sortir de la Vème République, d’autres aspects du programme de la NUPES (https://nupes-2022.fr/le-programme/) peuvent susciter l’inquiétude. Dans la partie qui concerne les médias, on trouve par exemple cette proposition : « Transformer le Conseil de déontologie des médias en véritable pouvoir citoyen », ce qui laisse particulièrement sceptique. De même, dans la partie sur la laïcité, il est question de « Protéger la liberté de conscience et d’expression, combattre tous les communautarismes et l’usage politique des religions », ce qui paraît pour le moins contradictoire. 

Il faut cependant admettre que la gauche radicale a le mérite de pointer des failles qui sont souvent bien réelles (les critiques qu’elle adresse à la mondialisation financière ou au fonctionnement de l’Union européenne ne sont pas absurdes), voire de faire des propositions qui ne sont pas dénuées d’intérêt. La difficulté survient lorsqu’il s’agit de proposer une alternative institutionnelle. C’est tout le problème de la gauche radicale depuis le XIXème siècle dont la Commune de Paris de 1871, sa grande référence mémorielle, constitue probablement l’archétype : certes, les critiques du capitalisme industriel étaient souvent fondées, mais la Commune était bien partie pour créer un système encore plus tyrannique, ce qui sera d’ailleurs vérifié quelques années plus tard avec la révolution bolchévique. 


A quel point Mélenchon souhaite-t-il en réalité une véritable révolution ? Comment, idéologiquement, son discours est-il nourri de cette idée ? Et comment essaie-t-il de préparer le peuple à cette idée ?

C’est une question intéressante et difficile. A partir de quel moment un parti peut-il être considéré comme révolutionnaire ? Qu’est-ce qu’une révolution ? Où passe la frontière entre un projet réformiste et un projet révolutionnaire ? Le terme même de révolution n’est guère éclairant : Emmanuel Macron n’a-t-il pas parlé de « révolution » pour désigner son propre projet ? Si Jean-Luc Mélenchon ne se qualifie pas de révolutionnaire, le programme de la NUPES est présenté comme un « programme de rupture », ce qui ne semble pas très différent d’un projet révolutionnaire. De plus, l’idée d’instaurer une 6ème République relève d’une forme de révolution puisqu’il s’agit de changer substantiellement le régime constitutionnel (par l’abolition de l’élection du président de la République au suffrage universel direct). En même temps, cette 6ème République consisterait à revenir à un régime du type IIIè ou IVè République. Le retour à un régime déjà expérimenté peut-il être considéré comme une révolution ? Oui si l’on prend ce mot au sens premier, celui d’un cycle, mais du point de vue politique, c’est plus discutable.

Il reste que, dans le contexte actuel, on ne peut écarter trop vite l’idée qu’il existe une certaine dynamique prérévolutionnaire dans le projet de Jean-Luc Mélenchon. Deux éléments plaident dans ce sens. Le premier est l’opposition entre le peuple et les élites. Cette grille de lecture de la société, qui est pour le coup très significative d’une logique révolutionnaire, a pris de l’ampleur dans l’opinion publique et permet de disposer d’un électorat assez radicalisé. Elle se manifeste de différentes manières : crise de confiance, propension au complotisme, adhésion aux fake news et aux théories alternatives, abstention, etc.

Le second élément est la volonté de rompre avec la logique qui prévaut depuis la fin de la Guerre froide, dont les principales caractéristiques sont l’ouverture des marchés, l’intégration européenne, la croissance économique et, plus généralement, le néo-libéralisme comme guide de l’action publique. La France insoumise soutient un projet qui, au moins dans son esprit, s’éloigne assez fortement de tous ces éléments. Cette rupture n'est certes pas toujours complètement explicite ou assumée dans le programme de la NUPES, et on y trouve même des propositions qui vont dans le sens néolibéral (comme la volonté de maintenir les frontières relativement ouvertes pour les migrants ou de valoriser les droits des individus) mais il n’en reste pas moins que le cœur du projet se situe bien dans cette rupture. 

Néanmoins, cette dynamique prérévolutionnaire connaît plusieurs fragilités. 

Tout d’abord, le peuple dont se réclame Jean-Luc Mélenchon n’est pas le peuple traditionnel ou historique. Or, en faisant une large place aux populations issues de l’immigration (ce qu’il appelle le « nouveau peuple »), l’ancien candidat à la présidentielle instaure une fracture qui décourage sans doute une partie des milieux populaires de rejoindre LFI. 

En second lieu, on ne sent pas dans l’opinion publique le désir de rompre radicalement avec le système actuel ; le consumérisme continue au contraire d’être très largement soutenu comme le montrent les inquiétudes sur le pouvoir d’achat et le coût de la vie. Si beaucoup de Français sont inquiets sur l’état du pays et sur le déclin des services publics, ils veulent continuer à acheter et à se déplacer à bas prix. 

Enfin, Emmanuel Macron se garde bien de laisser Jean-Luc Mélenchon occuper tout seul le terrain de la critique du libéralisme : en reprenant notamment à son compte la proposition d’une planification écologique, il casse l’image d’un président qui serait entièrement acquis aux idées libérales.

Tous ces éléments incitent donc à penser que la NUPES va rester sur une logique réformiste. Mais on restera prudent. Après tout, les révolutions ont souvent surgi là où on ne les attendait pas. 

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