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Coupe du monde 2018 : comment la Russie est en train de réussir un sans-faute dans son organisation
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Pronostics démentis

L'organisation de la Coupe du monde de football 2018 en Russie n'était pas vue d'un bon œil par bien des analystes pour bien des raisons. Pourtant, Vladimir Poutine semble déjouer les pronostics, tant l'organisation de la compétition semble pour l'instant réussie.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : L'organisation de la Coupe du Monde de la FIFA en Russie avait fait l’objet de critiquesa priori. De même, des menaces de boycott avaient pu voir le jour. Enfin, des inquiétudes relatives à une volonté de Vladimir Poutine d'utiliser l’événement au service de sa gloire avaient pu voir le jour. Malgré tout, le résultat semble positif. Quel est le véritable bilan à la mi-temps de l’événement pour le président russe ? 

Cyrille Bret :A la mi-temps, cette Coupe du Monde est un succès incontestable pour la Russie comme pour Poutine IV. En effet, les objectifs de la compétition sont largement remplis.

La tenue de la Coupe du Monde en Russie est un succès en soi. C’est la première fois que la FIFA choisit la Russie comme pays organisateur d’un événement à la couverture médiatique quasi-universelle. C’est également la première compétition sportive mondiale organisée en Russie depuis les JO de Moscou en 1980. Les JO de Sotchi de 2014 n’avaient pas pu avoir le même retentissement car c’étaient des JO d’Hiver et ils ne bénéficient pas de la même visibilité globale que les JO d’été ou la Coupe du Monde de football.

D’un point de vue médiatique, le succès est évident : les télévisions du monde entier retransmettent des images magnifiques d’un pays très beau, de stades ultra-modernes et rénovés, de supporters accueillis dans de belles fan zones comme à Moscou ou à Kaliningrad. Avec ce mois de compétition, la Russie a réussi à changer son image de pays froid et délabré qu’elle avait souvent conservée à l’Ouest. En termes footballistiques, il s’agit d’une occupation du terrain réussie.

D’un point de vue diplomatique, le succès est éclatant. Malgré le boycott politique décidé par le Royaume-Uni et suivi par l’Islande et la Pologne dans le sillage de l’affaire Skripal, plus de 17 chefs d’Etats et de gouvernements sont venus à Moscou rencontrer Vladimir Poutine : le président coréen Moon, l’héritier saoudien Ben Salmane, le président sénégalaisSall, etc. Le roi des Belges est venu soutenir sa sélection nationale et le Secrétaire général de l’ONU Gutierres s’est lui aussi rendu en Russie. Même Donald Trump  - dont l’équipe n’est pas qualifiée – est annoncé après le Mondial. Le boycott est finalement limité aux membres de la famille royale est aux autorités gouvernementales britanniques ainsi qu’au président polonais Duda. Les controverses sur les conditions d’attribution de la compétition, sur le dopage des athlètes russes à Sotchi puisPyeongchang ou encore sur l’utilisation de la compétition sont aujourd’hui largement couvertes par la satisfaction exprimée par les fans, les journalistes, les supporters… et la population locale.

En effet, la Sbornaïa a terminé deuxième du groupe A, a atteint les buitièmes de finale et a même écarté l’Espagne pour parvenir à un stade de la compétition jamais atteint par la sélection soviétique ou russe.

A la mi-temps, le coach de Russie peut être content.

Florent Parmentier : Lorsque la Russie a été désignée en décembre 2010, la Géorgie avait connu une guerre une heure et demi auparavant, le « printemps arabe » n’était qu’embryonnaire, et l’image internationale de la Russie était liée à celle du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Le contexte était donc assez différent, la guerre en Ukraine ayant conduit les Russes et les Européens à adopter des postures radicalement différentes.

En termes d’image de la Russie (le « nation-branding »), le tournoi est incontestablement positif, le pays apparaissant différent de ce qu’à quoi s’attendaient les supporters internationaux, cadrant assez mal avec les réalités d’un débat extrêmement politisé dans de nombreux pays, entre thuriféraires de Vladimir Poutine, « le dernier homme blanc encore debout », et ses opposants les plus farouches lui attribuant la responsabilité tous les développements électoraux. La venue d’Emmanuel Macron soutenant l’équipe de France ne pourrait que renforcer cette impression positive.

Le bilan du Mondial est donc positif pour l’image de la Russie. Enfin, il est intéressant de se demander quelles sont les prochaines étapes : une exposition universelle ? Des Jeux olympiques d’été ?


Les inquiétudes ont pu également découler de la crainte que faisaient peser les hooligans pour cette Coupe du monde. Ont-ils été réellement maîtrisés ?  La coupe du monde a-t-elle été entachée de quelques événements de violence ? 

Cyrille Bret : Le bilan sécuritaire est lui aussi positif pour le moment. Les mesures de sécurité très vigoureuses prises par la Russie dans l’optique de la Coupe du Monde fonctionnent jusqu’ici. Non seulement la compétition n’a vu aucun débordement de hooligans notamment ceux du CSKA Moscou mais en outre, nulle manifestation raciste et nul attentat n’a pour le moment terni l’image et le bon ordre de la compétition. Pourtant les risques étaient grands : l’organisation Etat islamique et sa branche caucasienne ont depuis longtemps émis des menaces d’attentats contre la compétition. De même, les manifestations racistes sont monnaies courantes dans certains clubs contre les joueurs étrangers évoluant dans les effectifs, comme par exemple au Spartak Moscou.

Toutefois, sans être un oiseau de mauvais augure, ce type d’événement est toujours très risqué. Avant la fin de la compétition, il est structurellement exposé à des risques sécuritaires. C’est pour cette raison que les forces de sécurité surnommées « structures de force » et dont le président est issu et entouré sont en alerte jusqu’à la fin de la compétition. Il en va de la sécurité des fans venus du monde entier, de la sûreté de la population et de l’image internationale du pays.

Florent Parmentier : Les hooligans russes se sont fait connaître à Marseille en 2016, en s’affirmant face aux nombreux hooligans anglais. Ils ont fait une telle impression que les supporters de l’équipe d’Angleterre sont moins nombreux à avoir fait le déplacement cette année.

Au-delà du hooliganisme, un tel événement nécessite de mobiliser les services de renseignement, afin de traquer les éventuelles projets terroristes, souhaitant frapper l’imagination. De ce point de vue, les opérations se sont bien passées jusqu’à présent.


En quoi la "normalité" de cette coupe du monde marque-t-elle une différence avec les JO de Sotchi ? Cette "normalité" n'est-elle justement pas l'objectif recherché par Vladimir Poutine ? 

Cyrille Bret : Tout à fait. L’objectif cardinal de cette compétition est de changer l’image de la Russie à l’étranger en prenant le contre-pied de plusieurs éléments des Jeux Olympiques d’Hiver organisés à Sotchi au moment même où les Occidentaux prenaient des sanctions économiques, politiques et financières contre l’annexion de la Crimée.

La comparaison est saisissante. L’organisation des JO de Sotchi a été considérée comme excessivement coûteuse à 50 milliards de dollars. Par comparaison, la Russie affirme avoir organisé la Coupe du Monde pour 20 milliards de dollars. Elle a même réduit le nombre de stades accueillant la compétition de 15 à 12 stades et à 11 villes hôtes. Si des scandales ont entouré la construction du Spaceship, le stade Krestovski de Saint-Pétersbourg, tous les observateurs ont salué la rénovation des infrastructures utiles à l’économie nationale : aéroports, gares, routes, etc.

De même, alors que Vladimir Poutine était omniprésent durant les JO de Sotchi, il est moins visible même s’il suit attentivement la compétition et surtout son organisation. A cette distance, plusieurs raisons. D’une part, il évite d’associer son image à celle d’une sélection nationale qui n’était pas promise, au départ, à un succès sportif. D’autre part, il évite, pour le moment, de personnaliser la compétition pour lui laisser produire tous ses effets positifs sur la « marque Russie ».

Florent Parmentier : Oui, la Russie souhaite à la fois être respectée comme une grande puissance (cherchant à se définir face à l’ « Occident », dont la définition a varié au cours du temps), mais aussi être vue comme un pays normal. Un certain nombre de Russes considèrent par exemple l’affaire Skripal comme un piège tendu à la Russie, et de ce point de vue, la normalisation avance lentement. A côté des enjeux de politique étrangère et de puissance, ceux de développement économique ont récemment gagné en puissance.

Avec le quatrième mandat de Vladimir Poutine, plus orienté sur les enjeux économiques, les priorités vont progressivement changer. Une chose est sûre : quel que soit le destin de la ‘sbornaya’ (sélection russe) après sa qualific            ation pour les quarts de finales, le Président russe fera partie des vainqueurs.

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