Couvre-feu : alerte à la santé mentale des personnes seules<!-- --> | Atlantico.fr
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Olivier Véran Jean Castex
Olivier Véran Jean Castex
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Nouvelle mesure

Le couvre-feu entre en vigueur en Ile-de-France et dans huit métropoles ce soir dès minuit. Les personnes isolées risquent d'être à nouveau fragilisées, après la période de confinement. Quel impact cette nouvelle mesure peut-elle avoir sur la santé mentale ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Après le confinement, c'est désormais un couvre-feu qui va être imposé en Île-de-France et dans plusieurs métropoles, les personnes isolées risquent d'être encore plus fragilisées, quel impact cette mesure peut elle avoir sur leur santé mentale ? Les jeunes sont-ils particulièrement à risque ? 

Pascal Neveu : Dans un premier temps, je me permets de livrer des chiffres.

Le 6 octobre 2020, l'OMS a publié les résultats d'une enquête sur l'impact de la COVID-19 sur les services mentaux, neurologiques et de toxicomanie dans 130 États membres de l'OMS, avant la Journée mondiale de la santé mentale le 10 octobre.

Une critique importante est née suite aux résultats. Je ne vais pas développer tous les chiffres que l’on peut retrouver.

Ce qui est le plus intéressant :

- un nombre insuffisant ou de redéploiement de personnels de santé face à la riposte à la COVID-19 (dans 30% des pays), l'utilisation d'établissements de santé mentale comme centres de quarantaine ou de traitement pour la COVID-19 (dans 19% des pays) et un approvisionnement insuffisant des équipements de protection individuelle (dans 28% des pays).

- bien que 116 pays (89%) aient déclaré que la santé mentale et le soutien psychologique faisaient partie de leurs plans nationaux de réponse à la COVID-19, seuls 17% ont déclaré qu'ils avaient engagé un financement supplémentaire à cet effet.

Ce rapport est à charge contre des effets monumentaux sur la santé mentale et le bien-être des populations du monde entier suite à cette pandémie.

Avec cette capacité de réponse apparemment faible, on ne sait pas comment le monde va gérer cette crise de santé mentale. Notamment les derniers chiffres effroyables portant sur les risques suicidaires (le chiffre actuel d’1 suicide toutes les 50 minutes risque d’être doublé)

Les exemples historiques montrent les effets néfastes tels qu'une pandémie peut avoir sur la santé mentale des populations touchées. Par exemple, des recherches menées dans des communautés touchées par des flambées de maladie à virus Ebola ont révélé une panique et une anxiété généralisées, une dépression résultant de la mort soudaine d'amis, de parents et de collègues, ainsi que la stigmatisation et l'exclusion sociale des survivants.

Une méta-analyse a révélé que l'humeur dépressive, l'anxiété, les troubles de la mémoire et l'insomnie étaient présents chez 33 à 42% des patients admis à l'hôpital pour un syndrome respiratoire aigu sévère ou un syndrome respiratoire du Moyen-Orient, et que dans certains cas, ces effets se prolongeaient au-delà du rétablissement.
L'isolement physique, la fermeture d'écoles (avec des effets indicibles sur le développement et le bien-être des enfants) et à un emploi généralisé pertes.

L’usage particulier d'alcool est particulièrement en augmentation.

En France il s’agit également de 30% d’augmentation de violences conjugales !

De nouvelles études analysent que la COVID-19 pourrait même avoir des conséquences neurologiques directes.

Les travailleurs de première ligne subissent une charge de travail et des traumatismes accrus, ce qui les rend vulnérables au stress, à l'épuisement professionnel, à la dépression et au trouble de stress post-traumatique.Nombre d’études sont catastrophiques, et nous sommes tous ennuyés à les diffuser afin de ne pas accentuer ces chiffres, par effet de contamination.

Les jeunes peuvent se sentir stigmatisés… mais hélas les études montrent des réalités.

Je n‘ai pas à commenter les données médicales auxquelles j’ai accès, concernant leur degré de contamination.

J’ai eu en consultation des jeunes contaminés… que je ne juge nullement.

Et finalement ce double discours… « je veux vivre » «  je veux baiser »… ou « je peux tuer quelqu’un de proche »… Et ce discours nous renvoie totalement au discours freudien sur ce qu’est la pulsion de vie et de la mort. Vie, mort, culpabilité…

Nous sommes démunis. Car nous n’avons pas le droit de leur dire la morale, mais juste les responsabiliser.

L'absence de contact et de proximité physique, au sens large, peut-elle créer des troubles ? 

Hélas oui, et une nouvelle étude menée par l’Université de Toulouse va permettre d’affiner ce que nous savions depuis des années de pandémie comme Ebola.

Pour ne citer que ces troubles :

- Dépressions plus ou moins aigues

- Actes de violences

- Mutisme et enfermement

- Addictions (alcool, drogues)

- Chez les personnes âgées : « glissement » progressif

- Chez les enfants : troubles du développement au niveau du langage, également sur le plan psychomoteur, et pertes de repères avec des conséquences au niveau scolaire, notamment pour les franges les plus défavorisées.

- Eventuellement comportements violents de certains citoyens en lien avec la rupture du lien social

La grande question qui pose souci et qui pourrait stigmatiser les jeunes, c’est l’intolérance à la frustration… que nous vivons tous.

Il n’est aucunement dans mon rôle et ma fonction professionnelle de livrer ce que je pense de « guerre », de « couvre-feu »… Nous avons tous notre vécu, nos engagements politiques, mais aussi des histoires qui nous ramènent aux pires moments de notre histoire mondiale.

En tant que psychanalyste, des mots utilisés depuis mercredi soir, notamment sur les réseaux sociaux, sont sans doute à rappeler pour la mémoire de toutes celles et ceux qui ont vécu des couvre feu, qui auraient souhaité ne payer que 135 euros et non leur vie.

En réunion depuis des mois, durant des nuits, et encore ce vendredi matin, nous n’en pouvons plus de tous ces « sachants » des réseaux sociaux qui contribuent à perturber toute communication qui reste « compliquée ».

Dès le début nous avons alerté quant aux conséquences psychologiques d’un confinement et de nouvelles mesures qui allaient naître quand nous avions connaissance des chiffres que la population nie.

Mais qui sait mieux que qui ? Qui aurait mieux fait que qui ?

Jamais je n’aimerais être à la place de nos dirigeants.

Tous ceux qui ne savent pas devraient accepter de se taire et cesser de compliquer notre profession.

L’étayage est une notion fondamentale.

Elle a lieu sur le plan clinique, avec un soignant, mais elle a lieu dans tout lien EHPAD, familial…

Le contact, l’échange, le regard, la parole… Nous parlons d’humains, même si des robots, et les études le montrent, pourraient lors de telles pandémies suppléer.

Et je suis sûr que mon amie Sophie Sakka, qui fait un travail extraordinaire, n’y a pas songé. C’est un développement médical à ne pas négliger.

Comment, lorsque l'on est une personne souffrant d'isolement, peut-on lutter contre ce sentiment, lorsqu'il est imposé par l'Etat ? Quelles sont les stratégies pour le rendre moins pesant ?

Je vais être direct : il n’a pas le choix.

D’une part pour sa santé.

D’autre part pour la santé collective.

Ensuite, et je ne lui souhaite aucunement… Quand on connaît la réanimation et les décès, cette souffrance est différemment « réfléchie ».

Pour autant pour toutes les personnes qui sont isolées et en fragilité, il ne faut surtout pas hésiter à contacter la mairie ou les services de la croix rouge qui depuis des mois mènent un travail extraordinaire afin de livrer des courses, médicaments…

Il semble toujours indécent de les contacter, honteux d’accomplir cette démarche.

Il n’y a aucune honte, car de nombreux bénévoles sont présents.

Il y a des cellules d’écoutes, moins saturées que durant le printemps.

Mais j’espère qu’il y a surtout l’entourage… familial, les amis, les voisins…

Mais la solitude et l’isolement sont un sujet que je connais et face auquel j’aimerais qu’on fasse évoluer les choses et surtout en de tels moments.

Car, à demi-mot, quand on sait que 10% de la population passe les fêtes de fin d’année seul… dans le contexte actuel… il faut désormais penser à celles et ceux qui seront beaucoup plus nombreux seuls.

Quand le Président de la République évoquait la guerre… il savait quant à ce que nous allions tous vivre.

Je souhaite juste que nous en sortions les moins détruits possible.

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