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Côte d'Ivoire : 
les scénarios de l'après Gbagbo
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Crise africaine

Les révolutions arabes ont détourné l'attention des médias et des chancelleries occidentales du conflit larvé en Côte d'Ivoire. Deux présidents, deux légitimités, un pays qui s'enfonce...

Philippe Hugon

Philippe Hugon

Philippe Hugon est directeur de recherche à l'IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), en charge de l'Afrique. Professeur émérite, agrégé de Sciences économiques à l'université Paris X, il vient de publier son dernier livre Afriques - Entre puissance et vulnérabilité (Armand Collin, août 2016). 

 

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Les regards se sont éloignés de la Côte d’Ivoire, ce qui a permis au clan Gbagbo de se renforcer. Il compte sur la lassitude de la communauté internationale. Les médiations, notamment de l'Union Africaine, ont montré leurs limites. On est dans une situation très grave, dans une guerre latente qui peut devenir une véritable guerre civile. Sur le terrain, les forces spéciales de Gbagbo et les jeunes patriotes qui ont reçu des armes sont prêts à en découdre contre tous ceux qui viennent du nord, dans un mouvement ethno-nationaliste.

A Abidjan les affrontements et les exactions sont quotidiens. L'appel à la violence de la part des jeunes patriotes crée un climat de haine. L'absence de médicaments et de soins crée un drame humanitaire alors que l'on parle d'un exode de plusieurs centaines de milliers d'Abidjanais.

Les forces nouvelles, du côté de Ouattara, résistent à Abidjan, dans différents quartiers, mais leur objectif  est de reprendre San Pedro, pour prendre le contrôle du cacao. Pour l’instant San Pedro reste sous le contrôle de Gbagbo.

Au stade des accrochages, pas encore de la guerre

Rien à voir cependant avec les combats de Libye. Ils n’ont pas les mêmes moyens. Mais les deux parties ont des lance-roquettes, des armes lourdes, des véhicules militarisés. Pour l’instant, ils n’utilisent que de manière épisodiques ces armements. Nous sommes dans une confrontation, avec des tirs sporadiques de roquettes, ou d’armes automatiques. Ce sont des accrochages meurtriers qui peuvent se transformer en apocalypse...

Côté bilan humain, les chiffres officiels sont de 440 morts, mais d’autres sources donnent plus de 1 000 morts. L'asphyxie économique et financière, la flambée des prix alimentaires, l'absence de médicaments et de soins conduisent à un drame humanitaire qui se généralise. Au milieu, 10 000 hommes de l’ONUCI (Organisation des Nations-Unies en Côte d'Ivoire) tentent de s'interposer. La CEDAO (Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest) voudrait que l'ONUCI voie son mandat renforcé par le conseil de sécurité voire éventuellement donne un appui militaire pour intervenir en faveur de Ouattara, mais ce n'est pas fait...

Pendant ce temps, plusieurs centaines de milliers de personnes originaires d’Abidjan ont fui la ville. Gbagbo espère peut-être que les ivoiriens originaires du Nord et ou pro Ouattara qui vivent au Sud quittent le territoire afin de  faire une sorte d'homogénéité ethnique anti "étranger", alors que le conflit ivoirien n’est pas un conflit ethnique, ni religieux. Mais l’on est aujourd’hui dans un jeu qui s’ethnicise et se marque religieusement.

Les voies de sortie de la crise

Les scénarii sont multiples. Le premier est celui de l’enlisement. La Côte d’Ivoire est dans une situation de "ni guerre ni paix" depuis 10 ans. Les élections présidentielles auraient dû dénouer la situation mais on peut imaginer une situation qui persiste pendant des années avec des affrontements légers, avec deux présidents, deux économies. Peu probable, mais on ne peut l’écarter.

Deuxième scénario, une partition de fait. Gbagbo dit je suis président du Sud, et Ouattara se retrouve de facto président du Nord avec l'arrivée massive des "nordistes" originaires du Sud. C’est peut être ce que souhaitent Gbagbo ou certains de ses proches.

Troisième scénario, un compromis à l’africaine, avec un retrait de Gbagbo, avec un gouvernement et une réconciliation nationale, avec toutes les forces qui gouvernent, comme un duo Mugabé Tsvangirai au Zimbabwe, ou un duo Kibaki Odinga au Kenya. L’Union Africaine aimerait un compromis à l’africaine, mais cela dépend des rapports de force qui existent. Si Gbagbo est asphyxié économiquement, et si comme vient de le proposer vendredi dernier la CEDAO, l’ONUCI est renforcée par un mandat du conseil de sécurité et par l’ECOMOG (force africaine d'intervention), on peut avoir des rapports plus défavorables à Gbagbo.  Tout cela peut se faire d’ici 15 jours, 1 mois, mais tout dépend du rythme de l’asphyxie économique, et de la capacité des Nations Unies à se préoccuper de ce dossier en même temps, à côté de la crise libyenne.

Dernière solution, hélas, c’est l’affrontement ouvert. On a déjà un véritable drame sanitaire et humanitaire en ce moment, et le scénario du pire avec une guerre civile est tout à fait possible et à craindre. Le représentant des Nations Unies pense que c’est le scénario plus probable, encore aujourd’hui.

Il faut bien retenir que Gbagbo est un fin politique. Ce n’est pas sûr qu’il aille jusqu’au bout. Je pense que la menace de la guerre civile sert à faire partir les non originaires du Sud vers le Nord.

Mais à force d'alimenter la haine au nom de la révolution et de la seconde indépendance et de ne pas respecter le verdict des urnes reconnu par toute la communauté internationale, celui qui joue à l'apprenti sorcier peut ne plus pouvoir maîtriser des troupes exaltées et dire à la fin je ne l'ai pas voulu. Si guerre civile il y a, la communauté internationale ne pourra pas être impassible comme au Rwanda. Les Nations Unies, qui s’étaient retirées du Rwanda, ne pourront pas fermer les yeux. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Giraud

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